Chapitre 6 : Le rassemblement du Condamnateur

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— Quel mois on est ?

La vieille Bérale avait plus d’un tour dans son sac. Pour étaler le peu de connaissance qu’elle avait, elle n’avait jamais manqué de lui poser cette question à chaque nouveau mois, après avoir enquêté auprès de quelqu’un de mieux renseigné.

— Vierge.

— Oui ! Bravo, ma petite. Ta mère serait fière de toi. Elle en avait des choses dans sa tête, ta mère…

Mais les images autour de Sentia s’apparentaient davantage, plutôt qu’au réveil des fleurs et au chant des oiseaux, à la froideur glaciale du mois du…

— Cancer, dit-elle tout haut.

— Exact !

La jeune fille-fantôme apparut et semblait sourire.

— Aujourd’hui, nous allons au tombeau de Raithwall pour rencontrer un autre de mes amis, poursuivit-elle sur un ton de présentatrice d’émission.

— Eh bien, au moins c’est clair… !

Sentia réalisa l’étendue du désert dans lequel elle se trouvait, puis considéra le temple se tenant en face d’elles. Elle hâta le pas, traversant la cour attenante à l’extérieur avant d’accéder au téléporteur en face de la porte principale. Avant de l’utiliser, elle se retourna vers la cour et sourit.

— Garuda…

— Oui ? répondit la jeune fille immédiatement avant de placer ses deux mains sur sa bouche.

Sentia fit une grimace sarcastique en sa direction puis actionna le téléporteur.

Elles se retrouvèrent au centre de la pièce principale du tombeau, de couleurs marron et ocre. Plusieurs marches menaient à d’autres escaliers qui donnaient sur des axes latéraux de la bâtisse antique. Sentia allait prendre le chemin de gauche lorsque sa compagne l’interpella :

— Pas ici. Le mur démonique s’actionnerait. Venez, j’ai une solution.

La jeune femme ne comprenait pas de quoi elle parlait mais la suivait quand même des yeux. Le fantôme se glissa dans des interstices entre plusieurs gros blocs décoratifs avant de… disparaître dans un mur.

— Eh ! se plaignit Sentia bruyamment. J’ai pas de corps spectral, moi ! Reviens ici !

L’être transparent revint – ou du moins sa tête sortant du mur.

— Eh bien, sautez !

La combattante suivit son regard et vit des marches en contrebas, de l’autre côté de la rambarde entourant la plate-forme où elle se trouvait. Elle s’exécuta et descendit lesdites marches. L’être de lumière était réapparu, et planait joyeusement à son côté.

— Je suis si heureuse d’être libre à nouveau ! s’exclama-t-elle en tourbillonnant.

— Tant mieux pour toi. Mais où vas-tu ? Il n’y a rien ici.

— C’est ce que nous verrons !

La jeune fille toucha un pan de mur et, avant que Sentia pût protester, la terre trembla et une partie du mur recula, formant une parfaite porte sur une autre zone.

— Mais… fit-elle, ébaubie.

— Allons-y ! s’écria le fantôme en voletant en avant, reprenant ses tourbillons de joie.

Il y eut encore deux ou trois astuces similaires que Sentia suivit machinalement, se trouvant dans un état mental instable après le dur combat de la veille. Enfin, les deux compagnes arrivèrent dans une structure formée de plusieurs carrés.

— C’est le Cloître des flammes. Bélias n’est pas là, puisque vous l’avez vaincu. C’est quelqu’un d’autre que vous trouverez… Après vous.

La brune déglutit et descendit un premier escalier.

— C’est donc l’apôtre du Cancer, expliqua l’autre en s’arrêtant de tournoyer. N’oubliez pas que c’est le signe de votre mère, le vôtre et celui de vos enfants.

— Eh ! Minute. Je n’ai jamais eu l’intention d’avoir d’enf…

Un gigantesque bruit se fit entendre depuis le centre des carrés, où une masse sombre dégageait une magie effrayante. Quelques secondes plus tard, une horde de capitaines maudits se précipitaient vers les visiteuses interloquées. Cette fois-ci, katanas en main, Sentia sentait des courbatures, en plus des douleurs habituelles. Pas étonnant, vu le dernier combat. Mais elle n’avait guère le choix : il fallait se débarrasser des squelettes, avant de pouvoir en découdre avec ce qui l’attendait derrière.

Elle s’élança alors, ses réflexes affûtés lui permettant de se débarrasser d’un bon nombre d’entre eux rapidement.

— Génial ! Continuez ! s’époumonait son alliée spectrale.

Comme avec Zaléra, les squelettes usaient de leurs lances pour faire des dégâts, et ses os commençaient à être sérieusement atteints. Elle s’apprêta à faire appel à la magie pour attaquer plus efficacement ceux qui restaient, mais elle n’arrivait pas à réciter la moindre incantation.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Pas de magie ici, résuma la jeune fille en haussant les épaules.

C’est alors que la masse sombre terrée au fond bougea, faisant trembler le sol à chaque pas.

— Zéromus, laisse-lui le temps de…

Mais visiblement, ledit Zéromus n’avait le temps de rien, car il provoqua un tremblement beaucoup plus large que les précédents, et Sentia tomba à terre.

— Dépêchez-vous ! supplia la fillette.

— Je fais ce que je peux ! pesta la combattante, se relevant tant bien que mal. Est-ce qu’il contrôle la terre ?

— Non… Pire…

Sentia ne voyait pas ce qui pouvait être pire que ne pas être capable de se tenir debout durant un combat, mais elle laissa sa réflexion de côté et prit son épée à deux mains pour faire tomber les capitaines restants plus rapidement. Le temps jouait contre elle.

— Bien joué !

Le dernier capitaine maudit tombé, Sentia courut vers la plate-forme centrale… et se heurta à une autre créature sortie droit d’un cauchemar.

— Zéromus… Elle est du Cancer. Vous devriez bien vous entendre ! présenta distraitement la jeune fille.

L’éon était de couleur noire, flanqué de touches bleues et jaunes flamboyantes. Sa taille était particulièrement haute, et certaines parties de son corps rappelaient un insecte, plus précisément une abeille. Il était également doté d’une pince de crabe en guise de bras gauche – le droit n’en étant pas moins effrayant, tel un trident acéré. Sa tête minuscule était surmontée d’une pique, qu’il dirigea droit vers la jeune femme.

— Attention ! fit le spectre en volant loin d’eux.

Sentia voulut la suivre – avant de se rappeler qu’elle ne pouvait pas faire usage de sa magie d’air, ni de magie du tout. Pendant ce temps, Zéromus avait de nouveau lancé un tremblement de terre perturbant, qui ne s’arrêtait pas. Sentia courut ici et là, trébuchait, tombait et se relevait, dans une séquence infernale qui ne se termina que lorsque, totalement impuissante, elle se retrouva au-dessus du sol contre sa volonté, et d’un coup sec, fut envoyée vers le plafond.

— Qu’est-ce qui se passe ? répéta-t-elle, épouvantée à l’idée d’être collée tout en haut de la pièce, et pouvant retomber à n’importe quel moment.

— L’élément de Zéromus est la gravité. Bonne chance.

Sentia faillit étriper la fillette, qui volait tranquillement près d’elle, lorsqu’elle se retrouva de nouveau jetée sans ménagement contre le mur de gauche, puis de droite.

— Comment je suis censée me battre, moi ?

C’est alors que Zéromus, aidé de son dard dorsal qui dégageait un éclair lumineux, annula toutes les gravités qu’il venait de créer et la femme brune tomba à plat ventre sur le sol.

— Maintenant !

— Je sais !

Elle décolla immédiatement vers l’éon et lui décocha un formidable coup d’épée à l’abdomen. La créature vacilla, avant de la heurter violemment de son bras-trident. Sentia se pencha en avant, puis se concentra sur ses assauts afin d’en finir le plus vite possible – si elle se retrouvait une fois de plus au plafond, c’en serait fini d’elle. Le fantôme observait le combat en silence.

« Qu’il est coriace, celui-là ! » pensa la combattante en évitant un nouveau coup de trident. En effet, il lui fallut beaucoup plus de temps que contre Zaléra, par exemple, pour voir la créature enfin en difficulté. C’est alors que Zéromus souleva son dard encore une fois, et une masse spatiale transparente mais immensément lourde vint s’abattre sur la jeune femme. Lorsqu’elle atteignit la terre, Sentia l’avait suivie.

— Non ! Ce n’est pas le moment de flancher ! criait le fantôme.

Sentia posa un pied à terre, puis l’autre. Elle avait la nette impression qu’une bonne moitié de son énergie vitale – initialement pas énorme – venait de se consumer en un instant. Quelle était cette magie ?

Sentant ses forces faiblir de manière irréversible, elle prit de nouveau ses katanas et enchaîna les combinaisons d’attaques avec succès. Le spectre suivait le moindre des ses mouvements avec attention, tandis que Zéromus peinait à lancer un sort ou un assaut simple.

— OUI !

Enfin, dans un bruit de vaisselle rouillée, et sous les yeux ébahis des deux visiteuses du temple, l’éon chut sur le sol antique définitivement. Le fantôme se rapprocha de la combattante et contempla la scène en silence. Comme pour les autres apôtres, chaque particule de Zéromus disparut progressivement, et le tout se changea en médaillon. Sentia se baissa et le tint entre ses doigts. Un fil le parcourait.

— Félicitations ! Maintenant, nous avons le médaillon du Cancer. Cela nous en fait combien, au total… ? Je vous conseille de toujours les avoir sur vous. Mettez-les autour du cou, par exemple.

— Tu rigoles, j’espère ? Seul mon imbécile de père porte des bijoux par douze ou par treize…

— Ce n’était qu’un conseil.

Sentia réfléchit une minute. « Cette gamine en sait beaucoup plus sur ces créatures que moi. Si elle veut que je les garde, c’est qu’il y a une bonne raison » se dit-elle.

Elle obéit donc et enfila les colliers du Verseau, du Bélier, du Capricorne, du Scorpion, des Gémeaux, et du Cancer. Elle sentit une puissance nouvelle traverser son corps. Ces éons étaient-ils vraiment les siens, désormais ? Venait-elle de dompter Bélias – et ses congénères – à la manière du Roi-Dynaste ? Mais tout cela dans quel but ? Au bout du compte, elle était toujours aussi malheureuse. Sentia s’agenouilla au centre du tombeau et déclara :

— Je veux mourir…

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