Chapitre 2.2
Maintenant qu’elle était plus proche de lui, Sativa put constater à quel point son physique s’était développé. Il était grand, un mètre quatre vingts, autant que la jeune elfe noire. Son corps ne semblait pas contenir un gramme de graisse et tout en muscle, rien de superflu, un corps nerveux, qui avait été acquis au combat. Si la pirate avait dit que le physique du jeune humain ne lui plaisait pas, cela aurait été un mensonge éhonté.
Sativa fit grincer le pont avec sa botte, annonçant ainsi sa présence pour ne pas effrayer Léo. Ce dernier se retourna, sur le qui-vive et il se détendit en voyant qui était à l’origine du bruit.
— Comment te sens-tu ? demanda-t-il d’un ton neutre.
— Beaucoup mieux, répondit-elle.
— Bien.
Et sans rien ajouter, Léo se retourna. Sativa n’y voyait pas de l’indifférence, la culture barbare du jeune homme en faisait quelqu’un de simple et de direct. Il ne s’embarrassait pas de long discours ou de subtilité. Ce qui pouvait aussi bien être une qualité qu’un défaut. Ne souhaitant pas rester seule dans le silence, Sativa s’accouda également au bastingage. Sachant que le guerrier était un grand taciturne, elle engagea la conversation :
— Comment ça s’est passé au village, après que je suis partie ?
Léo mit quelques secondes à répondre :
— Rien de bien particulier, les trucs habituels. L’élevage des vaches, les récoltes et les bêtises des poivrots. Mais bon moi et Fred on s’est tirés trois mois après ton départ. Comme il te l’a dit, on est partis pour le temple de Justiçator pour qu’il devienne paladin. Personne au village ne pouvait nous aider à devenir plus fort. On a suivi plusieurs mois de formations au maniement des armes, puis Frederick commença sa formation de paladin et moi j’ai continué l'entraînement au combat. La suite, tu la connais déjà.
Simple et sans fioriture. Le discours de Léo était à son image, mais il était clair. Sativa raconta alors sa propre histoire :
— Quand je suis partie, j’ai pris la direction de la côte, c’est là-bas que j’ai trouvé mon équipage de pirates. On s’appelait les « Tigres de Sel », on a bourlingué un peu partout dans les archipels de la côte. On a trucidé des gobelins, pillé des trésors, mais le dernier que l’on a trouvé nous a attiré des problèmes et…
Sativa ne parvint pas à poursuivre.
— Si tu ne veux pas en parler, n’en parle pas, dit simplement Léo sur un ton monocorde.
L’elfe noire inspira longuement avant de répondre :
— Je suis la seule survivante.
Léo émit un simple grognement, Sativa n’était pas sûr qu’il faille l’interpréter comme un signe d’assentiment. Le style d’expression du jeune barbare pouvait presque être comparé à une autre langue. Elle allait devoir réapprendre à le parler. Sativa ne trouva pas d’autre sujet de conversation, par conséquent elle fit comme Léo et se plongea dans une réflexion silencieuse.
Elle n’était pas rentrée chez elle depuis bientôt deux ans. Ses parents, des alchimistes et herboristes reconnus, parcouraient le monde afin d’étoffer leurs connaissances. Dans le but de ne pas imposer leur mode de vie quasiment nomade à leur fille, ils établirent leur maison dans le petit village de Port-bœuf où ils passaient souvent. Là y vivait l’un des oncles de Sativa qui s’occupa d’elle à partir de ses dix ans. Sativa passa sept années de sa vie dans le village. C’est au côté de Léo et de Fred qu’elle apprit le maniement des armes, leur maître d’armes, Alexander Trace, était un vieux soldat à la retraite. Grâce à cela, Sativa avait développé un corps digne d’une athlète.
À l’approche de l’âge adulte, l’appel du large se fit de plus en plus fort dans le cœur de Sativa. La pratique des armes et son attrait pour les choses cachées, lui avait donné sa vocation : elle serait pirate. Le lendemain de l’anniversaire de ses dix-sept ans, elle quitta le village et partit pour la côte. C’est là que son chemin avait croisé celui des « Tigres de Sel » et que ses aventures sur les mers avaient commencé. Avec eux, Sativa avait tout appris du métier de marin, puis de flibustier. Jozzar, le navigateur et Vozar, le timonier, lui avait enseigné la science navale. Bazo, le pisteur, l’art de la traque et de la chasse. Yava, la canonnière, le tir.
Et enfin Korra Malte, la capitaine, et Jassine, meilleure bretteuse et cartographe de la bande, apprirent l’escrime avancée à la jeune drow. Jassine notamment avait pour but de lui enseigner son style de combat à double-lame. Korra quant à elle était une experte de l’estoc. À la pensée de sa capitaine décédée, Sativa posa sa main sur sa sacoche et y sentit le cylindre mystérieux. Alors qu’elle commençait à réfléchir au sens de l’objet, le soleil se leva et se réfléchit sur le fleuve, l’éblouissant un bref instant. Dans la lumière de l’aurore, l’embarcadère de Port-bœuf et les premières maisons du village se dévoilèrent. Sativa respira longuement une fois encore et l’air lui renvoya l’odeur du foin frais et de la viande grillée. Ça ne faisait aucun doute : elle était de retour chez elle.
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