Introduction
Le sang.
Rouge, impur, visqueux ; c’était cela qu’elle voulait voir couler en abondance des chemins erronés de sa jeunesse. Un éternel flot de doutes aussi grand que sa douleur, voilà qui pourrait la sauver indubitablement.
Sentia Larse eut une grimace, à défaut de pouvoir rire. Être sauvée ? Jamais cela n’arriverait.
Celui qui l’avait abandonnée avait abandonné avec elle tous leurs espoirs communs, qui avaient été finalement uniquement ses espoirs à elle. Toutes leurs belles années depuis ce magnifique jour de 669, toutes ces matinées de félicité et ces soirs d’extase, tous ces projets et tout ce qui avait pu les rassembler, tout ce qui pouvait exister en somme, s’était volatilisé en un instant.
Quatre années de torture s’étaient ensuivies, quatre années durant lesquelles elle avait soulevé et plongé sa dague vers son bras, sa jambe ou une autre partie de son corps comme elle était en train de le faire à cet instant, afin de déterrer le sang et enterrer ses illusions.
Et tout cela pour quoi ? Pour devenir une impératrice. Sentia tenta de rire à nouveau, mais les muscles de son visage, comme tous les autres, lui faisaient franchement mal. Elle n’avait jamais rien eu d’une impératrice : ni la naissance, ni l’éducation, ni les qualités politiques, et encore moins la volonté. L’homme qu’elle aimait plus que tout l’avait jetée à cette fonction car, selon lui, c’était « son devoir ». Épouser un autre, âgé et ennuyeux ? Troquer toutes ses activités de femme libre pour d’hypocrites représentations diplomatiques dans lesquelles elle était censée sourire à toute épreuve ? Dire adieu à tout ce qu’elle avait défendu, pour vivre désormais dans la peau du pays qui lui avait tout pris ? Jamais. Jamais de la vie !
La dague dans son poignet lui arracha un dernier cri de douleur avant qu’elle se levât.
Les jambes tremblantes, qu’elle ne sentait plus du tout, elle tituba vers sa garde-robe et saisit les vêtements les plus légers et sombres qu’elle put trouver tandis qu’elle pensait à ce que lui avait dit… Qu’est-ce qu’était l’entité qui lui avait parlé déjà ? Une divinité ? Il ou elle avait dit s’appeler Gerun et être un Occuria. Cela lui faisait une belle jambe ! Qu’avait-elle à faire des Occurias, s’ils existaient, et de ce qu’ils avaient à raconter ?
En serrant les dents, elle parvint à enfiler une jupe noire et un vieux justaucorps qui lui allait encore malgré son poids perdu. Machinalement, elle se saisit de ses deux katanas accrochés au-dessus de son lit et sortit de la pièce.
Si Gerun avait effectivement l’intention de lui présenter des créatures miraculeusement puissantes, elle attendait de les voir. Sans se soucier du sang qui coulait le long de ses membres, Sentia arpenta le couloir du treizième étage et actionna l’ascenseur pour descendre au rez-de-chaussée et quitter le Palais impérial. Mi-morte mi-vivante, elle perdit conscience des lieux qu’elle traversait, tandis qu’elle entamait une longue marche vers le sud.
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