Apprendre à vivre
Ils disent que je ne suis pas malade.
Ils disent que je vais m’en sortir et surmonter mes difficultés ; que je suis plus fort que ça. Je crois qu’ils pensent que c’est le contexte humain qui m’a créé, et parfois ils disent que je suis impliqué. Impliqué dans ma vie, parce que je le dois et que c’est la mienne. Ils me parlent de responsabilités, de vie en communauté. Ils me parlent de ça, à moi qui voulais seulement le néant.
Il n’y a pas de pathologie dans cette enclave de l’antipsychiatrie.
- Oh non, vous n’êtes pas schizophrène !
Ils m’ont répondu quand je suis arrivé.
§
Avant, j’étais schizophrène, mais maintenant nous me soignons.
Avant, mon état était irrémédiable. On entendait à peine parler des réelles possibilités permises par ce qu’on appelle la plasticité du cerveau. Naturellement, je me donnais des explications pour spéculer sur les raisons de ma situation.
- J’ai pas envie.
- J’ai la flemme.
- Je suis pas adapté à ce monde.
Les dysfonctionnements de ma volonté, source de mes incapacités, se révélaient comme un poison d’origine inconnue. Sur la carte des maladies psychiques, des coordonées ; une adresse.
La question ne se posait pas de déménager.
§
J’ai failli m’endormir.
J’ai failli me laisser embarquer dans cette galère où ils m’auraient destitué de cet autre pan de ma volonté qui lui, était bouillonnant. Une vibration indicible qui peinait à s’exprimer, à exister, mais bien présente dans un corps que je ne savais à peine discerner de l’esprit.
Il n’y a pas de gratifications dans la maladie psychique. Quand tout passe par les perceptions et interprétations d’un monde reflété par le prisme handicapé du cerveau, la réalité ainsi filtrée apparaît difforme, voire inharmonieuse ; fade, voire carrément moche. Tout n’est que malaise, tout le temps, et il faut lutter pour trouver la lumière qu’on commence à croire matérielle.
Il n’est pas d’issue autre que l’acceptation.
§
Aujourd’hui, j’apprends à exister.
Aujourd’hui, je travaille sur moi.
Comme ils l’ambitionnent, je poursuis quelque chose. Je distingue le mal du malheur, et c’est tout à mon bonheur. D’un esprit pratique, la suite de l’acceptation est ici l’adaptation. Après avoir pris conscience, après avoir validé une réalité, je me dois de faire avec ; jouer le jeu que j’ai et acter le film de ma vie.
La vie n’est pas un ennemi, et elle n’en est pas remplie non plus. Quelque part, personnellement, je dois intégrer la confiance. Ils ne sont pas contre mon paranoïsme, alors ils l’accompagnent.
Ils laissent mes tests.
§
Et nous m’adaptons.
Et nous m’apprenons à vivre.
J’entrevois ces outils qu’on se forge lorsqu’on prend en main son existence, et j’essaye de les faire miens. Intégrer des notions de vie pratique est difficile pour moi, entre autres. Je ne sais pas si on peut qualifier ça de maladie. Mon maillage neuronal n’a juste pas eu l’occasion de se construire autour de ça.
Effectivement, c’est difficile d’y voir autre chose que la résultante d’une sélection de la vie par la vie, et dont j’ai été écarté depuis trop longtemps. Mais j’ai cet espoir de rejoindre la course, et de la continuer jusqu’à la fin en dépit de tous les maux que cela pourrait me coûter.
Le prix de la vie.
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