Chapitre 3 : Le Grand Courroux des hautes montagnes

7 minutes de lecture

Lorsque Sentia reprit conscience, elle était au pied d’une falaise, et surtout au centre d’une meute d’ouargues qui la lorgnaient, les crocs acérés. Elle se releva précipitamment, puis retomba aussitôt : ses jambes lui faisaient terriblement mal. Elle inspira profondément, puis se mit debout pour de bon et chercha à se dégager des canidés en marchant précautionneusement.

Elle jeta un coup d’œil autour d’elle et ne vit que terres arides et monstres affamés se chassant les uns les autres. Que pouvait bien être cet endroit ? Peut-être le col du Mosphore, cette chaîne montagneuse recouvrant le centre du royaume de Nabradia. En marchant, les larmes coulaient toutes seules en repensant à la solitude de la vie qu’elle avait menée pendant déjà quatre ans, et qui l’attendait certainement dans le futur. Comment avait-elle pu survivre ? C’était insensé. Il avait vraiment voulu l’envoyer en enfer… Une chose était sûre : le décor autour d’elle commençait à tourbillonner, la soif nouait sa gorge et son cœur s’arrêterait bientôt de battre.

— Croa ! Croa !

Sentia s’abaissa aussitôt et sa poitrine rejoignit le sol. Derrière son dos, une nuée d’oiseaux géants croassait et planait vers une destination inconnue. La jeune femme ouvrit un œil et observa l’un d’entre eux : c’était un condor, espèce typiquement nabradienne. Pas de doute, elle était bien au Mosphore…

— En effet.

Sentia sursauta et se retourna, assise sur la roche : la jeune fille transparente était de retour.

— Toi alors !

La fillette se mit à rire et descendit du piton rocheux où elle s’était réfugiée.

— La route à prendre est par ici, au nord-ouest, dit-elle en désignant un buisson haut et verdâtre.

Sentia la suivit, pensant moins à ses douleurs et plus à ce qui l’attendait cette fois-ci.

Le fantôme la conduisait, lentement mais sûrement, à travers des rochers plus élevés les uns que les autres, évitant habilement les condors et autres humbabas, et se faufilant derrière les pythons avant qu’ils eussent pu détecter leur présence. Ces tactiques lui rappelaient les infiltrations réalisées lors des missions avec Lui. Cela lui arracha à la fois une larme et un sourire.

— Je ressens sa présence… murmura la jeune fille. Il est tout près. Mais il faut faire un détour pour l’approcher.

Derrière de nouveaux buissons, Sentia vit apparaître avec stupeur des chemins faits de feuilles qui formaient un pont entre deux plateaux rocheux. Elle n’avait jamais remarqué aucun d’eux lors de ses multiples patrouilles dans cet endroit…

— Qu’attendez-vous ? Il faut les franchir d’un pas déterminé, sinon ils disparaissent.

Elle se dépêcha de la rejoindre et faillit tomber à cause de la pente du plateau où elle avait mis le pied : elles venaient d’atteindre les sommets du Mosphore. Derrière elles, le soleil se couchait graduellement, leur offrant une vue imprenable sur toute la vallée nabradienne.

— C’est le dernier… prévint la jeune fille.

Sentia avala sa salive et tituba sur les feuilles qui manquaient de s’effondrer dans le vide. Lorsque son pas atteignit la Cime céruléenne, un atroce cri s’éleva.

— Adrammelech ! s’écria le fantôme en fonçant vers le centre du plateau.

— Attention ! prévint Sentia, détectant une puissance magique inégalée.

La jeune fille recula juste à temps pour éviter un éclair aveuglant d’intensité.

— Viens derrière moi ! ordonna Sentia.

— Vous êtes décidée à vous battre, à présent ? dit l’autre d’une voix sarcastique.

N’avait-elle trouvé meilleur moment pour plaisanter ?

Juste au moment où le fantôme fut à l’abri, Sentia lança une barrière magique pour les protéger des nouveaux éclairs qui s’annonçaient.

— Attention ! Adrammelech... prévint à son tour la fille en blanc.

— Quoi ? demanda Sentia en se retournant, ignorant la masse électrique qui s’élevait dans les airs.

— … vole.

La décharge atteignit la jeune femme de plein fouet, paralysant ses membres et brûlant sa gorge endolorie. Sentia hurla, se débattit et roula ses yeux dans leurs orbites, mais l’électricité n’en finissait pas de se propager dans son corps.

— Adrammelech ! répéta le fantôme d’un air courroucé.

Un terrible cri se fit entendre une nouvelle fois, et à travers un court moment de lucidité, la prisonnière des éclairs parvint à distinguer une gigantesque créature ailée de couleur verte, décorée de traits rougeâtres et dotée de griffes menaçantes.

— Cela suffit ! s’énerva la silhouette fantomatique en s’interposant.

Adrammelech ferma sa gueule, jusque-là grande ouverte, et parut observer le spectre flageolant. La décharge s’arrêta.

A son tour, Sentia recula, tétanisée, et tenta de reprendre le contrôle de ses membres, tous ensanglantés. Prise d’une toux soudaine, elle mit sa main devant sa bouche, et la récupéra dans le même état.

— Il faut le calmer, lui aussi ! lui cria la jeune fille en agitant ses bras.

— J’aimerais bien, mais j’en ai pas la force !

— Ce n’est rien, vous pouvez le faire ! criait la petite en réitérant ses gestes.

La jeune femme soupira et fit apparaître sa dague.

— Ça ne servira à rien ! Il vole !

— Je le vois bien, qu’il vole ! s’énerva la combattante. Je vais essayer quelque chose.

Serrant la dague autant qu’elle le pouvait dans sa main meurtrie, elle se concentra et prépara l’une des techniques qui lui avaient été apprises pour atteindre les ennemis aériens.

— Allonge !

Le coup de dague partit et atteignit sa cible… mais pas avant que le maître des éclairs lui eut asséné un formidable coup de griffe.

Sentia tomba et serra son épaule en grinçant des dents.

— Vous n’avez pas autre chose ? demanda la jeune fille en croisant les bras.

Les larmes aux yeux, elle faillit hurler son désespoir et sa colère lorsqu’une idée lui vint.

Du mieux qu’elle put, et plus longtemps encore que pour lancer Allonge, elle ferma les yeux et se concentra, tout en s’approchant dangereusement du monstre. Adrammelech lui décocha un second coup de griffe, mais elle tint bon. La joue dégoulinante de sang, elle dressa son index et son majeur vers la créature :

— Glace !

Adrammelech s’effondra aussitôt, momentanément.

— Bien joué ! s’écria la jeune fille. Je vois que vous avez appris votre leçon.

— Tais-toi ! s’époumona Sentia. Tu ne vois pas qu’il faudra des millions de sorts comme celui-ci pour en venir à bout ? Si seulement j’avais plus de pouvoir magique… Dis, toi, le fantôme, tu serais pas faite de myste, par hasard ? Je pourrais pas t’en prendre un peu ?

L’éon volant se précipita soudain sur elle. Elle évita de justesse et faillit sortir ses deux katanas. Frustrée, elle ne put que relancer un sort de glace simple et gagner quelques secondes.

— Je n’ai pas de pouvoir magique à vous transférer, répondit enfin le spectre qui voletait au-dessus d’Adrammelech. Je suis une créature mystique qui n’a pas été créée pour combattre.

— Je suis sûre que tu mens ! s’énerva Sentia.

— Je ne mens pas, regretta l’autre. Ah ! Pauvre Adrammelech. D’abord Famfrit, puis Bélias, puis toi… Qu’est-ce qui vous arrive, mes chers amis ?

— Tu en as combien comme ça, de « chers amis » ? questionna la combattante en évitant un nouveau coup de griffe.

— Douze, répondit-elle après un sourire narquois.

— DOUZE ??!

Ebranlée par la nouvelle, elle ne put éviter l’attaque suivante du monstre, qui la mit à terre.

— Adrammelech est l’éon du Capricorne. Le début de l’année, l’ébauche d’une ère nouvelle où Gerun entend bien avoir la mainmise sur l’histoire des humains et des autres races.

Terrassée, Sentia réussit à mouvoir ses doigts et se mit à genoux.

— Il est étrange que vous ayez du mal contre lui, poursuivit la jeune fille. Il est bien moins combatif que l’éon du Bélier – signe de votre cher ami Bergan – par exemple, que vous avez battu.

— Je n’étais pas aussi amochée contre le Bélier ! se plaignit Sentia en roulant à terre pour éviter un éclair. Et laisse Bergan en-dehors de ça !

A y réfléchir deux fois, elle n’était pourtant pas sûre d’être plus « amochée » que contre Bélias. A chaque fois, elle se sentait proche de la fin, et parvenait malgré tout à la victoire. Il fallait réitérer l’exploit… Elle n’avait pas d’autre choix.

— Je suis sûre qu’il y a une solution ! l’encouragea la jeune fille, toujours dans les airs. Pour toi aussi, Adrammelech ! Résiste !

— Pourquoi tu l’encourages ? se vexa Sentia en cogitant.

Il devait certainement y avoir une technique pour s’en sortir. Une technique qui reposait sur la même base que l’état d’esprit dans lequel elle avait réussi à lancer les sorts de glace… Mais oui !

— Concentration !

Et là-dessus, elle retomba à terre.

— Relevez-vous ! criait le fantôme en agitant bras et jambes. Une nouvelle fois ! Allez !

Un éclair atteignit la jeune femme au genou gauche tandis qu’elle tentait d’obéir. Perdant espoir, mais tentant le tout pour le tout, elle ferma ses yeux larmoyants en espérant que son corps tînt le temps de lancer la technique une nouvelle fois. Fort heureusement, Adrammelech s’éloigna d’elle.

— Attention ! Il va lancer Fulguration ! alerta le spectre en imitant le vol des abeilles.

Sentia sentit un rocher encadrer son cœur à cet instant. Etait-ce la fin ? Un souffle impérieux l’incita à faire fi de l’information et de lancer Concentration jusqu’au bout. L’éon haut dans les cieux, elle se releva pour de bon et sentit, enfin, le myste envahir son périmètre.

— Croaaa !

Adrammelech recula ses ailes, signe du rapprochement de l’attaque finale. La jeune fille perdit un peu d’altitude et cacha ses yeux de ses mains.

— Oui ! oui ! oui ! oui !

La positivité de l’énergie que ressentait la combattante n’avait d’égal que les moments de félicité clandestine passés avec Lui. « Mais maintenant, pensa-t-elle, c’est de Moi qu’il s’agit. Il n’y a que Moi pour faire cette action. Je dois m’en sortir. Et je vais m’en sortir ! »

Sautant aussi haut que son état le permettait, Sentia, incapable de rejoindre le monstre en volant, prépara une attaque de glace aussi précise que puissante. Se sentant plus vive et vigoureuse qu’auparavant, elle acheva sa préparation au moment où les premiers éclairs commencèrent à apparaître au bout des ailes du Grand Courroux. S’élançant à pleins poumons, ouvrant ses yeux au maximum, la mage noire réussit à enfermer lesdits éclairs juste à temps dans un bloc de glace. Déchaînant toute sa magie, elle accentua l’influx de son myste et les parois gelées enveloppèrent peu à peu le torse, la tête, puis l’intégralité du corps de la créature.

Hurlant à la mort, la combattante ferma et ouvrit ses poings tandis qu’elle chutait. Lorsqu’elle atteignit le sol et que ses mains furent droites, glacier et éon avaient disparu dans un immense éclat.

Rejoignant le sol à son tour, le fantôme resta bouche bée.

— Eh ben… J’ai trouvé un autre monstre, moi !

A bout de souffle, Sentia se laissa tomber, et, considérant les cieux qu’elle n’avait pu atteindre :

— Je veux mourir !

Annotations

Vous aimez lire Ety ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0