4. L'humain
Sous le manque d’air dû à la pression, les yeux de Scarlet commencèrent à se fermer, bien qu’elle tentât de lutter au mieux pour sa survie. Des années d’entraînement au centre, et elle allait mourir entre les mains d’un homme ? Perdre une bataille contre un humain était une option inenvisageable. Alors, dans un jet d’adrénaline, elle courba son genou, attrapa le canif attaché à sa cheville, et entailla la jambe de son agresseur pour le faire lâcher prise. C’était rapide, furtif, comme on le lui avait enseigné durant des saisons entières. Elle ne s’arrêta pas là. Profitant que l’homme fasse pression sur sa blessure pour atténuer la douleur, elle glissa derrière lui, puis colla la lame tranchante sur sa gorge, échangeant ainsi les rôles. Bien décidé à ne pas s’avouer vaincu, il colla la chose métallique contre le ventre de la jeune femme, un rictus diabolique déformant le visage qu’elle ne pouvait voir.
« Si j’appuie sur cette gâchette, tu crèves. »
Elle ne s’était pas trompée, c’était bien une arme. Pour s’en dégager, elle attrapa son bras d’une poigne féroce et le tordit jusqu’à ce qu’elle puisse entendre le craquement du membre retentir. Une fois que le hurlement de l’humain fit écho dans la ruelle et qu’il lâcha la chose, elle dégagea l’objet d’un coup de pied, afin qu’il ne puisse plus s’en servir contre elle.
« Qu’est-ce que tu me veux ? cracha-t-elle en pointant son couteau vers lui alors qu’il se tenait l’épaule en grimaçant.
— Je voulais savoir ce que tu foutais sur mon territoire. Maintenant, je veux ta mort.
— Tu n’es pas en position de souhaiter quoi que ce soit.
— Mais je peux encore parler. Va chercher tes clients ailleurs que dans mes rues, avant que l’un des miens ne te tombe dessus.
— Je croyais que tu avais vu que j’étais capable de me défendre, vous ne me faites pas peur.
— Qu’est-ce que tu cherches au juste ?
— Un endroit où dormir. »
Un rire moqueur s’échappa de l’humain.
« T’es pas vraiment au bon endroit, là.
— Indique moi une chaumière, dans ce cas. »
Surpris par son vocabulaire et sa froideur, il tenta de se relever, s’aidant du mur de pierre. Il enleva sa capuche, dévoilant son visage, que Scarlet imaginait bien plus monstrueux. Elle détailla l’homme rapidement, afin de tenter d’identifier à quel groupe social il appartenait. Il semblait jeune mais terriblement sûr de lui. Une cicatrice barrait son arcade sourcilière, terminant au-dessus de sa paupière. Il devait avoir évité le pire. Ses yeux, clairs, brillaient dans la nuit.
« Si tu as assez d’argent, tu peux toujours te payer une chambre d’hôtel. »
Voilà que ça commençait. Elle aurait dû mieux écouter en cours, lorsque les enseignants expliquaient le mode de vie des humains. Maintenant qu’elle était là, face à l’un d’entre eux, elle n’arrivait pas à comprendre un traitre mot. Qu’est-ce que c’était que ça, un hôtel ?
« Ecoute, tout ce que je veux, c’est dormir en sécurité pour reprendre la route demain.
— Je ne peux rien pour toi.
— Et moi je peux te tuer. »
Elle le menaça de nouveau de sa lame, sous laquelle il esquissa un mouvement de recul. Son arme était trop loin de lui, elle l’aurait découpé en morceaux avant qu’il n’ait le temps de l’attraper. Alors, il soupira.
« Bien, suis-moi. »
Elle ne lui faisait pas confiance, mais avait-elle le choix ? S’il disait vrai, cet endroit était son territoire, il était le seul à pouvoir héberger Halia et elle. Levant les yeux au ciel, elle constata avec contrariété que la nuit était déjà tombée depuis plusieurs minutes. Elle ne serait jamais de retour à temps à la plage.
« Fait vite, j’ai autre chose à faire. »
Il pressa le pas, ronchonnant quelque chose d’inaudible. Toujours méfiante, elle le suivit tout en gardant une distance acceptable, durant trois ruelles, avant d’arriver dans un endroit un peu plus vaste, faiblement éclairé. Le sol était parsemé de gravier, écorchant la plante de ses pieds jusqu’au sang. Des clôtures entouraient l’endroit, alors que devant elle s’élevait un immense rectangle de béton froid, aux ouvertures symétriques d’étages en étages. Une odeur âcre s’échappait des déchets éparpillés de toutes parts, laissant planer une ambiance malfamée, dénuée de joie et de couleurs.
« Où est-ce qu’on est ?
— Au Q.G. » répondit-il en s’arrêtant net.
Il siffla bruyamment, avertissant d’autres humains qui sortirent de leur planque afin de les encercler. Sentant que quelque chose de mauvais commençait à se préparer, elle se plaça en position de combat.
« Je te présente les membres des Mambas Noirs. » déclara-il en désignant ses acolytes.
Elle comprenait ainsi pourquoi il n’avait pas plus rechigné à l’aider. C’était un piège. Enervée par cette trahison, elle l’attrapa de nouveau, bloquant son couteau sur sa gorge. Cette action voua un mouvement bestial de la part de la bande, que l’humain stoppa d’un geste de la main.
« Je veux parler à votre Reine. » clama Scarlet d’une voix ferme.
L’assemblée se mit à rire bruyamment.
« Qu’est-ce qui leur arrive ? » murmura-t-elle à l’oreille de son otage.
Il suffoqua un peu. Avec méfiance, elle dégagea d’un millimètre la lame, afin qu’il puisse répondre, puis reposa la question :
« Vous avez bien une dirigeante, pas vrai ?
— Je suis le chef de ce groupe, et tu es sur le point de me tuer. Je n’ai qu’a claquer des doigts et ils te réduiront en pièce.
— J’ai appris à me battre contre une armée, l’humain. J’en ai appris une chose : si tu es mort, tu ne pourras te délecter de les voir essayer de m’ôter la vie. »
Il déglutit. A vrai dire, il avait un tas de moyens de s’échapper de son emprise. Il était plus musclé qu’elle, plus grand aussi. Mais elle était rapide et sauvage. Un seul coup de lame bien placé et personne ne pourrait le sauver. Si elle mourait de la part des autres membres par vengeance, ça ne changerait rien à son sort funeste.
« Bien, chuchota-t-il. Je vais leur donner l’ordre de se replier et te trouver une chambre.
— Tu vois, ce n’étais pas bien difficile. »
Il leva la paume de la main pour leur faire signe. Ils se regardèrent entre eux, sans comprendre, mais se rangèrent. Méfiante, elle lui rendit sa liberté, sans pour autant baisser sa garde.
« Je dois aller chercher une amie.
— Eh, je ne fais pas chambre d’hôte ici ! Je n’ai pas le temps d’héberger toute une colonie.
— Je ne la laisserais pas seule dans cette ville.
— J’enverrais quelqu’un la chercher.
— Hors de question !
— Tu vas te faire repérer. Si quelqu’un te suit, notre repère va être assailli, c’est trop dangereux !
— Viens avec moi, dans ce cas. »
Il ronchonna. Pourtant, il n’avait pas d’autre choix. Il pourrait l’enfermer pour ne plus entendre parler d’elle, mais il avait l’intime conviction qu’elle arriverait à se libérer d’elle-même. Elle était diablement têtue, et son regard parlait à sa place : elle ne lâcherait pas l’affaire. Lâchant un soupir las, il acquiesça.
« Il faudra faire vite. »
Le chemin jusqu’à la plage n’était pas le même qu’elle avait emprunté. Evitant de prendre des raccourcis, il la guida dans des rues plus éclairées, plus vivantes. Ici, le paysage était sale et maussade. Les autres passants qu’il croisèrent semblaient soit terriblement menaçant, tels des bêtes, soit ils pressaient le pas la tête baissée. A ses côtés, l’humain avait la tête haute et le regard froid. Il jouait de sa prestance pour dissuader et éviter les ennuis.
« Ne traîne pas. » murmura-t-il en la doublant.
Arrivée sur le sable de la plage, Scarlet sentit la douceur apaiser les plaies crées par le bitume. Enfin, elle se sentait apaisée et en territoire connu. L’odeur de l’iode salée lui procurait un sentiment de bien-être, chaleureux. Ça ne dura pas. La barque en mauvais état embourbé à portée de vue, elle ne vit aucune trace d’Halia. La lune était déjà haute. Elle se pencha pour trouver les empreintes de pas, mais elles avaient été recouvertes par le vent et la marée.
« Il ne faut pas rester là, l’étrangère. Tu reviendras demain.
— Non, elle va revenir.
— Tu veux passer la nuit ici, c’est ton choix, mais si tu as le malheur de rester seule ici, quelqu’un va profiter de ton sommeil pour tirer une balle dans ton crâne.
— Est-ce ainsi chez les humains ?! La sauvagerie, le meurtre, la peur ? s’écria-t-elle en se relevant.
— Ce n’est pas comme ça partout, mais tu as déposé l’ancre dans une ville corrompue et anarchique. Tu aurais mieux fait d’échouer dans un autre pays.
— Je n’ai pas choisi de destination de vacances ! Mon frère à quitté l’île d’où je viens, je suis ici pour le chercher. Et maintenant, je dois aussi retrouver ma meilleure amie, qui, si j’en crois ton défaitisme exacerbé à propos de ce monde, est déjà morte.
— J’aimerais te dire le contraire, mais tu ne sais pas de quoi les gens d’ici sont capables. C’est une femme, seule, errant dans les ruelles sombres. Elle est sûrement dans une cave attachée par des cordes en train de se faire torturer ou violer.
— Et tu ne comptes rien faire ?
— Je ne suis pas un superhéros ! s’énerva-t-il. J’ai un gang à diriger, ses membres à protéger. Je ne peux pas partir à la recherche d’une inconnue en pleine nuit pour aider une étrangère. »
Sous la pression, elle dégaina de nouveau son couteau, pointant la lame vers lui avec désespoir.
« Aide-moi où je te mets en pièce.
— Vas-y, je t’en prie ! Je préfère que ce soit toi qui le fasse qu’un gang ennemi.
— On doit aller la chercher !
— Tu n’as pas l’air de comprendre, s’exaspéra-t-il. Cette ville est remplie de crimes en tout genre : braquage, kidnapping, vol, casses, assassinats. Si on s’aventure dans ses rues la nuit, on va finir mort dans un sous-sol et tu ne pourras plus rien faire pour elle.
— On ne va pas rester là à ne rien faire !
— Non. On va rentrer, se reposer, et tu partiras à sa recherche demain. »
Scarlet relâcha son bras, et rangea son canif, épuisée. Il connaissait mieux cet endroit qu’elle, et s’il avait raison, alors elle serait plus forte au lever du soleil.
« Rentrons maintenant. » lâcha-t-il doucement en commençant à marcher sur le chemin du retour.
Elle acquiesça, et s’enquit derrière lui, le cœur serré. Sans Halia, elle n’aurait aucune chance de retrouver Garett, ou de rentrer sur Alda. Il fallait qu’elle retrouve sa meilleure amie en vie, sans quoi elle serait obligée de mettre cette ville à feu et à sang.
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