Chapitre 9 - Le monde nous "étronne" au visage
« La personne que vous essayez de joindre n'est pas disponible. Veuillez réitérer votre appel ou laisser un message. »
Ludwig inspira, puis commença :
— Hello, Hadrian, c'est moi – il soupira – j'espère que tu te les gèles pas trop dans cette académie himalayenne. Je t'appelle pour te dire qu'il est revenu. Oui, j'imagine que là tu risques de faire une tête confuse, puis de dire « de qui parle-t-il ». De lui. Et là, tu sursautes parce que mon intonation t'a fait comprendre de qui je parlais. Tu décides direct de m'appeler, mais écoute mon message : ne reviens surtout pas. Je n'ai pas besoin que… tu viennes risquer ta vie en venant. Donc reste au chaud ; enfin tu me comprends ; et finis premier de ta promo, comme ça tu me rendras visite en tant qu'étudiant méritant quand les choses se seront tassées. Bye.
Le jeune ambassadeur raccrocha, et se frotta l'arrête du nez en soufflant fort par le nez ; de temps en temps, le lunetteux lui laissait des messages du genre : « je vais bien » ou « il fait froid là-bas ». Bref, plus ou moins utiles et ça donnait l'impresion à Ludwig d'être un daron qui s'inquiétait pour son gosse. Ah, si ma mère me voyait… Elle me dirait : « déjà que t'as du poids dans le bide, te plains pas d'en avoir sur tes épaules ! ».
Quelqu'un toqua, et Ludwig dit « Entrez ! », laissant la porte s'ouvrir sur l'une des sources principales de son stress journalier : celui qui avait posé le fardeau sur ses épaules. Prenant un air intimidé, et froid comme la pierre, Ludwig lui ordonna :
— Assieds-toi.
L'autre s'exécuta, et prit place dans le fauteuil en face du bureau de l'ambassadeur. Ce dernier, utilisant la technique du « type classe et haut-placé qui t'annonce que tu vas prendre cher », se rangea devant la fenêtre, observant la morne monotonie de cette Oxford qu'on lui avait ordonné de remettre en ordre.
— J'imagine que tu m'as amené pour me sermonner, se risqua Yannis, toujours avec cette envie de se faire remarquer. Mais je n'en avais pas l'intent…
— Je t'ai autorisé à parler ?
Le ton que Ludwig avait prit était dur, si dur qu'un troll aurait pu s'y briser les dents. Yannis se tut immédiatement, se rétractant dans son fauteuil tel une antenne d'escargot. Ludwig continua, sans se retourner :
— Je dois te rappeler une chose : tu es venu fourrer ton nez dans mes affaires, ou comme Ugo aurait dit, « agiter tes couilles devant mon nez alors que j'essaye de repeindre les murs ».
— Mais, je suis ton ami ! Tu voulais que je fasse quoi, à part venir te voir ?
— Hmm, oui… « amis » – le blond prononça ce mot en le faisant rouler dans sa bouche, appréciant son sucré insupportable et son amertume tonifiée – Dis-moi, quel ami te confie une tâche titanesque pour juste revenir l'air de rien, en disant : « Wouah, t'as fais du bon boulot ! » ?
— Je te faisais confiance, répondit Yannis avec fierté.
Ludwig grinça des dents ; Toujours. Cette. Putain. De. Répartie qui vous crachait à la figure : « j'ai raison, t'as tort, c'est comme ça », avec un peu de vomi d'orgeuil, pour accompagner le tout !
Yannis dut sentir que le silence de Ludwig n'annonçait rien de bon, alors il n'ajouta rien. Bien, pensa ce dernier avec satisfaction. Il commence à comprendre qui distribue les cartes ici. Le blond se retourna avec un visage suffisant, ce qui arracha un air blessé à son « ami », avant que Ludwig ne s'asseye. Ah, ce fauteuil est si confortable…
— La confiance entre amis ne fonctionne pas comme ça, mais tu m'étonnes guère par ton ignorance ; les relations sociales t'ont toujours écœuré.
— Je… – le brun s'apprêtait à répliquer, mais Ludwig lisait dans les gens comme dans des livres, surtout quand il avait côtoyé ces derniers lors d'une colocation de trois mois sur une planète étrange et mortelle la plupart du temps ; Yannis se tut, parce que la remarque avait fait mouche – Je ne savais pas que ça te mettrait autant dans l'embarras. Excuse-moi.
— Wouah. Des excuses, merci, c'est assez plaisant… mais pas suffisant. Quand à cet « embarras » que tu m'as sorti, c'est une excellente litote. Tu permets que je la réutilise quand je t'aurais foutu en taule ? « Oh, non, Yannis, désolé ! Je t'ai mis dans un embarras… ! »
— Que… Quoi ? (le brun se leva brusquement, l'air à la surpris et outré) Mais je n'ai rien d'un criminel !
— Assis, le coupa Ludwig avec le même ton froid qu'auparavant.
L'autre ne se fit pas prier, et le blond écarta ses doigts pour qu'ils soient bien visibles, avant d'en faire un décompte humiliant :
— Traverser les frontières sans autorisation. Pas d'enregistrement à la préfecture pour vérifier ton identité. Ajoute à ça utilisation illégale de la magie sur voie publique et destruction de bien communs avec le joli sol oxfordien que tu as abîmé !
— Les gens le reconstruiront, grommela Yannis en croisant ses bras.
— « Les gens le reconstruiront » n'est pas une bonne mentalité à adopter, soupira Ludwig comme s'il expliquait à un gamin que glisser sa langue sur de la glace n'était pas une bonne idée. Ces « gens » sont en vie, ils marchent dans la rue pour aller au travail ou acheter leur viennoiserie préférée, ou quoi que ce soit d'autre. Et quand ils sifflotent, les voilà tombés dans un trou ! Avec un peu de chance, ce sont de simples contusions qui n'entraîneront aucune séquelle, mais parfois… ils se retrouvent avec une jambe cassée, une commotion cérébrale…
Pendant qu'il parlait, Ludwig se levait progressivement, inverse de Yannis qui se tassait sur son fauteuil devant ce regard de plus en plus insistant, et cette explication à rallonge pour planter chaque clou avec le maximum d'efficacité dans « son petit crâne de magicien débile » :
—…l'hôpital, qui fait payer les frais à la personne qui ne dispose pas de sécurité sociale, parce que l'Apparition a tout chamboulé ! Vient les dossiers administratifs, médicaux, des accidents de travail… Tout ça, toutes ces choses que je dois parfois gérer parce que des magiciens sans cervelle se foutent du bon fonctionnement du monde !
— Si ça t'embête tant que ça, tu pourrais tous les exterminer ! se moqua Yannis.
Le regard qu'il reçut en réponse lui fit froid dans le dos.
— Oh, crois-moi, j'y ai longtemps pensé ; j'ai même envoyé un courrier à la SEA pour qu'ils développent un vaccin qui supprime les pouvoirs magiques, mais à chaque fois, je finissais par revenir sur ma décision. Sais-tu pourquoi ?
Yannis secoua sa tête, trop effrayé de répondre à haute-voix.
— Un putain de visage, avec son sourire attendrissant qui disait grosso mode : « je te confie la Terre ». Et moi, je pouvais m'y extraire. Rien n'arrivait à me faire oublier cette patate chaude que tu m'avais refilé – son visage s'assombrit – tu n'as pas idée de l'enfer que j'ai traversé pendant les trois mois après ton « départ ». Et ça ne servirait à rien que je te le raconte.
Le silence qui suivit fut gênant, du moins pour Yannis, car il baissait les yeux avec son air de chien battu. Ludwig se sentait libéré d'un poids ; minuscule, mais c'était déjà ça. Après quelques instants, Yannis s'apprêta à répondre quand il l'arrêta d'un geste :
— Ne t'excuse pas ; j'ai plus envie d'en parler. Changeons de sujet : où étais-tu ?
— Coincé entre l'espace et le temps, répondit ce dernier, se forçant à ne pas sourire parce qu'on s'intéressait à lui.
— Dans une autre dimension ? avança Ludwig, ce qu'à quoi Yannis acquiesça.
— Près des Limbes, là d'où viennent les Autres ; tu vois, ces monstres qui vous ont attaqué Saulia et toi ? (Ludwig confirma qu'il les voyait très bien) Bref, ça a été un calvaire.
— Essaye toujours, le railla le blond.
— C'était plus animique que psychologique, se rattrapa le brun avec un faible sourire. Mon âme était assaillie par les « Gardiens ».
— C'est quoi, ça ?
— Eh bien, pendant mon séjour dans ce que j’appellerais le « Transit » ; l'endroit où j'étais prisonnier ; mon corps était figé mais mon âme pouvait se mouvoir sur la terre des Autres, donc mon esprit gardait un lien entre les deux, bien qu'affaibli par le manque de magie,.
— Comme un fil, d'accord… Mais quel rapport avec ces « Gardiens » ?
— Dans les Limbes, il y a toutes sortes d'Autres. Les plus courants, je les appellerais les « Errants ». Ils ne sont pas agressifs, juste féroces quand ils se sentent en danger. En revanche, les autres espèces que j'ai croisé étaient hostiles, et surtout…
—...intelligentes, comprit Ludwig. Continue.
Yannis acquiesça, mais il prit un moment pour respirer calmement, ce qui appris à Ludwig ; en observant le regard de l'ancien mort ; qu'il avait vraiment des souvenirs horribles de ce « Transit ». Magnanime, il ne le pressa pas, et le brun reprit son explication :
— J'ai croisé trois autres catégories d'autres, que j'ai nommé « Meute », « Sirènes » et « Gardien ». Tu as d'ailleurs été attaqué par une Sirène.
— Ce machin dégueulasse ? répliqua Ludwig avec un air dégoûté, se rappelant très clairement du monstre sur échasses. Tu devrais apprendre à mieux nommer les choses, ça ressemble pas du tout à une femme-oiseau ou poisson.
— C'est surtout la fonction qui font leurs noms ; respectivement, les seconds hurlent quand ils détectent une âme qui se balade, puis les premiers arrivent, possédant une sorte de conscience collective, traquant et piégeant l'âme pour l'amener au gardien.
— Et lui, il fait quoi ?
Yannis grimaça.
— J'ai préféré ne pas tenter l'expérience.
— T'aurais dû, ça m'aurait fait des vacances ; sinon, pourquoi tu as appelé les derniers « Gardiens » ?
— Parce qu'ils gardent le Voile.
Ludwig le regarda avec un air entendu, pour lui souligner que les choses magiques et lui, ça faisait deux. Yannis s'excusa et lui apprit :
— Le Voile est ce qui sépare les mondes pour éviter qu'ils se mélangent. Je l'ai appris des Gardiens quand ils assaillaient mon âme.
— Parce qu'ils sont télépathes, en plus ?
— Pas télépathes ; je dirais une forme peu avancée d'animakinésie. Et comme mon corps ne protégeait pas mon âme, j'étais comme une tortue sans sa carapace. Heureusement, ma puissance d'âme avait crû proportionnellement à ma vulnérabilité.
— C'est là que tu as trouvé ce qu'ils gardaient.
— Oui.
Ludwig s'enfonça dans son fauteuil, pensif ; des gardiens qui protégeaient des portes menant à d'autres mondes, on se croirait dans un jeu vidéo. Pourtant, Yannis était un Outsider, ce qui lui permettait d'outrepasser les interdictions des Gardiens ? Peut-être qu'il avait épuisé son pouvoir en les téléportant tous sur Terre, ou alors son état dans le Transit l'avait affaibli au point que les Gardiens ne le considèrent plus comme un passeur, mais un intrus…
Mais c'était des choses inutiles à penser, pour le moment ; Ludwig se redressa et darda son regard perçant sur Yannis, qui déglutit :
— Saulia t'a donné les informations nécessaires, donc que comptes-tu faire ?
Il avait affirmé avec certitude que sa secrétaire avait accompli son travail à la perfection, et que tout manquement incomberait uniquement à Yannis. Ce dernier, cependant, ne se défila pas et répondit avec un air bravache :
— Je vais vous aider, bien sûr !
— Formidable, lâcha le blond sans grand enthousiasme, persuadé que le magicien légendaire était plus à même de faire exploser la ville que de la protéger. Je t'appellerais quand j'aurais besoin de toi, alors.
— Hein ? (Le visage du brun passa de la joie d'aider à une déception trop palpable) Tu ne veux pas que je vous aide à trouver les Sinueux ?
— Ta venue est encore secrète, du moins dans notre camp. Si ça se sait, ça créera une débandade côté mage, alors qu'un seul est difficile à gérer, une nation serait catastrophique… Tu connais des sortilèges de métamorphose ?
— Ah, tu fais bien de me le demander ! s'exclama Yannis avec un rire ravi. J'ai justement un formidable charme de…
— Dis un mot de plus et je t'assassine – son regard meurtrier fit taire l'enthousiaste imbécile – Je veux que tu deviennes cette personne, continua Ludwig en sortant une photo préconçue pour les espions en quête de fausse identité. Une fois que ce sera fait, ton nom sera Raiden Kurogawa, un employé mage de la branche japonaise de la SEA. Tout est ok pour toi ?
— Cinq sur cinq, chef ! sourit le brun, et soudain Ludwig se rendit compte que Yannis n'avait pas grandi du tout.
— Maintenant, hors de ma vue avant que j'applique réellement ma menace.
L'autre se leva puis se mit au garde-à-vous, avant de s'enfuir sous le regard de Ludwig qui ne ternissait pas son envie de lui coller une balle dans la tête ; ou dans le genou, c'était plus douloureux. Après que Yannis fut sortit, le blond soupira et se massa l'arrête du nez, pensant à son repas du soir. J'ai envie d'un poulet au curry et d'un croque monsieur...
Il appela le service de livraisons interne du bâtiment en utilisant la ligne privée, et passa sa commande en regardant le menu du restaurant le plus proche. Soudain, il vit que Laura était entrée, sans bruit. Son humeur passa du sombre au gris, parce que cette jeune femme était décidement l'inverse de Yannis ; comme lui, elle portait quelque chose de lourd sur le cœur. Il s'excusa envers le service de livraisons et se tourna vers Laura :
— Ah, vous êtes là ! Vous voulez manger quelque chose ?
* * *
Laura et Ludwig mangeaient ensemble sur le bureau de travail de ce dernier. La jeune sorcière ne l'avait jamais remarqué depuis qu'elle l'avait rencontré, mais Ludwig donnait l'impression d'être intimidant tout en étant accueillant, comme un feu brillant fort mais qui ne brûlait pas.
Mais là, il ressemblait à un de ces usiniers que Laura avait côtoyé pour gagner de l'argent ; de l'appétit, des anecdotes à n'en plus pouvoir et même parfois poussait la chansonnette. Enfin, c'était peut-être à cause du vin, mais elle supposait qu'il se serait relâché même sans.
Cependant, il gardait une clarté d'esprit effrayante, quand il remarqua qu'elle ne touchait pas beaucoup à son assiette, malgré la Sheperd's Pie appétissante et dorée.
— Êtes-vous soucieuse à cause des Sinueux ? Ou de Yannis ?
— Pas besoin de me vouvoyer, Ludwig, répliqua au tac au tac Laura, avant de se couvrir la bouche : Merde, ça m'a échappé… Désolé.
— Ne t'excuse pas, Laura, sourit-il en engloutissant une cuisse entière de son poulet au curry. Aaah, c'est quand même bien de déguster un bon repas avant d'affronter la tempête, hein ?
—…
—…écoutez, si vous ne voulez rien dire, ça ne me dérange pas, avoua le blond en haussant ses épaules. On est fait du même bois : vous êtes efficaces même morose.
— Si seulement, rigola-t-elle faiblement.
— Alors déballe ton sac ! s'exclama Ludwig avec un ton agacé.
Elle sentit qu'il attendait une réponse, mais celle-ci était coincée dans sa gorge. Sinueux ou Yannis ? C'était difficile de choisir : un ordre de fanatiques qui souhaitait annihiler les humains et les sorcières comme elle, qui n'avaient rien demandé à recevoir le pouvoir ? Ou bien celui qu'elle était venue chercher n'était qu'une pâle copie, et pire, un membre de sa « Famille » qui souhaitait la ramener chez elle.
— Je dirais…
— Hum ? réagit Ludwig, pendu à ses lèvres avec une tête penchée.
—…que je n'ai jamais mangé quelque chose d'aussi bon ! s'exclama-t-elle dans un rire, avant d'enfourner des parts de tarte dans sa bouche. C'est vrai que c'est bon… pensa-t-elle avec ironie.
Un soupir infime parut à ses oreilles, et du coin de l’œil, Laura vit la mine un peu déçue de Ludwig. Le pire, c'est qu'elle le comprenait, car, comme il l'avait dit, ils étaient fait du « même bois » ; ils prenaient sur leurs épaules tout le poids nécessaire, et se protégeaient de la douleur par le sarcasme et une carapace de moquerie envers ce monde injuste.
Alors c'était normal de vouloir communiquer avec un semblable quand personne ne vous comprenait.
Laura souhaitait également communiquer, mais avec toutes les découvertes qu'elle avait déniché sous le rocher immense qui avait enflé lors de son « absence » du monde, son cœur s'était racorni. Dis-leur, disait une petite voix dans sa tête ; sa conscience ? Mais elle était morte, cette petite fille qui était tombée amoureuse. Ne restait qu'une coquille vide, avide de racheter ses fautes avant de disparaître définitivement.
— Le monde nous étronne au visage, annonça Ludwig.
Elle s'étouffa sur un morceau de tarte, faisant rire le personnage de bon cœur ; ce dernier lui offrit de l'eau, avant d'expliquer sa soudaine analyse :
— Nous avons beau nous démener pour les autres afin qu'ils puissent un jour se démener pour nous, il n'en reste que le monde est le seul qui soit sourd à nos attentes. Et vous savez pourquoi ?
— Parce que Dieu n'existe pas ? crachota Laura en reprenant son souffle.
— Ça, et parce que nous nous voyons seuls.
Le regard du blond se perdit dans le vague.
— Je ne crois pas aux conneries comme « le pouvoir de l'amitié triomphe de tout » ou « l'amour dépasse les frontières »…
Tu serais surpris que ce dernier adage n'est pas si loin du compte, se dit Laura avec un mélange d'ironie et de tristesse.
—…mais je suis persuadé que si le monde nous punit, c'est parce qu'on veut agir seul, conclut Ludwig en se levant pour débarrasser la table. Nous sommes les propres artisans de cet étronage particulier.
— Je saisis votre propos, mais vous employez le mot « étron » avec un tel naturel que s'en est presque poétique…
— Et ?
Laura gloussa, avant de déclarer :
— C'est plutôt formidable cette aptitude que vous avez à transformer quelque chose que tout le monde trouve repoussant en une forme de beauté.
Ludwig la regarda un instant, le visage imperméable, avant de secouer sa tête et d'éclater de rire. Ses épaules se secouant, il dit en continuant de rire :
— Je...Je pense que j'aurais dû… Ha ha… devenir un poète !
— Et moi une analyste !
Elle lui rendit un regard sombre et attendri, qui eut l'air de le pétrifier :
— Mais ce n'est pas ce que le monde attend de nous, n'est-ce pas ?
Le silence qui suivit fut assez éloquent pour comprendre la réponse de l'ambassadeur le plus imposant du monde.
— Mouais, finit-il par dire. Après, je pense que que tu peux aussi me tutoyer, si ça ne te dérange pas.
* * *
Quelques instants avant l'entrée de Laura…
Quand IL fut sorti de la pièce, IL lâcha un soupir de soulagement ; donc personne ne savait où se trouvait Yannis… Cela L'arrangeait beaucoup, sachant qu'IL aurait été abattu au moindre soupçon. Contrairement à son frère, IL n'était pas encore assez doué pour copier avec précision les esprits des gens, et encore moins les âmes… Cependant, nul humain ou mage (qui n'était pas de SON camp) ne connaissait la véritable étendue des capacités de Yannis, et IL pourrait toujours trouver une excuse quand on LE confronterait à une situation où Yannis l'Outsider aurait pu se démêler.
Soudain, il croisa la seule personne qui savait qui IL était réellement.
Laura, sa sœur, le regarda droit dans les yeux, une lueur de défi perçant ces nuages d'améthyste et de lilas qui dansaient dans ces orbites. LUI, en revanche, répondit par un sourire narquois et posé, montrant clairement qu'elle n'avait aucun avantage ni aucune arme à disposition. Avant qu'elle ait pu esquisser le moindre mouvement, IL était déjà prêt d'elle, appréciant des mains la courbure de ses épaules, la douceur de sa peau, l'odeur de son cou.
— Il semblerait que le destin nous place toujours au même endroit, susurra-t-IL à son oreille.
— Dégage ! répliqua-t-elle, tentant de le frapper en se retournant ; il esquiva le coup, la forçant à ajouter : Je t'interdis de me toucher de la sorte !
— Bah quoi ? J'ai plus le droit de faire un bisou à ma sœur ? s'amusa le changeforme en tendant ses bras vers elle, mimant un bisou baveux. Mwaaap !
Elle LUI envoya deux-trois coups de pied vers les parties génitales, mais c'était comme essayer de castrer une pierre ; IL reçut les coups en baillant, puis sourit malicieusement. Lâchant un cri rageur mais étouffé, le visage de sa sœur était rouge de colère.
— Tu as déjà pris son visage ; je me fiche de savoir ce qui peut m'arriver, mais ne t'en prends pas aux autres !
— Oh ho ! (Décidément, elle était trop bavarde ; IL lui apprendrait à tenir sa langue un jour ou l'autre) Donc tu as de l'estime pour cet homme ? Ce sale humain qui oubliera ton existence à l'instant où tu partiras de ce monde ?
— Je ne suis pas comme toi. Pas encore.
À SON grand agacement, elle avait raison ; tant qu'on n'acceptait pas complètement la Famille, on restait à jamais entre le plein et le vide. Et Laura faisait partie de cette catégorie : ni ici, ni ailleurs. Ni morte et ni vivante. Juste une pesudo-existence qui stagnait sur un fil attaché au-dessus du vide métaphysique, tous comme les kirrosi.
Sauf qu'elle avait une conscience, et une volonté limitée.
— Tu n'échapperas pas éternellement à ton sort, ma chère demi-sœur, annonça-t-IL tel un prophète. Personne n'échappe à la Chose lorsqu'elle a posé sa marque sur nous.
— Tu n'as jamais essayé, se moqua-t-elle avec un sourire en coin.
Soudain, sans comprendre pourquoi, IL sentit monter en lui quelque chose d'étrange. Vexé qu'elle ait pu faire mouche, IL s'apprêta à la gifler, mais elle avait déjà franchi la porte menant au bureau. Peu importe, pensa le métamorphe. Elle finira par se rendre compte que ça ne sert à rien de lutter, et que tomber sans s'arrêter est bien plus délicieux.
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