Chapitre 3

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Ma mère et moi habitions à trente kilomètres du collège, dans un village vers lequel la compagnie de bus venait tout juste de créer une ligne, prémices de l’expansion de l’agglo, aujourd’hui florissante. Ce qui est désormais une zone d’activités bétonnée où des dizaines de berlines brillent sous le soleil n’était à l’époque qu’une zone en friches, qui entourait un lac vaseux gonflé de moustiques et de ronces, lieu privilégié de mes escapades adolescentes.

Notre petite maison, dépendance à peine rénovée d’un corps de ferme que la propriétaire, qui habitait le pavillon derrière, louait à ma mère pour quelques francs et un coup de main aux champs, sentait le cuir et la vieille pierre, l’huile de lin et la mélancolie. De ma chambre à l’étage, je pouvais voir le poulailler, le champ derrière, et surtout la fenêtre de la fille de la propriétaire, une lycéenne nommée Margaux, qui apparaissait secrètement dans mes rêves bouillonnants. Nous nous croisions de temps à autre dans la cour de la ferme, avec un bonjour timide pour seul échange.

Ce soir-là, je passai la porte et posai mon sac à dos sur le canapé, puis pivotai vers la cuisine d’où émanait l’odeur du pain maison. Ma mère était aux fourneaux.

— Comment s’est passé ton contrôle de maths ? T’as bien réussi ?

— Ça va, maman.

Occupée à laver la salade, une fausse mèche blonde qui pendait devant ses yeux gonflés, elle me lança un regard suspicieux, une cigarette plantée au coin de sa bouche.

— Hey Grégory, je sais quand tu me caches un truc…, articula-t-elle, la clope tressautant au rythme de sa voix. Je m’inquiète juste pour ton avenir.

— Moi aussi je m’inquiète pour toi, et ça t’empêche pas de fumer.

Elle s’arrêta un instant et ferma les yeux, avant d’articuler :

— J’ai que ça pour tenir…même si je sais que cette merde est aussi responsable de ce qui nous arrive.

— Désolé maman, j’voulais pas…

— C’est bon, fais pas comme ton père qui s’étalait par terre comme une lavette. T’as le droit d’avoir un avis.

Elle jeta le mégot dans l’évier, puis me regarda en face.

— Je vais arrêter. J’te promets. Je suis juste fatiguée de tout ça. Si j’écoutais le docteur, faudrait que je fasse du sport, que je mange des légumes et que j’évite la boisson. Une vie pleine de plaisirs, hein ?

— Ouais. Bon, j’espère que ça va aller, c’est tout…

Elle s’approcha et me prit par les épaules.

— Promis, ça va aller.

— OK, maman. Bon…j’ai des devoirs…

— Vas-y. Tu t’y mets sérieusement, et moi aussi, marché conclu ?

Elle me tendit son poing, contre lequel je posai le mien.

— Marché conclu.

Je montai dans ma chambre et fermai la porte.

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