Chapitre 4: Rebellion?
Victoria se regardait dans le miroir. Elle eut d’abord le réflexe de soupirer. Elle était épuisée. Comme chaque lendemain de travail. Elle avait pu tenir le coup le mois dernier parce qu'elle n'avait que sa vie nocturne à gérer, mais avec la reprise des cours, s'annonçaient des nuits sans repos, des journées à lutter contre le sommeil, et beaucoup de café. Elle ferma un moment les yeux, si elle continuait son observation et à penser la fatigue elle s’oublierait, et vivrait hors de son corps pendant le reste de la journée. Elle sentait que ça venait déjà, cette distance, cette dissociation, elle inspira un moment. Elle regarda autour d’elle, blanc, gris, gris foncé, noir, gris clair, gris chiné, tasse, brosse à dent, baignoire, dentifrice. Voilà. Là.
Elle sourit, sortit de la salle de bain, et se prépara pour une longue journée. Elle sortit de sa chambre d’étudiante et se dirigea vers son premier cours de la journée, et du semestre. Elle croisa son amie Caroline dans le couloir.
“Vic! Comment vas-tu?”
“Ca va, ca va. Prête pour la reprise?”
“Absolument pas.”
“Heureusement qu’on a encore le campus pour nous aujourd’hui!”
"Ca va me manquer ces couloirs vides." Fit Victoria.
"Je t'envie tellement, j'aurais préféré rester ici aussi, plutôt que de rentrer chez mes parents pendant les vacances."
Victoria haussa les épaules. Au programme de la journée, présentation globale de cette dernière année d’étude, suivie d’un cours d’économie puis d’éloquence. Et puis elle verrait Sylvain.
En tant que doctorante, en dernière année, Victoria connaissait le Jardin en long, en large et en travers. Et comme le voulait sa personnalité, elle en avait marre. Elle avait besoin de changement. De changer d’air. Quitter son boulot et ce taudis de bar. De prendre le large. Après sa soutenance de thèse, elle irait probablement candidater au programme de la Tribune, la chambre basse du parlement, et tenter sa chance auprès du Consortium des Sobres. Et puis évidemment, elle changerait le système de l’intérieur, abolirait l’Empire, liquiderait la police, libèrerait les prisonniers politiques et détruirait le complexe industrialo-carcéral. Mais chaque chose en son temps.
Pour l’heure, elle devait s’efforcer de ne pas s’endormir lors de la présentation de Natasha Copia. Elle parlait avec insistance de l’arrivée des chevaliers le lendemain, puis de l’importance du lien Elite-Chevalier. Victoria se retint de se fendre d’un rire caustique.
Natasha avait beau prétexter le contraire, il était clair que les Elites avaient été créées afin de devenir les compagnes des Chevaliers. Victoria regarda par dessus son épaule, son amie Dana était visiblement tout autant fascinée par la présentation de Professeure Copia qu’elle. En remarquant Victoria, Dana fit mine de se tirer une balle. Elles étaient peu nombreuses à finir leur dernière année, la plupart se mariant, ou devenant mère, ou les deux en même temps. Victoria n’était pas dupe, la raison pour laquelle elle pouvait étudier était purement sexiste et misogyne. Cependant, si elle voulait faire partie de la Tribune, il s’agissait d’une étape nécessaire. Comme Lianne Castel avant elle, et Destiné Tambor, les deux seules femmes sobres faisant partie de la Tribune; elle irait à l’encontre de ses diktats, et changerait la face de Sylveria. Quand elle se concentra à nouveau sur le présent, elle se rendit compte que Natasha Copia était toujours en train de parler. D’un nouveau professeur, proche de l’Empereur. Victoria leva les yeux au ciel, les autres Elites allaient se précipiter sur lui.
De son côté, Sylvain avait retrouvé son ami Daniel le matin même, dans un hôtel à quelques pas du Jardin. Daniel était attablé en terrasse, faisant défiler l'actualité pensivement sur sa tablette.
“Déjà en train de planifier la collection printemps-été?”
Daniel leva les yeux de sa tablette, et adressa un léger sourire à son meilleur ami.
“Malcolm m’a interdit de ne serait-ce que toucher à ma tablette pendant tout le mois dernier. Je ne fais que rattraper ce que j’ai raté.”
“Comment va Malcolm?” Demanda Sylvain.
“Bien. Juste énervé d’avoir du couper court à notre lune de miel pour Sa Majesté.”
“L’Italie alors?”
“Je commençais à songer à m’y installer définitivement quand tu m’as appelé.”
“Je t’avais dit que tu allais aimer non?”
“Tout juste. Qu’est-ce que tu deviens depuis quoi... six mois?”
“Et bien...”
“Tu chasses l’ennui dans la forêt des Dorés?”
“Entre autres.”
“Et dans des bars?”
“Entre autres.”
“Heureusement que tu es devenu une agence matrimoniale maintenant.”
Sylvain leva les yeux au ciel.
“Et oui. Visiblement, l’Empereur s’intéresse à présent à la monogamie.”
Daniel leva les yeux au ciel, portant sa tasse à ses lèvres.
“Pourquoi pas. Mais aussi pourquoi?”
“Il pense occuper les Sobres avec cette histoire. Et leur vendre un conte de fée.”
“C’est terrible.”
Daniel se pencha en avant.
“Cependant.”
Il éteignit sa tablette et déclara:
“C’est une occasion en or.”
“Je ne vois pas bien pourquoi.”
“Et si on lui refilait une des nôtres?”
“Une rebelle?”
“Précisément. Elle pourrait l’espionner, et nous rendre compte de ce qu’il fait, ce qu’il aime, ce qu’il hait, ce qu’il mijote. Elle serait à l’intérieur, et il ne s’en méfierait pas, surtout si tu la lui présentes.”
“Mais je suis à l’intérieur?”
“Non. Déjà, ça fait six mois que t'es pas venu aux réunions. Et puis, ça fait quoi? plus d’un an que tu n’avais pas vu Clarke? Et tu ne partageais pas la même chambre que lui il me semble. Si? Ensuite, il me semble qu’il t’a assigné un projet, ici, qui risque de t’occuper. Une femme, sa femme, elle dormirait à ses côtés, il lui raconterait sa journée, lui ferait part de ses frustrations. C’est une idée de génie!”
“C’est vrai que c’est pas con.”
“Maintenant la question est la suivante: qui?”
"Aucune idée."
“On en parlera ce soir aux autres.” Fit Sylvain.
Daniel haussa un sourcil de jugement: "Donc tu comptes te pointer comme ça, la queue entre les jambes après avoir évité la loge comme la peste?"
"J'étais occupé." Répliqua-t-il avec lassitude.
"Tu veux dire que tu t'étais lassé avec une rapidité fulgurante. C'était pas la montée d'adrénaline qu'il te fallait."
"Ça n'a rien à voir avec tout ça."
Daniel haussa les épaules. "De toutes façons ils seront contents de te revoir, surtout avec toute cette opération là."
"J'espère bien. Oh et je viens accompagné."
Le styliste leva les yeux au ciel.
"Avant que tu ne dises quoique ce soit, elle est dans la loge du 18ème."
"Avec Chardonnay?"
"Qui ça?"
"Chardonnay, grande figure de la contre-culture? Qui tient la plupart des bars clandestins ici? Ca ne te dit vraiment rien? Bon, au moins iel doit être coriace, amène lae, sauf si tu te sers de ça pour lae draguer, c'est minable."
"Jamais."
Daniel marqua une pause, tritura ses ongles, puis il demanda:
“Tu vas voir mon père demain, non?”
Sylvain hocha la tête. “Oui, c’est le directeur des Chevaliers, je vais être obligé de le croiser.”
Daniel soupira.
“Vous ne vous êtes toujours pas parlé depuis…”
“Trois ans.”
“Tu veux que je lui dise quoique ce soit?”
“Non. Il ne mérite pas que je me fasse du soucis pour lui, ni même que je t’embête avec ça, désolé.”
“Daniel. Tu es enfin heureux, tu as un mari qui t’aime plus que tout, et même si tu le hais, l’Empereur porte tes tenues.”
Daniel leva les yeux au ciel et fit mine d’être agacé.
“Il va falloir qu’il arrête de mettre mes créations un de ces jours.”
Le soir, Sylvain se dirigea vers le bar de Victoria. Il s’installa au comptoir, consultant brièvement sa montre.
“Comme d’habitude?” Demanda-t-elle.
“Comme d’habitude.”
Elle lui servit une bière, avec un sourire en coin.
“Longue journée?” Demanda-t-elle.
“Toujours. Je suis en plein déménagement, donc j’essaye toujours de trouver mes marques.”
“Oh donc tu as décidé de rester finalement.”
“Oui, j’ai trouvé un travail.”
“J’imagine que ça n’a pas été bien difficile.” Commenta-t-elle.
Il rit: “Si tu savais. Mais bon, j’essaye de me créer des habitudes, en dehors de ce bar évidemment.”
“Il y a tellement d’endroits sympas ici, de restaurants et salles de concerts atypiques.”
“Vraiment? Mieux que ce bar?”
“C’est un bar relativement miteux quand même.”
“Mais le service y est excellent.”
Victoria leva les yeux au ciel.
“Excellent?”
“Et même mieux. Et l’animation, mon Dieu.”
“Ah oui?”
“Les chanteuses, danseuses...”
“Est-ce que tu es en train d’essayer de me draguer là?”
Il finit sa bière, et la regarda droit dans les yeux:
“Est-ce que ça marche?”
“Un peu maladroit, mais pas trop mal. Je finis dans une dizaine de minutes. A quelle heure a-t-on rendez vous?”
“Dans deux heures.”
“Très bien, une visite du quartier s’impose.”
Elle finit, alla se changer, enfilant une blouse noire et un pantalon noir assorti. Elle retira son masque, le cachant dans son sac, puis peaufina son maquillage. Elle retrouva Sylvain devant le bar.
“Très bien, on va commencer par le canal.”
"Il y a autre chose que des tours grises ici?"
Victoria haussa un sourcil sarcastique:
"Oui si tu vas au delà des tours grises."
Il la regardait un peu fixement, elle était radicalement différente, elle avait le visage plus expressif, plus animé, plus marqué aussi. Il la dévisagea encore un peu, détaillant ses pommettes.
"Ou alors tu peux continuer à me dévisager pendant une heure."
"Désolé… C'est juste que…"
"Je sais. Je fais ça pour me protéger on ne sait jamais."
"Pour préserver ton anonymat?"
"Oui. Mettre de la distance avec le public, éviter d'être reconnue en dehors du bar, et surtout pour le reste, tu sais, figurer le moins possible sur les enregistrements captés par les caméras et les drones."
"Oh."
"Il leur suffit d'identifier trois occurrences d'activité suspecte avant d'intensifier la surveillance contre toi."
Il ne voulut pas faire de commentaire, du moins pas tout de suite. Ses informations n'étaient pas tout à fait exactes, il suffisait d'une occurence, et d'un certain schéma scolaire et social pour ensuite être sujet à une constante observation. S'il le lui disait tout de suite, elle poserait des questions, et il devrait tout déballer.
Elle l’entraina vers une ruelle sombre, qui menait à un espèce de labyrinthe de tours grises. Plus ils s'avancèrent, plus le décor s'assombrit, et il dut plisser les yeux pour distinguer quoique ce soit. Le bruit environnant s'était atténué, et il ne demeurait alors plus que des chuchotements, des bruitages furtifs signalant le passage de rongeurs probablement.
“C’est pas dangereux de passer par là?”
Victoria pouffa.
“Qu’est-ce qui pourrait t’arriver? Je suis là pour te protéger le Doré.”
Sylvain rit à son tour, si elle savait.
“Tu as grandi ici?”
“En partie." Il l'encouragea à développer et elle éluda: "Quand j'étais petite, puis on a du déménager."
Elle s’arrêta devant une grille, et adressant un sourire narquois à Sylvain, l’escalada.
“Tu penses pouvoir suivre le Doré?”
Il haussa les épaules, et l’imita. Une fois de l’autre côté de la grille, elle grimpa sur une benne à ordure, puis se hissa sur l'escalier de sécurité. Elle grimpa au sommet de l'immeuble, haut d'une dizaine d'étages. Sylvain la rejoignit sans trop d’encombres, mais assez essoufflé. Quand il la retrouva, elle se tenait près du bord, regardant le canal en contrebas. De là où il était, il pouvait voir les toits des bâtiments gris, à perte de vue, une succession de dalles sombres s'effaçant à mesure que la nuit progressait. Filant jusqu'au bout de la ville, qui lui sembla être le bout du monde. Peut être qu'il pouvait voir le bout du Dôme si il plissait les yeux. Il marcha jusqu'à elle et s'assit à ses côtés.
“Alors?”
“Regarde là bas.”
Ils étaient suffisamment bien placés pour voir le canal, de l'autre côté un bâtiment sur lequel avait été peints Toussaint Louverture, Robespierre et Solitude.
“Wow.”
“Pas vrai? Tous les jours, l'Empire la fait recouvrir, et tous les jours on revient la peindre."
Sylvain adressa un sourire à la jeune femme.
“C’est vrai que c’est pas mal.”
“Vous n’avez pas ça à la Ville Dorée hein?”
“Non c’est vrai.”
Ils demeurèrent silencieux un moment. Victoria demanda:
“Il est quelle heure?”
“18h58, pourquoi?”
“Prépare toi. Allonge toi, voilà, comme ça, et regarde bien en haut, non plutôt vers là.”
“Qu’est-ce que c’est?”
“Le sommet du Dôme. Patience, ça va bientôt commencer.”
Puis il entendit trois, quatre, cinq, six détonations, et alors il vit des container gagner le sommet du Dôme puis exploser, de la fumée s’échappant, et rampant le long des bords du Dôme.
“Qu’est-ce que c’est?”
“Pour purifier l’air de la Ville des Sobres, tous les soirs ils ouvrent le Dôme pendant quelques secondes, puis l’agrémentent de fumée pour soit disant davantage purifier l’air. Mais ma théorie est que la fumée empêche les couleurs de passer.”
La fumée était toujours présente, épaisse et opaque. Sylvain avait peu écouté l'Empereur lorsqu'il lui avait venté les mérites du Dôme, cet édifice englobant la ville Sobre, et s’arrêtant au niveau des Portes, afin de laisser passer les couleurs chez les Dorés. Dans l'idée, il limitait l'émission de gaz à effet de serre depuis la ville Sobre. Avec les usines, l'agriculture, et le reste de l'activité économique concentrées dans la ville Sobre, il fallait limiter les émissions pour éviter les catastrophes, au titre de celles qui avaient radicalement appauvri le pays le siècle passé. Notamment celle qui portait assez bien son nom de Grande Catastrophe. Elle avait en 2057 bouleversé le pays à jamais, et traumatisé des générations en se rappelant chaque année à elles, soit par le souvenir vague des inondations, des tempêtes et des tremblements de terre, soit avec de nouvelles occurrences de mini catastrophes. Elle avait rendu des parcelles, non des départements, non des régions entières sinistrées, et forcés les sylveriens à s'agglutiner toujours plus dans des espaces urbains.
C'était loin pour eux, pour lui, pour Victoria et les autres de cette nouvelle génération, mais pour l'Empereur, et les sylveriens plus âgés qui avait connu cette peur systématisée du hasard, le Dôme était un rempart contre la nature, contre le mystique et le mystifié.
Quant à la ville Dorée… Il avait été déterminé qu'il n'y avait pas suffisamment de pollution pour que la question du Dôme s'y pose. La structure, dans un alliage combinant du verre, des filtres UV et des filtres à gaz filtraient ce qui entrait et sortait de la Ville Sobre. La technologie, révolutionnaire, faisait également office de panneau solaire qui alimentait la capitale et la ville Sobre abondamment. La Ville Dorée était un îlot de couleur dans une marre monochromatique.
Victoria ne quitta pas la fumée des yeux, elle espérait voir un rayon de couleur percer à travers le nuage de fumée, mais non... Le Dôme se referma et elle soupira. Elle se tourna vers Sylvain et demanda:
“Elles ressemblent à quoi?”
“De quoi les couleurs?”
“Oui.”
“Euh... C’est plus chaleureux, moins froid, moins...”
“Mais décris les moi, à quoi ça ressemble le bleu par exemple?”
“Euh... C’est indescriptible, c’est euh… froid… Parfois, souvent, je crois… je ne sais pas comment te décrire ça vraiment.”
Elle soupira et maugréa:
“Le Dôme a été construit quand j’étais encore une enfant, mais je n’ai plus aucun souvenir des couleurs. Ma mère elle s’en souvient parfaitement, tout comme les autres adultes.”
“Je suis désolé.” Fit-il.
Elle haussa les épaules puis poursuivit:
“Elle me dit sans cesse qu'elle préfère vivre ainsi plutôt que de retourner à l'époque tu sais, avec les inondations interminables, les pluies sans fin. Moi je préférerai de la vraie pluie plutôt que ces douches artificielles tous les dimanche. Imagine à l'époque, ils sortaient, sans savoir qu'il pleuvrait, et pouvait très bien ne pas être équipé, et attraper froid, c'est fou d'y penser nan?”
Sylvain rit et la regarda curieusement. Les préoccupations de Victoria lui semblaient si lointaines des siennes. Il avait toujours avancé, sans s'embarrasser du monde qui l'entourait, sans s'embarrasser de ses… détails, la couleur, le son, la pluie, le beau temps, pour lui tout ceci n'était qu'un rien, ou peut être à la limite, un plus. Il ne savait pas que dans un monde monochrome comme celui de Victoria, il fallait savoir se rattacher à la moindre chose qui aurait pu relever, ne serait-ce qu'un peu, du mystique. Il n'y avait que cette impression de mystique qui lui rendait les mille nuances de gris plus acceptables, moins mortifères.
“Regarde là bas.” Fit-elle. “Maintenant que le soleil se couche, regarde les volutes de fumée là-bas.”
“Wow.” Fit-il en écarquillant les yeux.
“C’est important de chercher du beau même ici. Il y a toujours quelque chose à sauver." Elle se redressa, puis se corrigea: "Enfin sauf l'Empire, il faut tout détruire avec un marteau-piqueur."
"Absolument tout? Tu penses pas qu'il faille juste réformer ce qui ne va pas, et démocratiser le reste? Pour créer de l'ordre, tout en ne prenant aucun risque. Il ne faudrait pas que Caedes ou autre se servent de cette opportunité pour prendre le pouvoir."
“Classique du 4ème.”
“Ah on a une réputation?”
Victoria rit: “Oui les petits bourges.”
“Petits bourges?”
"Oui les frileux des actions, de la déstabilisation et de la révolution."
"On veut surtout éviter tout affrontement et violence."
"Je ne crois pas qu'on puisse faire quoique ce soit sans violence."
"L'Empire est beaucoup trop armé pour qu'on puisse y faire quoique ce soit."
Elle haussa les épaules. "On ne peut pas compromettre avec l'Empire."
"Moi je pense qu'on devra compromettre, d'une façon ou d'une autre. C'est pour ça qu'on a des radicaux et des modérés."
"Pour que vous imposiez votre agenda, qui n'est qu'un compromis entre l'inique et la justice, et qui du coup n'est qu'une version allégée de l'injuste."
"Tu y vas fort."
“C’est la seule raison pour laquelle je viens ce soir, je viens voir un peu à quel point vous êtes prêts à compromettre.”
“Mais je ne suis pas un petit bourge fragile et précieux.”
Non pire.
“Ah oui? Tu penses pouvoir me suivre sur les toits?”
“Toi tu penses pouvoir me suivre?”
"Tu sais où tu vas au moins?"
Victoria se leva, tendit sa main à Sylvain, et se mit à arpenter le toit, vers un autre. Sylvain la suivit, même quand elle sauta d’un toit à l’autre, puis ils accélérèrent, la ville Sobre défilait de part et d’autre. Les immeubles, de taille moyenne, chacun ressemblant au précédent. Des bâtisses rectangulaires, avec des balcons dans ce quartier là, plus loin, vers le périphérique, les balcons diminueraient avant de disparaitre complètement. Victoria s’arrêta au sommet d’un des immeubles. Sylvain s’arrêta, attrapant la main de Victoria, qui le guida près d’elle. Plus bas, une veillée. Les habitants tenaient une veillée pour les leurs, morts pendant la guerre. Ils s’assirent sur le rebord du toit.
“Pas mal le Doré, pas mal.” Fit-elle avec un sourire.
“Qu’est-ce qu’il se passe plus bas.”
“Ils organisent des veillés, une fois par mois, pour commémorer les leurs décédés pendant la guerre. Les conscrits.”
Sylvain demeura silencieux, détournant le regard un moment. Puis il regarda les habitant préparer leurs lanternes avec une hâte et en empressement visible tandis qu'une sensation d'engourdissement gagna son coeur, et se répandit à l'ensemble de sa poitrine. Sa gorge se noua, aussi il mit tout en oeuvre pour changer de sujet:
“Ca te vient d’où le parkour?”
“Quand tu dois fuir la police il y a rien de mieux. C’est un des modules de la loge du 18ème.”
“Comment ça se fait?”
“Attends on vous apprend pas à fuir la police chez les bourges?”
Elle éclata de rire.
“Non... Mais...”
Sylvain se mit également à rire, puis il s’approcha d’elle.
“Avoue que je me suis bien débrouillé quand même.”
“C’était pas trop mal.”
“Pas mal?”
“Tu trainais un peu à la fin.”
“Ah oui?”
“Mmh.”
Il plongea ses yeux dans les siens.
“Tu essayes de créer une occasion pour m’embrasser non?”
“Tu ne me facilites pas la chose.”
“Si c’avait été plus facile tu te serais désintéressé à la vitesse de la musique.”
“Tu crois?”
“J’en suis sûre.”
“Je peux?”
“Peut être.”
"Tu penses bien que je ne vais me contenter d'un peut être."
"Embrasse moi."
Il posa ses lèvres contre les siennes. Puis il recula, la consultant du regard, puis elle lui rendit son baiser, passant la main dans ses cheveux. Et derrière eux, des lanternes s’élevèrent, elles iraient jusqu’à vingt mètres du sol, puis exploseraient, sans danger pour quiconque. A leur manière, ces lanternes feraient l’office des funérailles dont ils avaient été privés, les cérémonies religieuses publiques ayant été interdites. Mais quoi de plus vital pour perpétuer le souvenir d'un être proche que de le célébrer dans les espaces dans lesquels il déambulait? Les espaces qu'il empruntaient, dans lesquels il saluait les membres de sa communauté?
“Regarde.” Fit Victoria.
Sylvain regarda la lente ascension des lanternes, passant son bras autour des épaules de Victoria. Ils restèrent un instant en silence puis le ventre de Sylvain cria famine, et Victoria éclata de rire, se levant, et se dirigeant vers l’autre bord du toi.
“Suis moi.”
Ils empruntèrent l'escalier, puis elle se laissa tomber lestement dans une ruelle.
“Prépare toi, pour le nec plus ultra de la nourriture Sobre.”
Elle poursuivit:
“Il va falloir mettre ton raffinement de côté le Doré. Mais je te promets que le jeu en vaut la chandelle. Le nec plus ultra de la nourriture sur le pouce, tous les substituts possibles et imaginable et une sauce secrète avec suffisamment d'épices pour te faire oublier que tu manges vraiment des graines et des céréales.”
“En fait c'est ton restaurant c'est ça?”
Elle éclata de rire. Elle prit sa main, et le traina à travers la nuée d’ouvriers qui se dirigeaient vers leur appartement.
“Accélère, ou tu vas te faire engloutir par la masse.”
Il pressa le pas, serrant davantage la main de Victoria, de peur de la perdre. Ils regagnèrent la rue principale, des masses grouillantes, des nuées de fourmis, allaient et venaient, ça criait, ça hurlait des “bouge de là”, ça injuriait “Connard!” ça soufflait, une journée à la mine ça pouvait vous vider.
“Et cache moi bien ta montre tu veux?”
Il descendit ses manches, et plongea sa main dans sa poche de pantalon. Les pavés étaient irréguliers et inégaux, faisant trébucher le jeune homme. Il essayait de suivre le rythme de Victoria, qui se faufilait entre les passants, les poussettes, les chariots pleins et les mômes braillant, les bus pleins d'adultes braillants.
“Allez on y est presque.”
Il avait l’impression d’avoir gravi l’Everest quand ils s’arrêtèrent devant une petit échoppe, flanquée de deux laveries bondées.
"Keran!"
"Victoria salut!"
Elle adressa un large sourire au restaurateur.
"L'intellectuelle de la Cour Neuve."
"Tu exagères." Fit-elle en riant. "Comment ça va?"
"On fait aller, tu sais comment ça se passe ici."
"Mais encore?"
"Encore des contrôles sanitaires, à n'en plus finir, et des amendes, pour des consignes ridicules. On sait bien qu'ils cherchent la petite bête, la moindre raison de nous faire fermer, pour construire un restaurant qui effacera un peu l'héritage qu'on porte ici." Il soupira, et ajouta: "Heureusement que Chardonnay nous épaule pour le moment, pour le moment on tient et on garde la tête hors de l'eau, mais jusqu'à quand?"
"Heureusement que Chardonnay est là hein?"
"Tu sais la petite Jody?"
Victoria haussa un sourcil.
"De l'immeuble de ma mère?"
Il hocha la tête.
"Sa mère l'a mise à la rue, depuis une semaine, on la voit à l'angle de la rue."
"Tu sais ce qu'il s'est passé?"
"Les voisins parlent de cris, de disputes, paraitrait que ça a à voir avec des substances, qu'elle s'arrête pas, qu'on la voit se trainer dans la rue depuis."
"Je vais faire remonter ça aux autres."
"Si jeune…"
"On va l'aider, ne t'en fais pas."
Keran regarda par dessus l'épaule de Victoria et se fendit d'un sourire moqueur.
"Tu ne me présentes pas ton ami?"
Victoria leva les yeux au ciel, tandis que Keran se pencha vers Sylvain.
"Tu la traites bien hein?"
"Si elle veut bien me laisser faire."
Keran nota tout de suite l'accent de Sylvain, sans faire de commentaire. Il adressa simplement un regard en coin à la jeune femme.
"Qu'est-ce que je peux te servir?"
"Comme d'habitude, 2 bokits au poulay sauce chien s'il te plaît."
“Ca fera 10 écus.”
“Je paye.” Fit Sylvain.
“Absolument pas. On partage.”
"Toujours égale à toi même hein Victoria?"
"On ne change pas une équipe qui gagne." Commenta-t-elle avec un sourire.
Victoria régla ses 5 écus en posant son pouce sur le lecteur, et Sylvain fit de même.
"A plus Keran."
"Prends soin de toi hein?" Elle se retourna pour lui adresser un sourire rassurant.
Ils mangèrent en avançant vers la loge du jeune homme. Les rues se vidèrent progressivement, la taille des immeubles diminua également rapidement, le ciel encore gris clair à cette heure-ci envahissant alors le champ de vision de Victoria. Sylvain se sentit enfin respirer et profitait enfin davantage de la présence de Victoria, et de son bokit.
“Ok c’est super bon. Même le faux poulet est bon. Comment tu appelles ça?”
"Le poulay."
Sylvain ricana avant d'ajouter:
“Ok, tu gagnes.” Fit-il.
“Je gagne quoi?”
Il sourit.
“Je commence à me dire que le quartier et la compagnie sont finalement encore mieux que ce que je croyais.”
“Tu me dragues encore là?”
Ses joues se grisèrent un moment, et il fit un pas vers elle, demandant:
“Oh et le toit avec vue sur le fleuve, c’était peut être pas de la drague?”
“J’ai fait un effort pour être subtile.”
“Je ne sais pas si j’ai envie d’être subtil.”
Victoria leva les yeux au ciel.
“T’es pas croyable le Doré.” Elle sourit, puis redevint sérieuse: "C'est la vie du quartier que je veux protéger, et défendre. C'est ça, là cette âme de communauté, qui se serre les coudes, qui s'aide collectivement, il n'y a rien de tel."
Elle s'animait, elle s'animait toujours quand elle parlait de communauté. C'était un terme qui échappait à Sylvain, il ne savait pas ce qu'elle entendait par là, pourquoi elle parlait toujours de la collectivité, et jamais ou trop peu du moins d'elle-même.
Des policiers effectuaient une ronde. Ils contrôlaient souvent les démarcations entre les différentes zones de la ville, s'assurant que personne n'allait porter atteinte à la quiétude des habitants des quartiers centraux. Ils regardèrent Victoria avec insistance, puis remarquant Sylvain, les laissèrent finalement passer. Victoria plissa un moment les yeux, se demandant s'ils pouvaient reconnaitre les Dorés comme ça, d'un simple coup d'oeil.
Ils s’arrêtèrent près d’un bar, laissant leur tablette respective à l’arrière. Celui-ci était dans une rue intégralement faite de bars et de restaurants chics. Sylvain salua le propriétaire, qui récupéra leur tablette avec un sourire. Victoria sortit un bracelet de sa poche, en aluminium, qu'elle mit à son poignet, au niveau de la puce. Il bloquerait les émissions de leur puce, et alors, si jamais ils été observés à ce moment là, on les croirait avec leurs tablettes dans ce bar. Sylvain changea de montre.
Ils sortirent du bar, puis s'avancèrent vers un cinéma.
"Vraiment?" Fit Victoria.
"Evidemment. Imagine un peu qu'un officier surveille les caméras, et voit sortir de tout autre endroit des gens, au même moment, après bien une heure. Bizarre. Sauf si il s'agit d'une projection."
Sylvain repéra Daniel près de l’entrée.
“Daniel!”
“Hey!”
“Attends, Daniel d’Argent?”
“Oui, fan de son travail?”
“Folle de son travail plutôt.”
Daniel fit une accolade à son ami, et considéra un moment la jeune femme.
“Tu ne fais pas les présentations Sylvain?”
“Daniel, voici Victoria, elle fait partie de la 18ème cellule.”
“Enchanté.” Fit Daniel.
“Daniel c’est un honneur, j’adore ce que tu fais.”
“Oh vraiment?”
“Le seule styliste doré qui ose encore défier les normes de genre dans le vêtement. Evidemment que j'adore ce que tu fais.”
“Okay je l’aime bien Sylvain.”
Ils entrèrent dans le cinéma, puis prirent des billets pour voir ce nouveau film sur la Grande Catastrophe. Le film montrait comment elle avait hâté la fin de la sixième république, et précipité le pays vers la scission. Ils se dirigèrent vers la salle, puis passèrent par les toilettes pour femmes. Ils empruntèrent ensuite une porte qui donnait sur une cour. Au bout de la cour, un mur. Daniel toqua, et déclara:
“Les plats de la rue d’en face sont somptueux, vous devriez essayer.”
Sur leur gauche, une porte s’ouvrit, et ils empruntèrent ensuite un escalier. Une fois arrivés, ils trouvèrent un groupe de quinze personnes, jeunes et plus âgées, hommes et femmes, de classes sociales plutôt homogène.
C'était une petite salle, dans laquelle étaient exposés des tableaux. Elle était très lumineuse, littéralement baignée de lumière, avec au milieu, des chaises en bois, du genre qui n'avait pas été créée pour simplement accueillir le postérieur de quelqu'un mais aussi décorer et habiller une pièce. Sylvain et Daniel saluèrent leurs camarades, les présentant chacun à Victoria, notamment Tania, Jérome et Yvan. Etonnamment Victoria avait l’impression d’avoir déjà vu Tania, mais elle était incapable de se souvenir d’où? Alors, un bruit de pas lourd se fit entendre, tout le monde se tut, et un homme d’un certain âge entra. Ils s’assirent tous, tandis que le nouvel arrivant demeura debout.
“Bonsoir à tous, merci d’être venu. Sylvain! Content de te retrouver parmi nous.”
"C'est moi qui suis content d'être là Yasser."
“C’est le dirigeant de cette loge.” Chuchota Daniel à Victoria.
“Aujourd’hui nous allons parler brièvement de l’augmentation de la présence policière autour du périphe. On ne sait pas exactement ce qu’il se passe parmi les Déclassés, mais visiblement des attaques menées par des extrémistes inquiètent le palais. Cependant, en dehors de la menace que représentent ses troupes pour les Déclassés, on a aussi noté une surveillance accrue des activités des Sobres. La loge du 20ème a été neutralisée, et des rebelles emmenés dans les prisons du Sud. Il faut qu’on s’améliore en termes de discrétion, mais aussi qu’on fasse davantage attention au chatter, et aux mouvements des troupes impériales. En dehors de ça... Quelqu’un aurait une information à nous communiquer?”
Daniel regarda Sylvain et ce dernier déclara:
“Oui. Ca va vous paraître anodin, mais je pense que ce que je vais vous annoncer va être l’occasion pour nous de nous immiscer davantage au sein du palais. L’Empereur veut se marier.”
Des ricanements retentirent un peu partout dans la salle, mais le général d’Acier semblait plongé dans ses pensées. Victoria ne put s’empêcher de sourire tant cette idée lui semblait saugrenue. Et comment savait-il que l’Empereur voulait se marier?
“Nous avons hérité d’un Empereur incapable de gouverner un pays, et qui semble plus distrait par les femmes que le malheur du peuple.” Fit Tania.
“Sylvain marque un point cependant.” Fit remarquer Daniel. “Jusqu’ici, il nous a été impossible de s’immiscer au sein du palais. Une femme pourrait recueillir des confidences, et tisser des relations avec les personnages les plus influents de l’Empire, ce n’est pas bénin, c’est même là une avance significative par rapport à tout le travail que nous essayons d’accomplir depuis le début.”
“Qu’est-ce que tu veux dire par là?” Fit un réformateur.
“Je veux dire que vous semblez plus préoccupés par vos joutes verbales, et vos envolées lyriques plutôt que par le besoin de trouver un moyen d’améliorer les conditions de vie de nos concitoyens.” Remarqua Daniel.
“Exactement, si nous prenons une des nôtres, et qu’elle réussit à devenir une indic, nous renseigner sur ses agissements, ses exactions, nous auront finalement l’ouverture dont nous avions besoin pour le renverser.”
“Et puis, aussi, j’imagine qu’il y a moyen que cette femme réussisse à acquérir suffisamment de capital social, et de pouvoir.” Nota Victoria. “Je veux dire, si elle réussit à demander à l’Empereur de lui confier les rênes de je ne sais pas l’éducation, la santé, quelque chose, elle aurait accès à un budget, pourrait constituer un comité, et reverser une partie du budget aux rebelles.”
“Nous n'avons pas le temps pour ce genre de fantaisie.” Répliqua le vieil homme.
“On passe à côté d'une opportunité rarissime!.” S'insurgea Daniel. "Ne vous étonnez pas que rien ne décolle, que l'on soit toujours là, toutes les semaines à réfléchir, penser, parler, plutôt que d'agir."
"Si notre mode de fonctionnement ne te convient pas Daniel, tu sais que tu peux toujours aller voir ailleurs." Lui répondit-on.
Daniel était fou de rage, alors il se leva, attrapa ses affaires et disparu de la salle. Sylvain le regarda faire, puis il fit signe à Victoria de le suivre également.
“J'espère que vous avez eu la chance de lire Danton, ce texte je trouve nous éclaire bien sur la direction à donner à…"
Sylvain renfrogna la mine.
Daniel faisait les milles pas devant le cinéma.
"Pour ce que ça vaut, je pense que c'est une idée de génie Daniel."
"Je sais, je sais. Mais c'est pas possible d'être aussi buté ma parole, toujours à parler à parler à parler, tandis que des milliers de personnes souffrent!"
Victoria était on ne peut plus d'accord avec lui.
“Je pense que je préfère les actions directes.” Répondit-elle. "Vous êtes le bienvenu à ma prochaine réunion."
"Je te redirais ça, là pour le moment, je crois que je vais juste rentrer et essayer de digérer tout ça."
Elle hocha la tête et le salua de la main.
Une fois seuls, Sylvain prit la main de Victoria.
“Désolé que ça ne se soit pas aussi bien passé."
Elle retira doucement sa main, demandant:
“Comment est-ce que tu sais tout ça sur l’Empereur?”
“Oh... Euh.”
Il passa nerveusement la main dans ses cheveux.
“J’ai des connaissances au palais.”
“Oh.”
“C’est top secret, je ne veux pas risquer leur sécurité, mais s’il te plaît, fais moi confiance.”
“D’accord.”
Il détourna un moment le regard, et elle s’approcha de lui, posant sa main sur son épaule:
“Pas de soucis, prends ton temps.”
“Merci.”
Il la regarda un moment, et demanda:
"Alors verdict?”
“Ça discute beaucoup, mais est-ce que vous faites autre chose que ça?”
“Non c'est pour ça que j'ai arrêté d'y aller.”
"Tu essaieras chez moi, tu verras, c'est bien mieux."
Ils récupérèrent leur tablette, puis sortirent du bar.
“Donc en conclusion?” Fit Sylvain.
“Je crains que mon diagnostic ne soit final. Tu es bel et bien un petit bourge, mais un petit bourge récupérable.”
“Récupérable?”
“Récupérable. Peut être."
"Peut-être?"
"Tu es un réformateur, tu es peut être inconfortable avec l'Empereur et ses actions, tu veux peut être lui coller des corps indépendants pour le surveiller et lui taper sur les doigts, mais sans doute rien de plus que ça. Tu es un Doré, tu ne comprends pas la colère qui est la mienne, celle de mes proches, celle de ma cellule, tu n'as pas ce feu destructeur qui t'anime."
"Et c'est là que tu fais erreur sur moi. Pour être tout à fait franc, je n'y vais plus, j'ai besoin de plus, de bien plus. Je n'ai que ça, en moi, ce feu destructeur. Je veux que cesse la douleur, la peine, la souffrance de tous pour les beaux yeux d'un despote mégalomane qui se soucie davantage de ces intérêts à lui et ses copains les Industriels plutôt que de ne serait-ce que considérer le bien être des…"
Victoria avait posé sa main contre son bras lui adressant un regard empli d'empathie. Elle comprenait, elle avait autant de rage et de colère, et quand elle commençait à parler elle était tout autant dithyrambique que lui. Elle pouvait parler, cracher ses mots, sa haine de l'Empereur, de ses comparses et des Dorés, elle comprenait, et crut voir en lui la même passion, la même flamme qui l'animait pour la rébellion, pour son mouvement. Elle passa ses bras autour de ses épaules, se hissant sur la pointe des pieds pour poser un baiser contre ses lèvres. Il était fébrile, tout autant qu'elle l'était. Il recula un moment, la regardant un instant, elle partageait sa colère, se dit-il. Il voyait dans son regard une lutte sans relâche et infatigable, contrairement aux yeux morts et sans vie des réformateurs. Il voyait l'adrénaline. Il se pressa contre elle, l'embrassant un peu plus avidement, les mains maladroites, voulant enrouler ses tresses autour de ses doigts, l'attirer bien plus contre lui, suivre la courbure de son dos de ses mains… alors qu'elle souffla contre ses lèvres:
“Je dois rentrer.”
“Oh d’accord Cendrillon.”
Elle leva les yeux au ciel.
“Je peux te raccompagner?”
“Je ne préfère pas.” Elle marqua une pause, et ajouta: “Je ne suis pas sûre que je me retiendrais de te faire monter chez moi, et j’ai du travail.”
“Oh je vois. Je suis un petit bourge récupérable, et trop tentant c’est ça?”
“Précisément.”
Il posa un nouveau baiser sur ses lèvres, puis souffla:
“Et bien rentre bien, on se verra plus tard.”
“A bientôt.”
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