CH5 JOAO
Au petit matin, je rejoins l’atelier. Je sais qu’Ulysse se réveillera plus tard.
La lumière matinale à travers les parois de verre semble animer tous les objets. Le compas maritime sur la table de bois, les livres et leurs vieilles reliures, le vase en terre cuite et ses hortensias fanés. Tous ces objets n’ont pas été touchés depuis ton départ. Sur le chevalet ma dernière peinture est restée inachevée.
C’est un portrait de toi Joao. Je n’ai pas terminé ton regard. Il a été interrompu le soir de notre dispute au sujet d’un deuxième enfant que nous n’aurons jamais. Je te vois partir dans la nuit. Je te supplie de rester. C’est un pressentiment, ton navire brisé par les récifs. C’était il y a si longtemps. Et pourtant hier, j’étais bien avec toi sur l’île de lumière. Peu importe si c’était un songe. Tes dernières paroles résonnent encore, Ma douce, il faut peindre maintenant.
Je mélange les couleurs. Je suspends mon geste et je reprends. Du vert clair, des éclats d’ambre, un contour bleuté. Sous cet amas de couleurs, je te retrouve. Vivant. J’entends ta respiration comme celle de l’arbre géant. Tu es un peu rude comme l’écorce mais à l’intérieur tu as sa sagesse.
Au moment où j’appose ma dernière touche, je vois Ulysse dans l’embrasure de la porte.
- Je ne te dérange pas ?
J’ai l’impression que Joao est devant moi.
- Maman ça va ?
- Oui très bien. Tu ressembles à ton père.
- Je sais. Mais reconnais que j’ai meilleur caractère.
- Tu plaisantes, tu n’en fais qu’à ta tête.
- Excuse-moi, ce trait de caractère me vient plutôt de toi.
Il a raison. Je lui souris. Ulysse regarde le tableau, silencieux. Je sais qu’il est troublé. Il met ses bras autour de mes épaules et pose sa tête contre la mienne. On reste comme ça un moment et on s’en va. Nous traversons le salon. Je laisse partir Ulysse dans la cuisine. Je remarque mon châle posé sur le sofa et je vois la boucle d’oreille. Celle que j'avais égarée hier soir. Elle est accrochée au tissu.
Devant le miroir je mets mes boucles. Ce geste me projette vingt ans plus tôt. Nous sommes dans une ruelle avec des maisons aux toitures en tôle. Je m’arrête devant un étal improvisé. Mon regard est attiré par un bijou avec des perles vertes, bleues, rouges, jaunes.
- Elles te plaisent ? Me demande Joao.
- Beaucoup.
Joao me tend les boucles dans un sachet de papier.
- Para você, meu doce (pour toi, ma toute douce).
Ulysse me regarde du haut de ses quatre ans. Nous partons tous les trois en direction de la mer. Je suis tellement heureuse.
FIN
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