16. Scorpio

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Dans une mélodie douce, les vagues s’échouèrent sur la plage de sable de fin. Les oiseaux chantonnaient, indiquant le début de la journée ensoleillée à venir. Le ciel, rosé, laissait à l’horizon l’astre de feu s’élever, dans un calme divin. Un rire d’enfant vint casser l’ambiance paisible. Le visage poupin, les cheveux châtains en bataille et le sourire jovial élargissant ses joues rondouillardes, il s’avança dans l’eau, qui s’étendait à perte de vue.

« Garett, attend donc un peu ! » s’exclama une voix un peu plus loin.

Scarlet tourna la tête. Serafinet Jones tentait péniblement de rejoindre son petit-fils, mais le décor changea brutalement, et la vieille dame se retrouva dans une forêt. Les arbres, immenses, laissaient peu de place aux rayons du soleil. Une femme sortit de l’ombre. D’une beauté légendaire, mythique, presque improbable, ses cheveux étaient remplacés par une multitude de plantes fleuries. Habillée d’une robe d’époque, celle-ci s’avança vers Scarlet, qui découvrit alors que ses traits étaient semblables à ceux de Maïa, bien que toute sa peau hâlée eût l’air de briller de mille feux.

« Lauria ? » lâcha Serafinet, bouche-bée.

Scarlet tourna la tête vers sa grand-mère, mais elle avait soudainement disparu. La panique saisit alors la jeune femme, qui recula, jusqu’à ce que son dos se heurte le tronc d’un arbre. Lauria cessa sa marche gracieuse au centre de la clairière, et porta son attention vers le ciel. A la fois intriguée et effrayée, Scarlet suivit son regard. A travers les nuages, un oiseau planait, effectuant une ronde élégante autour du soleil. Eblouie, elle ferma les yeux, et lorsqu’elle les rouvrit, le décor avait de nouveau changé. Cette fois-ci, Scarlet se trouvait dans son village, mais celui-ci était étrangement vide et silencieux. Un immense oiseau écarlate vint se poser sur le rocher bordant l’accès à la plage. Son cou, allongé, était courbé de sorte que sa tête soit positionnée de profil et que son œil puisse scruter le visage de Scarlet. Dans celui-ci, elle pouvait voir de hautes flammes embraser sa pupille. Bouche-bée, elle se perdit dans ce brasier flamboyant, jusqu’à ce que de fortes bourrasques de vent emportent le village et la retire dans une tornade puissante.

« Scarlet ! cria la voix d’Halia au loin. Scarlet ! »

Alors, la voix se transforma en celle de Charly.

« Scarlet ! Debout ! »

Puis, en celle de Sergei.

« Scarlet ! »

Dans un sursaut, elle se redressa, essoufflée. Elle essuya la sueur perlant sur son front d’un geste de la main, et essaya d’ajuster sa vision à l’endroit. Elle cligna des yeux plusieurs fois, apercevant alors Sergei, les bras croisés, le dos appuyé sur le poteau d’un ring de boxe.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demanda-t-elle en se relevant péniblement.

— Je t’ai collé une patate et t’es tombée dans les pommes. » répondit-il avec son accent caractéristique.

Ah, c’est vrai. Elle se rappelait, maintenant. Après les explications de Charly, ce dernier avait envoyé Scarlet auprès de Sergei pour qu’elle s’entraîne. Après tout, il était le seul à être revenu de l’endroit où se cachait la Dame de l’Enfer, donc il connaissait mieux que quiconque ses techniques de combat. Manifestement, Scarlet n’était pas au point. Alors, elle était montée sur le ring, avait échangé deux ou trois coups avec le monstre qui servait à Charly de bras droit, et s’était vu asséner un bon poing dans la figure, l’emmenant dans les bras de morphée quelques minutes.

« On recommence. » lâcha-t-il.

Elle grogna d’ennui, et se plaça en position de combat.

« Si tu arrives jusqu’à elle, ce qui n’est pas gagné, elle va utiliser ses couteaux. Il faut que tu la désarmes.

— J’ai saisi M. Montagne, soupira-t-elle en esquivant son crochet du gauche.

— Une fois fait, elle devra en venir au combat au corps à corps. C’est là que tu dois tirer avantage. »

Elle para un de ses coups de pied, puis un autre, et reprit sa position défensive initiale.

« Elle fait ta taille au moins ? Parce que là, à part te défouler sur moi, je ne suis pas sûre qu’elle mette autant de gaité de cœur que toi à briser ma mâchoire.

— Certes, mais moi, j’peux pas te blairer. »

Elle voulu rire, mais sa joie fut coupée par une attaque dans son flanc droit. Elle se tordit de douleur, la main en avant, implorant une pause.

« Ecoute, gaillard, souffla-t-elle, c’est inutile toute ces conneries.

— Tu vas te faire battre.

— Tu dis toi-même que c’est impossible de l’empêcher d’utiliser ses lames ! Donne-moi une arme qui puisse l’atteindre avant. »

Il acquiesça lourdement, et lui fit signe de le suivre.

« Et tu te prétends guerrière, grogna-t-il en poussant la porte d’une salle adjacente.

— Eh ! Je me suis… Qu’est-ce que c’est que tout ça ? »

Eberluée, elle avança dans la pièce. Les murs étaient parsemés de vitrines éclairées, mettant en avant un tas d’armes humaines comme celle qu’Aaron tenait la première fois qu’ils s’étaient rencontrés. Il y en avait de toutes sortes : longues, grosses, petites, avec des poignées, des canons et des gâchettes différentes. Maïa avait tenté de lui expliquer en quoi cela consistait, lorsqu’elle avait essayé de la maquiller. Elle avait déballé un lexique immense, sur ce qu’était qu’un pistolet, un revolver, une mitraillette ou encore un fusil. Pourtant, Scarlet était loin de s’imaginer qu’il puisse y en avoir autant, encore moins rassemblé dans une même salle.

« Ne t’éternise pas trop, la coupa Sergei. Ce n’est pas pour toi, ça.

— Ah, et pourquoi ?

— Trop long à expliquer comment on s’en sert. Toi, tu auras une épée. »

Elle s’arrêta, les sourcils arqués, visiblement étonnée.

« Une épée ? répéta-t-elle. Les Aldiens ne se servent de cette arme que dans la région rocheuse.

— Il te faut un truc qui tranche. »

Il appuya sur un bouton, et une fine étagère, à peine plus petite qu’eux, sortit du mur en départageant la pièce en deux jusqu’au centre. Face à eux s’étalaient tout un tas de reliques aiguisées. Emerveillée, Scarlet les découvrit une par une.

« C’est pour les Aldiens de la région désertique ça, lâcha-t-elle alors que Sergei lui désigna la lance du doigt. Quoi, tu plaisantes ? Seuls ceux des marécages utilisent la faucille.

— Alors avec quoi vous battez-vous ?

— On nous apprend à manier les couteaux, l’arc et les dagues.

— Tu ne battras pas Scorpio aux couteaux, et l’arc est trop voyant.

— A vrai dire, je ne suis pas très forte aux dagues… » lança-t-elle, une moue désolée collée au visage.

Il grogna.

« Tu ne vas pas avoir le choix, pourtant. »

Elle soupira. Bien qu’elle n’eût guère de sympathie pour cet homme, elle ne put nier la véracité de ses propos. Sur l’île, les habitantes de la région forestière étaient entraînées à manier les lames tranchantes des canifs sculptés dans les bois de chêne. Entre cours de combat et tir à l’arc, le maniement des autres armes avaient peu de place, excepté si les étudiantes décidaient de prendre des options. Il y en avait peu, et les professeurs privilégiaient les études générales, laissant de côté les jeunes guerrières en devenir. La manipulation des dagues était alors reléguée au second plan. Lorsque Cissi Polska, la rivale inavouée de Scarlet, avait décidé d’approfondir sa pratique en suivant les cours de maîtrise, elle n’avait pas résisté à l’envie de prouver une nouvelle fois sa supériorité en la matière. Cependant, elle n’était pas très assidue, et elle comprenait dorénavant qu’elle aurait mieux fait d’aller demander conseil à Kyrié plutôt que de se prélasser à la plage avec Halia.

Sergei ouvrit la vitrine qui les séparait des armes et attrapa les deux dagues exposées pour les tendre à Scarlet afin qu’elle commence son entrainement.

« Tu pourrais en utiliser qu’une seule, dit-il, mais doublées elles te permettent d’être avantagée. Moins rapides que les couteaux, elles ont tout de même l’avantage de nécessiter moins de précision tout en restant rapide. »

Au centre d’entrainement d’Alda, ils comparaient ces techniques de combat à une danse : gracieuse, souple, agile, subtile et discrète. Un soupçon revigorant saisit Scarlet. Peut-être n’avait-elle pas tout oublié, finalement.

Elle empoigna les manches, pointes vers son adversaire, et commença à imiter ce qu’elle avait appris. Dans des mouvements fluides et vifs, elle glissait sur le sol telle une danseuse classique, esquivant les attaques de Sergei avec une facilité qu’elle ne sut décrire. Cependant, la situation s’inversa rapidement, et la brute reprit l’avantage. Scarlet eut du mal à imaginer comment un colosse pouvait si bien connaître toutes les sortes d’armes et toutes les manières de combattre, pourtant, il semblait à l’aise en toute condition.

« Tu dois être encore plus furtive. » tonna-t-il, moralisateur.

Au plus profond d’elle, son cœur ne cessait de réclamer ardemment la victoire. Elle ne sut décrire ce sentiment, mêlé de fierté et de désir de surpasser l’ennemi, mais elle le ressentait avec une telle intensité que sa concentration était rivée sur l’ambition plutôt que sur l’instant.

« Tu es trop prévisible. »

L’était-elle ? Sans doute. Elle ne faisait que répéter les enseignements de ses supérieures, après tout.

« Haut, bas, gauche, droite, centre. Tu ne fais que ça. »

Elle essaya, encore et encore, changeant de place, de position et de technique, en vain. Sa défaite n’avait jamais été aussi cuisante. Essoufflée, elle demanda une pause, que Sergei hésita à lui accorder. Assise sur le sol la sueur dégoulinant sur son front jusqu’à humidifier ses vêtements, elle tenta de reprendre une respiration normale.

« Scorpio a combattu toute sa vie, lâcha-t-il, accusateur. Elle a tué des gens, beaucoup. As-tu déjà ôté la vie à quelqu’un ? »

Scarlet se mordit la lèvre. Commettre un meurtre ? L’horreur saisit son esprit. Personne sur Alda ne ferait une telle chose, jamais, ce n’était pas envisageable qu’une telle chose se produise. Il y en avait eu, autrefois, il y a déjà deux générations, mais le problème était résolu par bannissement définitif et personne au monde ne souhaitait quitter cette île. Sauf Garett, manifestement.

Cependant, elle n’avait jamais réfléchi à cette question et à sa signification. Donner la vie était la chose la plus pure et la plus divine que pouvait faire une Aldienne, lui donnant automatiquement le statut d’adulte et parfois même de dirigeante. Certaines en faisaient une consécration, un but à atteindre par tous les moyens. Alors enlever la vie ? C’était impensable, aucune des guerrières de l’île n’imaginait réellement en arriver là. Parfois même, cela remettait en question leur statut. A quoi bon être guerrière en temps de paix ?

Il y avait alors une grande différence entre chasser l’animal pour manger et tuer par cruauté. Elles étaient formées à défendre leur peuple contre les prédateurs et à faire régner l’ordre. De toute leur vie, aucune des femmes d’Alda n’avaient osé penser se battre contre d’autre humain dans le but de commettre des meurtres.

« Tu devrais aller te laver, reprit Sergei. Charly te donnera le dossier de Scropio Wyatt, et lorsque tu l’auras lu, peut-être trouveras-tu la motivation de la réduire à néant. »

Elle acquiesça, se dirigeant vers la porte. Une fois sous la douche, ses membres meurtris se détendirent, et l’eau chaude massa son dos parsemé d’ecchymoses. Les cheveux humides, elle se dirigea vers le bureau de Charly afin de connaître les réponses à ses questions. Le bourreau n’était pas là, certainement trop occupé à diriger ses sujets à la baguette. Sur la table, le dossier de Scorpio était mis en évidence. Avec curiosité, elle l’ouvrit, commençant les premières pages.

Scorpio Wyatt, vingt-trois ans, avait-elle lu en titre. Sur la photo épinglée, elle pouvait voir une femme aux cheveux d’un noir mat, lisse, une frange épaisse cachant son front. Bien qu’elle eût l’air moins négligée que Charly, elle n’en était pas moins cadavérique. Pâle, les joues creusées, ses yeux translucides étaient maquillés d’un noir charbonneux, accentuant ses traits anguleux. Elle paraissait bien plus jeune, mais son air dénué de toute vivacité faisait froid dans le dos. Jamais elle n’avait rencontré de femme aussi effrayante.

Scorpio avait été internée dans un asile, envoyée par ses propres parents. Aucuns scanners ne révélaient de quelconques troubles et aucun diagnostiques psychologiques établis suffisaient à rendre légitime sa présence ici. Pourtant, ils n'autorisèrent jamais sa sortie avant sa majorité. Elle vécut dans la rue quelque années, avant d’être soupçonnée du meurtre d’un avocat entre la seizième et la dix-septième avenue. Ednerys Arion, une des mercenaires les plus réputées de la ville pour ses contrats féministes décida de la prendre sous son aile et de lui enseigner les bases de la survie, mais celle-ci fut retrouvée morte quelques années plus tard dans son appartement, Scorpio près de son corps sans vie les mains en sang. Elle assassina quiconque prétendait qu’elle était l’auteure de ce meurtre, et devint la première rivale de Charly. Lorsque celui-ci s’est mit en quête de retrouver Garett Jones et Halia Haffdotir, elle enleva l’enfant afin de récupérer le montant de la prime.

Ses caractéristiques étaient : hystérique, lunatique, as des couteaux, sanglante, avide de tuer. La parfaite description d’une Charly bis, à croire que le métier de mercenaire était réservé aux personnes mal-nourries et au penchant pour l’assassinat irraisonné. Scarlet serra les poings, jusqu’à ce que ses ongles arrachent sa peau. Si Scorpio avait son petit-frère, elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour accrocher sa tête sur une pique.

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