Compensation Sensorielle
Tu savais à quoi t’attendre quand tu es venu à mon rendez-vous et pourtant, tu pinailles sur la chambre d’hôtel : elle n’est pas à ton goût ! Bien trop générique, pas assez décorée… Et alors ? Qu’importe, puisque tes yeux seront bandés ! Fais pas ta gonzesse. Tu devrais plutôt t’inquiéter de l’hygiène : les draps sont-ils propres ? La literie, est-elle saine ? Est-ce que moi, je m’occupe de ton apparence ? Tu n’es pas aussi beau que sur tes photos. Cela pourrait générer chez moi au pire de la déception, au mieux de la frustration. Mais non, je ne fais pas un scandale. C’est toi que je veux. Je me tais. Fais de même et déshabille-toi.
Je sais moduler ma voix pour t’exciter. Un doigt de promesses et déjà tes muqueuses distillent en toi les doux poisons de l’excitation : que la chambre ne te plaise pas disparaît très vite de cet essai de conversation inutile. Je t’ai dit de la fermer en bandant tes yeux de mon foulard le plus épais. Nous ne sommes pas là pour refaire le monde. Juste pour passer un bon moment. C’est tout. Tu es là, toi, pour essayer la compensation sensorielle dont je t’ai parlé. Je suis là pour m’amuser en travaillant ton corps, en composant la gamme de tous mes fantasmes : j’aime sentir mon pouvoir sur l’autre. Il n’y a guère que ça qui me fait jouir. Te voir nu, attaché, soumis, paniqué. Je te regarde, je t’observe, dans le plus simple appareil, maintenant que tu es ligoté, aveugle. Tu ne bandes pas encore, mais ton sexe se gonfle doucement : tu entrevois les arcanes de mes jeux, mais tes peurs condamnent encore l’afflux sanguin. Tu attends. Que peux-tu faire d’autre ? Je t’ai imposé le silence. Tu la fermes. Qui sait ce que je pourrais faire si jamais tu l’ouvrais ? Tu ne sais pas si tu peux me faire confiance ou non : cet entre-deux, je le ressens et ça m’excite !
Tu dois te demander ce que j’ai dans ma mallette. Tu as froncé les sourcils en la voyant : de la curiosité visiblement. Tu n’as pas besoin d’en savoir plus. On en a parlé sur internet, puis au téléphone : c’est ma boîte à outils. Mes outils ? Ce sont eux qui vont te faire jouir. Selon mes humeurs, ce ne sont jamais les mêmes, mais il y a toujours, parmi les inoffensives plumes et autres fantasmes de bourgeoises éplorées, du contendant, du tranchant et de quoi perforer. Tu connais le jeu, à défaut de connaître la chanson. Cela te stresse. Douce paranoïa…
Je vois que tu te pinces les lèvres : parler te démange, alors que tes quatre sens commencent à prendre le dessus. Ton audition, plus précise, détecte les flux de ma respiration, que je manipule pour t’effrayer. Mon parfum, très discret, commence à te chatouiller les narines. Tu comprends que ce n’est pas un parfum ordinaire, mais ne parviens pas à le reconnaître. Il est pourtant si familier. Essaye encore ! Le goût de ta bouche, tu commences à le ressentir comme le baiser d’un autre : c’est la première fois que la saveur de ta salive n’est pas neutre, pourtant, elle n’a pas changé. Elle est tienne. Tu comprends, enfin, ce que ce royaume te réserve. Quant à mes caresses, tu les ressentiras bientôt, je te le promets.
*
D’un geste lent, je me débarrasse de mon manteau. Je le fais tomber au sol en te regardant. Ce bandeau t’empêche d’accéder à cette information. Pourtant le son étouffé, presque imperceptible, de sa chute sur la moquette s’impose à toi, te fait trembler : tu te demandes ce que c’est. A peine un frôlement. Je laisse le temps au silence de s’installer, mesure mes pas, les distille au compte-goutte. La chambre n’est pas si grande. Où suis-je ?
Quand j’ouvre ma mallette d’un coup, tu sursautes : tu sais que je vais commencer mais tu ne sais pas où je suis dans la pièce. Penses-tu que je vais me déshabiller ? Je ne sais pas encore si toi, tu vaux le coup que je sois nu. Cela se mérite. Tu comprends ? Je ne suis pas un mec facile. Contrairement à toi : tu suis n’importe qui à la recherche d’un fantasme étrange, d’une nouvelle expérience. Je le sais. Je sais tout de toi. Ton IP, ton adresse, ton numéro de carte bancaire. Toi, que connais-tu de moi ? Tu ne sais même pas mon prénom !
Mais j’avance vers toi, me pose à tes côtés : tu sens mes fesses incurver le matelas, le bruit moelleux de cette rencontre. Tu te demandes sans doute si je suis encore habillé ; je ne porte rien au dessus de mon pantalon : j’étais torse nu sous mon manteau. Je n’aime pas qu’on devine, qu’on me devine. J’aime la surprise, ménager mes effets. C’est moi, le divinateur. D’ailleurs, je lis en toi : ton corps veut, ton esprit s’inquiète. C’est cela même qui donne au fantasme tout son sel. Cette ambivalence empêche l’être humain d’être la pute de tous ses vices. Mais peut-on remettre à un anonyme les clés de sa fonction d’arrêt ? Pauvre mec ! Tu ne le sais pas encore mais tu m’appartiens ! Ton sort repose désormais entre mes mains.
*
Voilà que ton corps fait un petit sursaut, ton sexe se réveille quand ma main se promène à quelques centimètres de ton abdomen. Tu sens une faible vague de chaleur te piquer la peau, envahir ton derme, comme une seconde peau, une caresse invisible. Cette chaleur se répand, se diffuse, te pénètre la chair. Tu n’avais jamais ressenti ça. Un doigt, un seul, te frôle doucement, trace lentement les sillons d’une chatouille insidieuse. Ton premier gémissement. Ton corps transi obéit à cette caresse mais point question de s’abandonner à ces plaisirs subtils que je quitte cette misérable couche. Tu le sens. « Où va-t-il ? » Voilà ce que tu te demandes alors que tes peurs reviennent peu à peu, pour s’imposer à toi plus que jamais. Que va-t-il faire ? Que va-t-il me faire ?
D’un geste lancinant, j’ouvre la porte du mini bar. J’avais demandé un verre rempli de glaçons. Qu’il soit livré juste avant notre arrivée. Et ces glaçons, je vais les promener sur ton corps, selon mes envies. Tu ne t’en doutes pas un seul instant. Le bruit des glaçons qui s’entrechoquent contre le verre, tu le perçois, mais tu n’as pas eu le temps de voir le mini bar. La complexion perplexe de ton visage m’indique que tu es dans le doute. Tout cela te semble si familier et pourtant, et pourtant… même décuplés, les sons conservent leur énigme, le mystère de leur origine. Le monde, tel que tu le connais, tu l’as abandonné en franchissant la porte de cette chambre.
Mesurant mes effets, je retrouve ma place et commence à lécher cette zone de ta nuque qui, d’après tes dires, est le point névralgique de ton excitation : à peine quelques pressions de ma langue et voilà que ta bite se redresse, montre son vrai visage : un gland luisant qui appelle le sexe. Ta chair palpite. Tes muqueuses s’humidifient. Tes doutes s’évaporent à mesure que le sang fait battre ton second cœur.
Alors ma main s’empare d’un glaçon, qui commence à fondre à la rencontre de ton aine : tu convulses d’un coup, bruxes quelques secondes, avant de gémir à nouveau, sous les petites secousses de ta verge, prise au piège comme une souris que l’on écraserait dans ses mains. Lentement, je promène le glaçon sur tes testicules qui se rétractent, sur les veines de ton pénis et tu les multiplies, ces gémissements de femelles, tu les multiplies et ça m’excite : je commence à bander moi aussi, mais hors de question de te donner ce que tu veux, de sortir ce sexe que ta bouche entrouverte appelle.
*
Ce plaisir que tu ressens, qui t’emporte, c’est déjà te faire trop d’honneur. Conscient de ton plaisir, je claque ta bite d’un coup sec contre ton ventre, et m’empare du premier outil à fantasme. Le jeu commence, tu le sais ! De nouveau, une peur insidieuse s’empare de toi. Me voilà enivré !
Tu te concentres, mais difficile de reconnaître avec certitude l’objet de nos plaisirs alors que je pose sa surface métallique contre ton torse, ma main chaude au dessus, pour casser la fraicheur du métal que tu devines. Ces sensations excessives et contradictoires te perdent. Tu brûles de répondre : tes lèvres s’entrouvrent, tu ravales ta langue. Je perçois cette déglutition de salive qui me fait sourire et ce sourire, tu ne le vois pas. Je ne dis rien, et promène le ciseau, creusant de sa pointe acérée un léger sillon autour de ton téton droit. Ton sexe de nouveau se gonfle, malgré tes appréhensions. Je pourrais, d’un coup, enfoncer cette lame dans ta chair. Cette pensée me fait bander dur.
« Tu as deviné ? »
Ravalant un geignement timide, tu ne réponds pas à ma question : tu sais que si tu te trompes, je quitterai la chambre, te laissant attaché, à la merci du temps. Tu ne seras libéré que le lendemain par une femme de chambre. Tu seras probablement souillé dans tes excréments, tenaillé par la soif, la faim, la honte. Alors, tu ne dis rien. Je sais que tu penses à un couteau, ils pensent tous à un couteau... C’est tellement évident.
Je manipule mon ciseau de cette façon, un ciseau sans paire, cassé, affuté, tranchant comme un cutter. J’aime brouiller les pistes. D’ailleurs, alors que je promène sa lame sur ta peau, non loin de tes testicules, j’invite un glaçon à frôler ton gland. Ton corps expulse un frisson violent, ta peau se comprime contre la lame du ciseau. Ces émotions accrues t’emprisonnent et tu sens monter la sève en toi, cette sève que le danger rend oppressante : ton sexe enfle, les veines gonflées à bloc, tes génitoires comprimés en disent long. Il est hors de question que tu jouisses maintenant, alors que je n’ai pas atteint ce point où mon désir est plus important que le tien. Tu ne sais pas ce que je réserve à ceux qui ne remplissent pas le contrat… Crois-tu vraiment que je vais te laisser partir si facilement ?
*
Je me fige, laisse le temps filer, lentement, alors que ton pénis perd de sa superbe. Je te frustre, cela me plaît. Je sens que tu en veux encore : ton corps ne saurait mentir, ainsi asservi. Tu sais éveiller mes envies les plus obscures. Je te demande donc, d’un murmure soufflé contre ton oreille :
« Tu en veux encore ? »
Mais tu sais que tu ne peux pas parler : je te l’ai interdit. Tu ne peux utiliser des mots que pour nommer l’instrument de ton plaisir, sous peine d’une torture réelle : telles sont les règles de ce jeu !
Certains, pour se faire comprendre, hochent la tête, mais toi, tu n’as pas l’air aussi évolué. A croire que ton sang n’alimente plus ton cerveau. D’un souffle excédé, je me décide à t’aider un peu :
« Si c’est oui, hoche la tête de haut en bas, si c’est non, de gauche à droite. »
Docile petit agneau, tu ne tardes pas à me signifier ce « oui » qui m’enchante. Alors, de mon doigt, je commence à frôler ton anus déjà humide, bien dilaté. J’en caresse les pourtours, avant de le pénétrer, enduisant mes doigts de ton fluide alors que tu gémis à nouveau. J’hésite entre défoncer d’un coup sec ton orifice, ou le caresser de la pointe de mon ciseau, pour te faire frémir de peur. Je préfère y déposer le baiser du glaçon, qui rétracte aussitôt ton ouverture. Tu ne dois pas être plus excité que moi, petite salope. Ce n’est pas tolérable. A la rencontre glaciale du glaçon, ton corps fait un soubresaut et ton entrecuisse percute la lame amoureuse : une goutte de sang s’échappe de ta peau, un râle de ta bouche. Tu exultes. Malgré tes peurs. Le plaisir, au delà de la douleur.
« Alors, as-tu trouvé mon outil, petite chienne ? » sussuré-je en travaillant ton anus avec le glaçon, qui fond entre mes doigts à toute vitesse, sous la chaleur lénifiante et exquise de tes entrailles gourmandes.
Mais tu ne répond pas : aurais-tu peur de ne pas avoir trouvé la réponse ? Ne fais-tu pas confiance à tes sens, pourtant aiguisés par la perte temporaire de ta vue ? Dans ce lit d’hôtel qui pourrait être ton cercueil, tu es comme dans une vielle maison de campagne la nuit, entouré de sons, de sensations, que tu ne parviens pas à identifier : elles sont familières, mais déformées, t’emprisonnent sans cesse dans le mouvement irrationnel de tes incertitudes.
« Tu n’as plus que cinq minutes », ajouté-je alors, en promenant la pointe de ma langue sur la hampe de ta verge. Cinq petites minutes.
*
Le son que tu vas entendre, c’est celui d’un sablier. Les petits grains qui tombent, un flux continu. Tu demanderas ce que c’est, alors que la lame de mon ciseau caresse ton sexe, que ma langue frôle ton gland, alors que la jouissance s’impose à toi. J’insère de nouveau un doigt dans ton anus, puis un second, aussitôt entouré par ta chair avide de ce va-et-vient lent et délicieux : je sens ton humidité chaude et rance, son parfum imprimé sur mes doigts, que je te fais lécher en les enfonçant dans ta bouche. Tu découvres ton propre goût, plus saumâtre que jamais, en gémissant comme une lope qui se roule dans sa propre fange.
A cet instant, j’ai envie de te baiser profond, te prendre comme la pute servile que tu es. Après avoir baissé mon pantalon, fait glisser mon boxer comprimé par ma chair turgide, je masturbe d’une main possédée mon sexe. Je ne pense pas seulement à te pénétrer, alors que tu le réclames à corps et à cris, mais à la somme de toutes mes dérives. Je pense à mes fantasmes, déjà comblés par la présence sur les draps de tes larmes de sang, engorgées dans le tissu blanc. Je pense à mon désir toujours brûlant, que j’ai envie de combler, à tes entrailles, que j’ai envie de souiller. Toi, tu n’existes pas, ton plaisir, je m’en contrefiche au-delà du mien : tes râles de plus en plus pressants me conditionnent, alors que je regarde mes gants en plastique, pliés dans ma petite mallette à outil.
Je me dis que j’ai tout mon temps en frottant mon gland contre ton anus humide… Pourquoi ne pas prendre encore plus de plaisir alors que tu t’offres ainsi, les jambes écartées, prêt à me recevoir ? Défoncé ou non, tu ne seras plus qu’un trou noir et avide maintenant que ton corps est porté par la compensation sensorielle, soumis à mon emprise. Je te remplirai à loisir à mesure de nos rencontres, jusqu’à ce que tu m’ennuies et ne provoque plus chez moi la moindre envie. Alors, profitant de ta confiance aveugle, je te ferai descendre dans mon caveau familial, un sac sur la tête, et je t’y laisserai pourrir, dévoré par les vers.
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Ecrit le 22 décembre pour la semaine 15 du Bradbury Challenge.
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