Chapitre 31 :
L’entretien n’avait pas duré longtemps. Lucas ne pouvait pas rester plus longtemps et ne pouvait plus repasser pour aujourd’hui à moins d’émettre des soupçons sur lui. Sauf qu’il ne voulait pas car il pensait que cela serait plus facile de contrer mon évasion. Je me demandais s’il le faisait pour mon bien ou pour le sien… quoi que je n’aie pas à douter de lui, Lucas était là pour les autres. Je l’avais bien remarqué avec Pola, même si cela ne tournait pas dans le sens qu’il espérait.
En vérité, peut-être que j’aimais bien plus Lucas que je ne voulais bien le croire, sauf que j’aimais si fort Nathan. Mon monde c’était Nathan et personne d’autre. Cela faisait des années que je gravitais autour de lui, autour de son souvenir et autour de son absence. Je ne l’avais jamais oublié et je n’étais jamais passée à autre chose pendant ses années d’abandon. Puis, même si au début je ressentais plus de haine envers lui que de l’amour, les sentiments restaient toujours là enfouis dans mon cœur. Nathan était mon tout premier amour, il y aurait toujours quelque chose entre nous quoi qu’il arrive. Enfin… je crois. Nathan me disait qu’il m’aimait et il était sincère, je le connaissais suffisamment pour savoir qu’il disait la vérité.
Cela devait faire quelques heures que je me retrouvais à nouveau seule, dans une petite pièce sombre, attachée à une chaise. À moins que cela ne fasse que quelques minutes, le temps passait lentement lorsque l’on avait rien à faire. Ce n’était pas la première fois que je le remarquais, mais cette fois-là fut plus ennuyante et terrifiante que toutes les autres. J’eus une autre pensée qui n’avait pas frayé son chemin dans mon esprit jusqu’à présent : qu’est-ce qu’ils avaient fait de mon téléphone portable ? Je ne voulais pas sembler matérialiste, mais un portable ce n’était pas l’objet le moins cher du marché, et à ce que je savais, je n’étais pas spécialement riche.
Lucas m’avait conseillée de dormir un peu. Malheureusement, j’avais beaucoup trop dormi au cours de cette journée et je ne ressentais en aucun cas le besoin de me reposer. De toute manière, je restais immobile, donc je ne me fatiguais pas. Néanmoins je fermais les yeux. Ouverts et fermés, cela restait la même chose puisque la salle était plongée dans le noir. J’avais froid, peut-être parce s’était la nuit dehors, je n’en savais rien. Le calme qui régnait dans le couloir et dans ma salle me stressait un peu mais je n’osais pas siffloter ou chanter par peur de représailles. Le chef des Deadly Devil m’avait clairement dit qu’il voulait la peau de Nathan, et par conséquent la mienne par-dessus le marché. Je me retrouvais souvent dans des positions compliquées ces derniers temps. Je n’avais pas à être surprise de cela.
Nathan commençait à me turlupiner. Pas Nathan en lui-même, mais ce fameux braquage d’il y a quelques années. Je faisais totalement confiance à Nathan et chacun avait sa propre vision des événements qui n’était forcément pas objectif car ils étaient internes dans cette histoire mais aussi car ils n’étaient pas dans le même camp. Peut-être qu’il avait voulu me cacher des choses pour mon propre bien, ce qui ne m’étonnerait pas, loin de là. Il voulait mon bien, plus que beaucoup d’autres gens. Ma confiance était toute à lui ainsi qu’aux gens que j’aimais. Lucas aussi avait cette confiance pour le moment, et s’il tenait vraiment parole, il était peut-être possible que je lui fasse réellement confiance dans la vraie vie. Mais Nathan et le braquage commençaient à m’inquiéter.
J’entendis des pas arriver. Je n’ouvrais toujours pas les yeux mais mes poils commencèrent à se redresser et je contenais mon inquiétude. Il n’y avait normalement pas de personnes qui devaient être présentes la nuit. Enfin, Lucas ne me vantait pas les mérites de son gang pour l’entraide, donc je n’imaginais pas qu’ils fassent comme le mien et qu’ils accueillent les SDF la nuit. Peut-être qu’ils s’investissaient aussi dans le monde plus que louche de la nuit. En réalité, cela ne m’étonnerait même pas puisque ce gang paraissait si mauvais. Comment Lucas pouvait-il en faire partie ? Le gang ne reflétait pas son état d’esprit.
J’écoutais une clé s’insérer dans la serrure. Était-ce le moment donc Lucas m’avait parlée ? Avec le peu de lumière qui traversa la pièce, je compris cependant que ce n’était pas le cas. Je ne savais pas qui s’était, mais une chose était sûre : ce n’était pas Lucas. La lumière s’alluma et cette fois je l’affrontais même si cela piquait les yeux. C’était Jimmy, le petit frère de Nathan. Même s’ils se ressemblaient énormément, on ne pouvait pas se tromper entre les deux frères. Je le regardais dans les yeux ne comprenant pas pourquoi il venait me voir. Il referma à clé la porte et détacha mes liens avant de se poser contre le mur et de glisser lentement contre. Je frottais mes poignets sans un mot alors qu’il me regardait faire. Je finis par reporter mon attention sur lui.
— Qu’est-ce que tu fais là ? demandai-je en me levant.
— J’ai des troubles du sommeil, avoua le jeune homme. Je ne prends pas vraiment mes médicaments pour m’aider.
— Tu devrais les prendre, déclarai-je en marchant un peu. Ce trouble finira par affecter ta santé, cela serait nul.
— Je ne suis pas vraiment certain de vouloir dormir. Je veux dire, j’ai tellement de choses à faire et à penser à certaines autres. Tu sais Lau, ma vie n’est pas super calme et plaisante.
— Parce que tu penses que la mienne et mieux ? souris-je. Je n’ai absolument rien fait à personne, et on veut déjà me tuer. Et maintenant je suis à la merci de tous, elle est pas mal ma vie, non ?
Je ne ressentais pas spécialement de colère envers Jimmy. Certes il faisait partie du gang ennemi, certes s’était lui qui avait entraîné Nathan dans ce monde, mais malgré tout il me faisait de la peine. Comment en était-il arrivé là ? Je savais bien qu’il avait toujours été torturé, mais ce monde ne semblait pas arranger cela. À force d’avoir été avec Nathan, je le considérais comme mon petit frère. Il ne méritait pas de tomber aussi bas, il devait se relever pour aller bien. Sauf qu’il n’avait même pas l’air lui-même d’en avoir conscience.
— Mon frère n’aurait jamais de te retrouver, lâcha Jimmy en posant sa tête sur un de ses genoux.
— Pourquoi tu dis cela ? m’étonnai-je en me retournant net.
— Car tu ne mérites pas ce traitement. On le sait tous, mais ce monde est cruel. Tu aurais pu continuer ta vie tranquillement s’il n’était pas retourné vers toi. Avec tous ce qu’ils se passent autour de nous deux, ce n’était pas judicieux de sa part.
— Et qu’est-ce qu’il se passe autour de vous deux ? enquis-je en m’avançant vers lui.
— Il a dû te parler du braquage.
— Oui, cela il m’en a parlé. Mais je ne connais pas vraiment grand-chose là-dessus, juste ce qu’il s’est passé.
Il hocha la tête sans un mot. Je me mordillais la lèvre. Bien-sûr, je ne m’attendais pas à ce que Jimmy se confit spécialement à moi, mais je n’aimais pas le voir dans cet état-là. Je fis quelques pas pour m’asseoir à ses côtés, contre le mur. Il me regarda un peu avant de détourner le regard.
— Jimmy… je crois que tu es celui qui a eu le plus de problèmes dans ce monde-là. Je sais que tu ne voudras sûrement pas m’en parler, mais je suis là si tu le veux. Je cherche juste à comprendre.
— Comprendre quoi ?
— Pourquoi tu en es arrivé là. Je sais que tu n’as pas eu des périodes faciles dans ta vie, mais qu’est-ce qui justifie le fait de rentrer dans ce monde dangereux ?
— Rien. J’ai juste eu un moment de faiblesses à cause de pleins de trucs qui se sont accumulés. Mais je ne regrette absolument pas. Tout le monde, tous ceux qui ne sont pas dans le gang pensent que je suis soumis à tout mon gang et que je suis manipulé, mais c’est faux. Je sais ce que je fais. Dis-le à Nathan s’il-te-plaît.
— Je lui dirais… passe-moi ton téléphone.
— Ne t’avise pas à lui envoyer un message, cela fait longtemps que je ne lui réponds plus alors je ne veux pas qu’il commence à me harceler de messages après.
Je ne comptais envoyer de messages à Nathan même si c’était vraiment tentant. Je ne pouvais pas faire cela à Jimmy, et à Nathan non plus. Mon petit-ami aurait eu un faux-espoir en voyant un message de son frère. Cela aurait été trop dur pour lui. Lucas était là pour le rassurer et me ramener saine et sauve. Même s’il ne l’appréciait pas et qu’il ne lui faisait pas confiance, je savais que Lucas ferait passer tout ce que je voulais lui dire à Nathan. À la place, j’allais dans les contacts de Jimmy et j’inscrivis mon numéro avant de l’enregistrer. Peut-être qu’un jour, il déciderait de se libérer de tout ce qu’il gardait pour lui depuis des années. Je lui rendis son portable.
— Qu’est-ce que tu as fait ? voulut-il savoir.
— Tu verras, lui dis-je simplement.
Jimmy était toujours aussi curieux. Je souriais en le voyant rallumer son téléphone pour chercher. Il éplucha chaque conversation par message de chaque application. Cela prit plus de temps que je ne le pensais. Je fus étonnée de voir à quel point Jimmy avait des contacts. Était-ce principalement lié au monde des gangs ? Il finit par aller dans ses contacts et repéra mon nom. Il sourit avant de tourner la tête vers moi.
— Merci, murmura-t-il avant de poser sa tête sur mon épaule.
— On fait partie du même monde, commençai-je. On n’est peut-être pas dans le même bateau toi, moi et Nathan mais tu es comme mon petit-frère. Alors si tu as besoin, n’hésite pas à m’envoyer un message.
— D’accord…
Je voulais lui demander si malgré tout, son père et ses frères lui manquaient. Ce sujet aurait instauré le malaise si je l’avais abordé. Si Jimmy en parlait, cela aurait été plus facile, mais ce n’était pas le cas. Alors je n’en parlais pas. Malgré tout, même si je n’étais pas la personne qui le connaissait le mieux, je savais qu’il avait un cœur. Je restais persuadée que cela lui faisait mal de ne plus avoir de nouvelles d’eux. S’il faisait cela, c’était sûrement pour les protéger, donc il les aimait.
On resta un moment côte à côte, sa tête posée sur mon épaule sans rien dire. Le silence n’était pas lourd et gênant. Il était reposant. On ressentait comme un soutien commun sans ce le dire. La fatigue ne me gagnait pas et c’était la même pour Jimmy. Sauf qu’il avait des choses à faire et ne pouvait pas rester auprès de moi aussi longtemps. Il me rattacha et me souhaita ‘‘bonne chance’’ avant de partir.
La pièce retrouva son état normal : sombre et silencieuse.
+++
J’avais tout de même un peu dormis pendant la nuit ou le matin. Je ne savais pas de quelle heure à quelle heure, mais cela n’avait pas duré énormément. De toute manière, l’activité au sein du bâtiment aurait finit par me réveiller. J’avais vraiment dû être assommée par les produits avant pour ne pas être réveillée par toutes ses voix et tous ses bruits de pas. Pour le déjeuner, ce fut la même fille qui m’avait escortée à l’interrogatoire qui me surveilla. Cela aurait été plus réconfortant que cela soit Lucas, mais il n’avait peut-être pas eu le droit cette fois-ci. Je mangeais mon repas lentement pour ne pas être replongée dans le noir aussitôt. La fille ne me pressa pas et alla sur son téléphone. Le retour dans le noir fut difficile.
C’était vers seize heures que la porte se rouvrit et que deux personnes entrèrent. Lucas alluma la lumière et je fus surprise de voir Linda qui s’avançait vers moi, le visage inquiet.
— Oh mon dieu ! Laurianne ! s’exclama-t-elle en me serrant dans ses bras malgré la chaise.
— Linda mais qu’est-ce que…
— Nathan m’a dit que tu ne voulais pas que je sois impliquée dans le monde des gangs. Moi non plus je ne voulais pas, mais il était hors-de-question qu’on te laisse entre les mains de ces psychopathes enragés, affirma-t-elle avec un petit sourire même si je pouvais ressentir sa tension.
Lucas portait un sac avec lui. Il me détacha de la chaise et fouilla dans son sac avant d’en ressortir une cagoule noire avec des trous pour la bouche, le nez et les yeux. Il m’en donna une et enfouit une autre dans une poche de sa veste puis il passa le sac à Linda qui le passa sur une épaule.
— Écoute, il va falloir aller vite, annonça Lucas qui paraissait un peu stressé. Dès qu’on sera sorti, enfile cette cagoule. On laissera la lumière éteinte pour gagner du temps. Je reviendrais te chercher avec ma cagoule, et ce que tu auras à faire, ce sera juste de courir le plus vite possible en me suivant.
— Comment est-ce que vous allez faire pour faire diversion ?
— Le chef est censé annoncer aujourd’hui que je suis en période d’essai, révéla Linda. Nathan et d’autres amis vont arriver avec des armes pour nous retenir dans le hall pendant un moment. Les armes ont été retirées. Pour qu’il y ait moins de soupçons, ils finiront de nous menacer un peu avant votre sortie, mais ils ne sont pas idiots. Ils comprendront.
— J’ai jamais été forte pour courir vite, soufflai-je.
— Je serais là, promit Lucas avec un signe de la tête.
Il déposa un baiser sur mon front avant de partir avec Linda qui me serra une dernière fois dans ses bras en me murmurant qu’ils allaient me sortir de cet endroit. Cela me fit un vide lorsqu’ils partirent. Je me demandais combien de temps je devrais attendre. Je n’éteignis pas la lumière immédiatement, même habituée au noir, j’en avais un peu marre tout de même.
J’éteignis tout de même la lumière bien avant que Lucas arrive. J’eus le temps de me plonger dans mes pensées en attendant. J’avais comme l’impression d’être précieuse : on me kidnappait et des personnes faisaient tous leur possible pour m’échapper de cet enfer. Il y avait tellement de personne qui tenait à moi… tellement plus que ce que moi je pouvais penser. Pourtant je n’étais pas si importante que cela. La porte s’ouvrit d’un coup et je reconnus la main de Lucas qui prenait la mienne.
Lucas était sportif. Il courait vite, très vite et j’avais bien du mal à le suivre même si je courais au maximum. Il tenait toujours ma main pour ne pas me perdre et fonçait tête baissée. Je ne faisais même pas attention à l’environnement autour de moi. Lorsqu’un coup de feu se fit entendre, je ne m’arrêtais pas malgré la peur qui s’emparait de moi. J’espérais que cela n’avait pas touché un de mes amis. On passa devant une porte ouverte : la salle où les Deadly Devils étaient rassemblés. J’entendis crier un « rattraper les ! » et des pas de courses. On arriva vers la sortie. Je risquais un coup derrière nous en même temps que Lucas et je vis une dizaine de personnes nous courser. Certains possédaient des armes.
— Putain, lâcha Lucas en nous pressant un peu plus.
Des coups de feux retentirent et je ne sais pas s’ils atteignirent quelqu’un. Même dehors, on courut à vitesse moyenne jusqu’à temps de s’arrêter au café des parents de Lucas. On s’arrêta d’un coup. On enlevait nos cagoules qu’on gardait toujours dans les mains. Je reprenais mon souffle, me pliant en deux. Je n’avais jamais dû courir aussi vite de toute ma vie. Je me retournai vers Lucas pour le remercier mais je le trouvais étrangement pâle. Il s’appuya contre le mur et je descellai de la douleur sur son visage. L’inquiétude s’empara de moi. Il appuya ses mains sur le bas gauche de son ventre. Alors qu’il serrait les dents je soulevai un peu son t-shirt pour voir la blessure. Le sang coulait beaucoup trop.
— Il faut t’emmener à l’hôpital ! m’écriai-je d’une voix suraigüe.
— Non, gémit-il. Mes parents ne doivent pas être au courant, et le gang encore moins.
— Et la balle ?
— Elle a traversé.
— Mais comment on va faire ? Tes parents sont à l’intérieur ! Je ne vais quand même pas te laisser vider de ton sang !
— On doit trouver un endroit tranquille, souffla-t-il fatigué.
— Quoi, non ! Non ! Je refuse de te laisser mourir !
— Hey Laurianne, commença-t-il en encadrant mon visage avec ses mains alors que j’appuyai avec les miennes sur sa blessure. Avec un peu de chance l’hémorragie s’arrêtera.
— Tu es naïf, dis-je avec un rictus nerveux. Pas une blessure comme cela, tu devrais aller à l’hôpital.
— Si je vais à l’hôpital, ils appelleront la police, et on a pas besoin de cela en plus. Et tu vois une autre solution plutôt que d’attendre ?
Je réfléchis pendant quelques minutes, sachant que le temps était compté. Il était hors de question que je laisse Lucas dans cet état. Pas lui.
— As-tu les clés de ta voiture ? questionnai-je en commençant à passer un de ses bras sur mon épaule.
— Je t’ai dit qu’on irait pas à l’hôpital !
— On ne va pas aller à l’hôpital.
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