Chapitre 38 :
Je m’inquiétais de plus en plus pour Jimmy. Les dernières révélations faites ne m’aidaient pas à me rassurer, surtout après son appel. Il avait l’air tellement perdu… J’espérais juste qu’il n’était pas arrivé au point de non-retour. Pour moi, tout était clair : il devait s’émanciper du monde des gangs comme chacun d’entre nous, et il devait retrouver son père. Récupérer les moments perdus avec sa famille. Je le sentais bien dans sa voix qu’elle lui manquait, et je le connaissais aussi. Il avait besoin de personne avec lui, même s’il affirmait le contraire.
Je passais toute la matinée à redouter la confrontation entre Nathan et moi. Lucas tentait tout de même de me rassurer, mais rien n’y faisait : j’avais peur. Je ne savais même pas de quoi d’ailleurs. Peut-être de sa réaction. Peut-être de sa frustration. Peut-être de ses reproches. Quelques jours éloignés de lui m’avait fait du bien, vraiment, même s’il avait débarqué comme cela car ses nerfs avaient craqué. Je ne savais pas comment me comporter face à lui. Si je devais me taire ou si je devais répliquer. Peut-être que cette fois-là, cela ne tournerait pas en dispute. Mais si cela tournait en dispute, c’est qu’on était peut-être bien au bout de notre relation. Peut-être même qu’on l’était déjà…
— Je peux sortir de la maison un moment si tu veux, proposa Lucas. En plus cela sera plus facile pour Jimmy de trouver la maison.
— Non, insistai-je. Je ne vais pas te virer de la maison juste parce que je dois m’expliquer avec Nathan. Si tu es gêné, ce que je comprends très bien d’ailleurs, tu pourras aller dans une autre pièce. Mais pas besoin que tu sortes dehors.
— Tu n'as pas peur que j’écoute-toi, ironisa-t-il en me rejoignant sur le canapé.
— De toute façon tu es le seul ici donc tu aurais été le tout premier à savoir ce qu’il se serait passé. Donc au final, cela ne change pas vraiment grand-chose.
— Je suis touché que tu me fasses autant confiance.
— Hors mes amis, tu es bien la seule personne en qui je peux faire confiance.
— Cela va bien se passer avec Nathan, relativisa-t-il en passant son bras autour de mes épaules alors que je posais ma tête sur une des siennes. Puis, il va se passer ce qu’il devra se passer. On ne peut pas forcer les choses, ou les sentiments ou je ne sais quelle autre chose. Si les sentiments commencent à pourrir, c’est que cela devait se finir.
— Je sais, murmurai-je.
Je sentis ses doigts s’emmêler dans mes cheveux, proche de mon crâne, et je fermai les yeux.
— C’est quoi ça ? Sur le haut de ton crâne ? Presque caché par tes cheveux ?
— Un bouton de varicelle, fis-je en souriant. Il a explosé quand j’étais petite. J'étais toute seule en plus, et ma grand-mère était là… c'était pendant les vacances et à la rentrée je ne voulais pas dire que je l'avais eu, mais la maîtresse m'a un peu forcée à le dire. J'ai été un peu traumatisée.
— J'ai eu la chance de ne garder aucune trace, répliqua Lucas avec un petit sourire.
— Après, ça fait un petit style… non ? tentai-je.
— Ah, tu vois, ce que je dis, tu en prends de la graine ! Je suis plutôt pas mal en tant que conseiller, non ?
— Prends pas trop de la confiance non plus, rigolai-je en observant son visage.
Cela le fit rire. Tant mieux alors. Tout compte fait, nous avions tous les deux besoins de légèreté en ce moment. Parce que j'étais totalement paumée et qu'il se retrouvait dans une position compliquée dans son gang. J'en étais la cause en plus, et me laisser tomber ne lui effleurait même pas l'esprit ! Je déposai un baiser sur sa main avant que l'on sonne à la porte. Je n'avais plus vraiment le temps d'appréhender mais je pus facilement ressentir une vague de peur et de stress. Alors que Lucas se dégageait, je m'affalai sur le canapé. Pourquoi avais-je accepté ce rendez-vous ? Car j'étais piteusement faible face à Nathan.
— Bon, je vais aller dans la chambre d'ami, annonça Lucas. Je vais essayer de ne pas trop écouter car ceux ne sont pas mes affaires, mais je tiens quand même à surveiller, si cela dérape, peut-être que je devrais intervenir.
— Si tu juges bon d'intervenir, interviens si tu es vraiment sûr. Mais fait gaffe, après ce qu'il s'est passé la dernière fois… je n'ai pas envie que sa colère déborde définitivement.
— Je pense que l'on n'a tous les deux pas envie de cela. Alors je vais y aller et tu devrais lui ouvrir.
Au moment où il finit sa phrase, la sonnette retentit encore une fois et je me levai alors que Lucas fila rapidement dans la chambre qu'il occupait. Je respirai un bon coup avant d'ouvrir la porte. Nathan attendait, appuyé contre le mur.
— Salut, dit-il en me fixant.
— Salut, soufflai-je.
Je lui fis signe d'entrer et il s'exécuta. Je refermai la porte et m'encourageai mentalement comme si cela allait changer grand-chose. Cela ne changerait absolument rien. On resta planter là, face à face, dans le salon. Et tout était silencieux, même Lucas ne trahissait pas sa présence.
— Il n'est pas là, constata Nathan en regardant tout autour de lui.
— Il est retourné dans la chambre qu'il a prise pour ne pas nous déranger, indiquai-je en m’asseyant sur le canapé et je relevai le regard vers lui.
— C'est gentil à lui de nous laisser un peu d'intimité.
Je ne pensais pas vraiment qu'on pouvait appeler cela de l'intimité. Nathan devait bien se douter que Lucas restait sur ses gardes à tout moment, mais il ne l'exprima pas. Il ne voulait sans doute pas parler de lui immédiatement.
—Tu me manques Laurianne.
Son aveu me laissa de marbre. Je ne savais pas vraiment comment réagir. Je ne pouvais pas faire apparaître ma colère. Pas après ce qu'il venait de me dire, je ne pouvais pas le rembarrer comme cela.
— C'est toi qui m'a laissée, répondis-je.
Je le vis se mordre la lèvre et il détourna son regard. Et oui, ça ce n'était pas moi qui l'avait décidé. Et cela avait été mon déclic qui me faisait douter de mes sentiments. Envers Lucas et envers lui. Finalement, je réalisai que j'étais coincée entre deux.
— Ouais, je sais… je… je te l'ai déjà expliqué. Laurianne… je t'aime, sincèrement et je suis désolé pour mon comportement de la dernière fois. Je ne sais pas ce qu'il se passe dans ta tête. Et quand Lucas est venu, j'ai compris que tu ne m'avais pas tout dit. Je ne comprenais pas pourquoi tu ne m'en avais pas parlé, et je me suis fait des idées. Cela m'a rendu fou. J'avais aussi besoin de prendre mes distances moi aussi. Ce n’était pas dans le but de te faire mal.
— Je m'excuse moi aussi. J'aurais dû prendre les devants. J'aurais dû te parler, de ce que je ressentais, et des menaces qui pesaient sur moi. Mais c'était par rapport à Lucas, et je savais que cela ne te plairait pas que je te parle de lui puisque tu le détestes.
— Je ne voulais pas que tu l'approches, avoua Nathan en baissant la tête.
— De quoi avais-tu peur, Nathan ? Tu détestes Lucas, mais il a énormément de qualités et il n'est pas méchant, bien au contraire. Il est loin d'être comme toutes ses personnes du monde des gangs. Il est humain.
— Parle-moi Laurianne, supplia Nathan en ignorant mon éloge sur Lucas. Même si cela ne me fait pas plaisir, j'ai besoin de savoir ce que tu ressens exactement à la minute où on se parle.
— Je ne peux pas, chuchotai-je. Je suis la première à vouloir être honnête avec tout le monde. Mais je te jure que je ne peux pas te le dire, parce que je ne sais même pas ce que je ressens moi-même.
— Non, c'est trop facile, Laurianne. Tu as beau être perdue, et crois moi, je te comprend, mais tu ressens forcément quelqu'un chose pour moi et Lucas. Et ceux que je veux savoir, c'est ce que tu ressens, le type de sentiments que tu ressens.
Nathan commençait à hausser d'un ton et je me demandais si la vérité allait l'agacer encore plus ou le frustrer. Je n'aimais pas assister à ses coups de sang comme ça. Pas que j'avais peur, mais je ne comprenais pas comment il pouvait se mettre dans un tel état.
— Si j'avais été courageuse, je t'aurais parlé et j'aurais fait un break pour mieux me retrouver et réfléchir, commençai-je. Bien sûr que j'ai des sentiments pour toi, c'est évident cela ne ce dit même plus. Mais y a Lucas aussi. Il n'est pas comme les autres, et tu es un de premiers à l'avoir saisie. Et je suis perdue.
— Putain Laurianne, jura Nathan en relevant le regard. Est-ce que tu te rends compte de ce que tu fais ? On était bien tous les deux ! Et là, tu remets tout en question. Et pour qui ? Pour Lucas ! Que tu ne connais que depuis grand maximum quelques semaines ou mois. Tu nous remets en question comme cela. Tu n'as pas le droit de faire de cette manière-là !
— De quelle manière ? m'étonnai-je. Si tu voulais si bien me convaincre que Lucas était toxique pour moi, tu n'avais qu'à pas me quitter une seconde fois ! Car ce déclic, je ne l'aurais peut-être pas eu si tu n'avais pas forcé les choses ! J'ai besoin de réfléchir à tout ça avant de prendre une décision.
— Quelle décision ? Tu vis avec Lucas je te rappelle ! Il peut t'influencer à tout moment.
— Je vis avec Lucas car il s'est pris une balle et qu'il doit se rétablir sans inquiéter ses parents ! Tu penses que je suis le centre du monde ? Ou que tu l'es ? Je suis désolée de t'apprendre que l'on est plus préoccupé par la guerre des gangs qu'autre chose car on est plus en danger que jamais.
— Je suis censé tuer David, déclara soudain Nathan. L'ensemble des gangs alliés me l'ont demandé. Mais je ne peux pas faire ça, pas tuer quelqu'un…
— Et lui il veut aussi te voir mort, l'informai-je. Moi de même sûrement après.
Nathan ne commenta pas ce que je venais de dire. Mais nous étions vraiment tous dans un cercle vicieux qui nous retenait prisonnier, jusqu'à ce qu'un de nous meurt et qu'on se réveille pour bouger efficacement. Alors qu'il allait dire quelque chose, la sonnerie se manifesta encore une fois et Nathan me regarda en fronçant les sourcils.
— J'y vais ! prévint Lucas en haussant sa voix.
Il passa rapidement mais je pus remarquer qu'il rougissait un peu. Oui, nous retrouver tous les trois dans la même pièce était très gênant. Nathan le toisait. Je regardais l'heure et je me dis que Jimmy devait être arrivé en avance… mince ! Jimmy et Nathan dans la même pièce, alors qu'ils ne se parlaient plus depuis longtemps maintenant. J' aurais dû avancer la discussion avec Nathan pour qu'ils ne se croisent pas. J'avais mal prévu cette fois pour le coup. Lucas ne semblait pas si agacé que moi et Jimmy lança un bonjour avant de s'immobiliser lorsqu'il vit son grand-frère. Je ne pris même pas la peine de baragouiner une explication. Cela ne servirait pas à grand-chose, le fait était là : les deux devaient venir aujourd'hui.
— Toi, mon frère et Lucas, dans la même pièce… c'est vraiment très gênant, Laurianne.
Oui, cela je le ressentais moi-même. Suite au commentaire de Jimmy, l'ambiance devint encore plus pesante. Nathan hésitait sûrement entre la colère et l'incompréhension. Cela, je le comprenais aisément. Il se demandait pourquoi son frère venait ici. Je lui expliquai en quelques mots en insistant bien sur le fait qu'on était en danger. Je ne lui dévoilai pas les détails sur ce que son frère et Lucas devaient accomplir mais il imaginait sans doute que ce n'était pas très glorieux puisqu'on essayait de trouver une solution pour les échapper de cela.
— Comment as-tu pu en arriver là ? s'exaspéra Nathan en se tournant totalement vers son frère. Tu sais, des fois je me demande à quoi tu penses. Comment as-tu pu t'abaisser à ce gang ? Te rends-tu compte que papa ne comprend pas pourquoi tu ne viens plus le voir ? Le pire, c'est qu'il voudrait te voir. Tu pourrais faire un effort.
— Que crois-tu ? Que je ne vois plus papa par simple plaisir ? Il y a des choses que tu ne sais pas, parce que je n'en ai pas parlé à Laurianne. Mais David a des moyens de pressions sur moi. C'est pour ça que je reste dans le monde des gangs.
— Quoi ? s'inquiéta Lucas en fermant la porte à clé. Jimmy tu aurais dû fuir. Qu'est-ce qu'il se passe avec David ? Tu ne peux pas garder tout ça pour toi.
— Je n'ai pas fait des trucs très droits et honnêtes à sa demande. Et maintenant il l'utilise pour me mettre la pression et m'obliger à faire ce qu'il veut.
— Ce n'est pas vrai, lâcha Nathan. Mais dans quoi t'es-tu embarqué ?
— On va te sortir de là, affirmai-je en me levant. Il est hors de questions que tu restes dans ce monde-là. Tu n'es pas fait pour cela.
— Laurianne a raison, embraya Nathan. Je suis ton frère. Je ne te laisserai pas une seconde de plus y laisser ta vie. Cela ne peut pas se terminer comme cela.
Il se leva à son tour, très certainement pour partir. Je ne lui adressai pas un mot et lui non plus. Il s'approcha de son frère et le serra dans ses bras alors que Jimmy resta stupéfié. Il lui murmura quelques choses à son oreille que je ne perçus pas. Lucas ne sachant pas vraiment ce que son ennemi allait faire tournait la clé dans la serrure et s'écarta de la porte.
— Fait attention, conseilla-t-il à son frère. Prends soin de toi.
— Toi aussi, je ne suis pas le seul embarqué dans ce monde dangereux, répondit Jimmy en hochant la tête.
Nathan lui assurait que cela se passerait bien pour lui. Malgré tout, et je n'osais pas le signaler aux autres, je ressentais un mauvais pressentiment pour nous tous. Nathan vint jusqu'à moi et me déposa un baiser sur la joue et fit un signe de tête cordial à Lucas qui l'imita. Puis nous nous retrouvions tous les trois : Jimmy, Lucas et moi. Jimmy s'installa à la table de la cuisine alors qu'on le rejoignait.
— Bien… c'est moins gênant maintenant que mon frère est parti. J'aurais dû venir plus tôt ! Comment était le spectacle ? Y a pas eu trop de cris j'espère.
— Ce n'est pas drôle, concéda Lucas en croisant les bras et en s'appuyant contre le mur. Est-ce que cela va aller, Laurianne ?
— Oui, le rassurai-je. Nathan était réceptif aujourd'hui même si je comprends bien sa déception. Mais bon, la vie continue, il ne faut pas se laisser déboussoler. Encore moins en ce moment.
— Et tu sais déjà vers qui tu vas te tourner ? demanda Jimmy.
— Jimmy ! Sérieusement, gronda Lucas même si cela me faisait sourire nerveusement.
— Bon OK ! Je vais être sérieux ! Qu'est-ce que je fous là exactement ?
— Tu sais bien que je suis aussi dans une position délicate, commença Lucas. Et je ne livrais pas Laurianne à David.
— Évidemment qu'on ne laissera pas Laurianne à David. Les innocents n'ont pas à payer. Il aurait dû le comprendre avec le temps. C'est qu'il est juste présent pour s'enrichir. Bon… c'est quoi votre idée ?
— On va avoir besoin d'aide justement, déclara Lucas. On voulait enlever David et le forcer à dire tous ses méfaits. Mais on ne peut pas le faire seul.
— Effectivement, si tu connais d'autre personne à part Maëlle et Linda pour nous aider… même s'il y a Laurianne, comme je serais avec vous, cela m'étonnerait que mon ancien gang nous aide.
Lucas hocha la tête. On en avait parlé et il avait eu la même conclusion que le petit-frère de Nathan. La plupart connaissaient David mise à part moi, donc ce n'était pas judicieux.
— Le gang de mon frère, lâchai-je. Peut-être qu'ils peuvent nous aider si mon frère demande.
— Ça vaut le coup d'essayer, accepta Lucas.
— Et s'ils ne veulent pas ? s'enquit Jimmy.
— On trouvera. Il faut trouver, c'est nécessaire.
— Puis, pour mon gang, ils tiennent à Nathan et il sera en danger. On pourra jouer sur cela même si tu es avec nous Jimmy.
— Tu as raison Laurianne. Si Nathan ne leur parle que de lui et de toi, cela pourrait nous aider !
— J'espère franchement que votre plan marchera, commença Jimmy. Car s'il rate, nous sommes tous mal. Et Lucas et moi, peut-être même pire que ton sort Laurianne.
Il avait raison. Le jeu avait intérêt à en valoir la chandelle.
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