Chapitre 7

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Jean Thomas

La débacle de Tourtour , 10 Décembre 1851

Tourtour se réveillait doucement. Une petite brume matinale se dissipait lentement. Une fine couche de neige était tombée, recouvrant tout le paysage. Il ne faisait pas très chaud, mais sans vent, le froid était supportable.

Des madones républicaines, drapées de rouge, faisaient le tour du campement. Levées bien avant l’aube ; elles avaient cuisiné, dans d’immenses chaudrons, des ragoûts odorants et des soupes. Les hommes , mal couverts et dormant à la belle étoile, pour certains, avaient grelotté toute la nuit. De maigres feux de bois et quelques bonbonnes d’eau-de-vie, les avaient tout juste réchauffés. Transis, ils accueillirent, reconnaissants, cette soupe bouillante. D’épais morceaux de mouton flottaient dedans. Les habitants de Tourtour, n’étaient pas très riches, mais ils donnaient tout ce qu’ils avaient, à leurs frères d’armes, sans calcul.

Arambide, le capitaine, tel un lion en cage, arpentait nerveusement la grande place ou son monde bivouaquait. Il n’avait aucune nouvelle de son général.

Devait-on marcher sur Draguignan ou continuer sur Castellane et rejoindre les camarades des Basses - Alpes? Dans l’incertitude, il avait envoyé, Martin Bidouré aux renseignements. Le Barjolais, populaire dans le camp, dégourdi et vaillant, connaissait la région comme sa poche. Il était, de fait, le messager idéal. Jean-Thomas, l’avait vu passer, fièrement assis, sur le dos de la jument blanche que lui avait prêté, Joseph Blanc, le maréchal-ferrant. Cela lui rappelait, le jour où il était venu les exhorter au départ. En attendant le retour de l’estafette, chacun vaquait à ses occupations.

La troupe n’était pas encore sur la défensive. Un esprit bon enfant, régnait, quoique teinté d’impatience et d’un peu d’angoisse, ils étaient conscients de n’être que des paysans et qu’ils auraient en face d’eux des soldats aguerris. Même si la cause était juste, se battre contre l’armée régulière, ce n’était pas rien ! Ils s’en prenaient à l’ordre établi, tout de même! Certains avaient, dans le cadre du service militaire, participé, à la conquête de l’Algérie. Ceux-là, savaient. Une balle, un sabre ou une baïonnette provoquaient dans les chairs, des dégâts importants.

Jean - Thomas, lui, n’avait pas peur. Il n’avait qu’une hâte, montrer sa bravoure aux ainés, surtout à son père. Il n’avait pas encore pu lui parler, Victorin l’en empêchait. Ils en causeront sûrement au retour. Là, Victorin ne pourra plus s’y opposer !

Une envie pressante, lui fit quitter les rangs. La soupe de ce matin était bien grasse, bonne au goût, mais difficile à digérer. Affamé, il en avait pris trois assiettes. Il payait comptant sa gourmandise. Il courut sous les quolibets de ses camarades, se soulager,dans d’épais taillis, derrière un gros chêne qui surplombait le village.

Ses entrailles vidées, il se redressa. Alors qu’il bouclait sa ceinture. Il les vit arriver. Il en venait de partout à la fois.

Capotes bleues, pantalons garance, shakos vissés sur le front, ils avançaient en rangs serrés. Sabres au clair pour les officiers baïonnettes à la ceinture pour les soldats, ils étaient impressionnants. Par un mouvement circulaire, ils avaient cerné les républicains, les contournaient sans bruit et fondirent sur l’aire. Jean-Thomas hébété se recroquevillait derrière le gros arbre. Il aurait pu crier, alerter. Il n’en eut pas la présence d’esprit. Il se contenta d’observer, les yeux écarquillés par la peur, ce qui allait suivre.

Personne ne les attendait, ici et maintenant. Nulle sentinelle n’avait été postée, c’était pourtant le béaba de la guerre… L’effet de surprise fut total. Parvenu à quelques dizaines de mètres du bivouac des républicains, le régiment stoppa sa progression. Une seconde ou deux un silence de plomb tomba sur la scène. Ensuite tout alla très vite.

L’officier, qui était à leur tête, le sabre levé, aboya !

— Bataillon, halte ! Genoux à terre! armes à l’épaule, visez! feu à volonté !

Jean-Thomas, rampa pour mieux se cacher au cœur du fourré, évitant comme il put ses propres excréments. Les premières détonations le firent sursauter, il était pourtant habitué aux bruits des carabines de chasse. Mais les déflagrations, des fusils de guerre, étaient beaucoup plus puissantes. Le vacarme était effroyable. Les balles sifflaient. Les armes tonnaient. Il se croyait plongé dans un formidable orage d’été, quand la foudre craque sèchement, que le tonnerre gronde et que les éclairs secouent le ciel. Mais aucune tempête n’eut pu égaler en intensité ce tumulte. Ça vibrait, ça cognait, ça grinçait… Le cœur battait la chamade, les tympans allaient exploser.

Les soldats, accroupis, le fusil coincé dans le creux de l’omoplate, se taisaient. Concentrés, ils visaient soigneusement. Leur balle expédiée, ils se levaient sereinement et reculaient d’un pas. D’autres troupiers s’agenouillaient à leur tour, épaulaient, tiraient… les gradés, à cheval, sabre au clair, gueulaient des ordres.

— Pas de quartiers, exterminez ces enfants de putains, au diable ces salauds !

— Première ligne feu !

— Deuxième ligne, genoux à terre ! Porteeez arme ! en joue, Feu !

Les fuyards priaient et pleuraient paniqués. Tout ce brouhaha n’avait plus rien d’humain. Une fumée âcre envahissait tout l’espace. Jean-Thomas, caché dans son clapier, tel un lapin de garenne, roulé en boule, protégeait sa tête ,derrière le grand col de l’épaisse veste. Même ainsi, il respirait difficilement. L’odeur de salpêtre, saturait l’atmosphère et lui piquaient les yeux.

Dès les premières salves, tous les insurgés s’étaient enfuis. Arrambide en premier ! Maintenant, les soudards perçaient de leur baïonnette, tout ce qui ne fuyait pas assez vite ! Mal armés, mal commandés, les républicains détalaient comme des lièvres, le jour de l’ouverture de la chasse.

C’était donc caché, là où il venait de se soulager qu’il vécût, Jean-Thomas, le premier combat de sa vie. Mais le pire attendait encore le jeune garçon, toujours dissimulé dans son roncier ! Ce fut alors qu’il les vit passer, son père et son frère enchaînés, l’un à l’autre, emmenés par des gendarmes à cheval. Les pandores, qui suivaient comme des vautours l’armée de l’usurpateur, avaient ratissé le village et les environs. Jean-Baptiste ne pouvait pas courir à cause de sa jambe ; il avait dû être raflé dans sa fuite. Victorin n’avait probablement pas pu se résoudre à l’abandonner, il s’était laissé prendre lui aussi. Le plus âgé traînait la patte, fatigué. Sa figure était grise, son regard morne éteint ; il ressemblait à un vieillard. Son fils, auquel il était attaché par la cheville, était en piteux état. Les épaules voûtées et le visage tuméfié par un coup de crosse, il titubait.

Jean-Thomas, était effondré, tapi dans sa cachette, il n’avait rien pu faire pour les siens. Ces images-là, il en était certain, elles le hanteraient tout le restant de sa vie. Il lui fallait rentrer à Saint-Martin maintenant. Sans ses proches, sans avoir pu délivrer son message au chef de famille. Sans avoir eu le temps de lui parler, comme il avait promis à sa mère.

C’était un échec, le fiasco était total

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