Chapitre 2

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Les fioles magiques

Tout s’était passé si vite.

Au moment où ses yeux se posèrent sur ce nouveau paysage, son estomac se tordit violemment et elle se replia sur elle-même au sol. Alors qu’elle vomissait l’entièreté de son repas dans le caniveau, Victoria lui tenait les cheveux et caressait avec douceur son dos. Un couple, à première vue, de squelettes, les contourna en affichant un air de mépris :

- Touristes !

La blonde se releva, encore affaiblie, pour les dévisager. Leurs squelettes étaient tous deux identiques mais l’un était recouvert d’un costume noir et l’autre d’un épais manteau en vison.

- T’inquiète pas, c’est comme ça pour tout le monde la première fois.

Une fois qu’elle fut sûre que Céleste n’allait pas de nouveau chuter, elle lui tendit un mouchoir et deux chewing-gums. Elle lui arracha presque des mains et les goba instantanément. Dans l’espoir de retrouver un semblant de dignité, elle essuya d'un geste léger, les commissures souillées de ses lèvres.

La vue qui s’offrait à elle était extraordinaire ! Tout lui semblait si familier et pourtant si étranger. La rue était pavée, jusque là rien de nouveau, mais en faisant quelques pas, elle remarqua que de minuscules visages hurlants étaient gravés dans la pierre par ci par là. Les alentours semblaient à première vue sombres bien que baignés dans une faible lumière orange de lampadaires, comme le serait une rue de ville en pleine nuit. Mais plus ses yeux s’habituaient à l'obscurité, plus cette lumière orange lui paraissait puissante. Si bien qu’au bout d’une minute, elle ne sut plus si elle était en plein milieu de la nuit ou tôt dans la matinée. A la lumière de ce soleil artificiel, elle découvrit de multiples échoppes; toutes plus pittoresques les unes que les autres, s’étendre tout le long de la rue. L’une d’elle était tenue par une vieille dame aux longues oreilles pointues qui présentait, devant elle, des dizaines de fioles aux couleurs extravagantes.

- On peut y aller ?

- Non. Elle nous attend.

Elle passa une main dans son dos pour l’obliger à s’éloigner de l’échoppe. Alors que la blonde regardait avec émerveillement tout ce qui l’entourait, Victoria l'entraîna vers une ruelle étroite entre deux bâtiments en pierre. Elles s’arrêtèrent devant une porte rouge en métal dont la fenêtre était emprisonnée derrière des barreaux rouillés. La brune gravit les quelques marches, frappa deux fois avec le plat de sa main sur la porte puis termina par un coup de pied. Trois bruits métalliques firent échos aux coups et la porte s’ouvrit, ouvrant ainsi la voie sur un néant d’obscurité. Deux bras grisâtre en sortirent soudain et l’un d’eux pointa l’adolescente du bout de son doigt violacé.

- Tu es en retard.

- Non je suis pile à l’heure.

L’inconnu soupira et s’évanouit dans la noirceur environnante.

- Suis moi, elle attrapa la main de Céleste et l’obligea à la suivre à l’intérieur.

En plus d’être sombre, cet endroit était aussi incroyablement silencieux et humide. Elles zigzaguaient à l’aveugle dans un dédale de couloirs où résonnaient tantôt leurs pas, tantôt des bruits de tuyauterie. Au bout d’une quinzaine de virages, elles finirent par tomber sur un ascenseur faiblement éclairé par deux lampes jaunâtres usées. Un long tapis recouvert de fleurs rouges les amena jusqu’aux portes couleur bronze. Les lumières grésillantes ainsi que le papier peint sali et déchiré, donnaient l’impression d’être tout droit sorti d’un film d’horreur.

La main frêle se balada sur le mur à la recherche des boutons mais elle ne rencontra qu’une surface collante sur le papier peint. Elle la ramena vers elle dans un élan brusque en poussant un cri de dégoût.

- Ça ne sert à rien, c’est elle qui décide qui monte et qui descend.

Soudain, comme l’ayant entendu, les portes coulissèrent dans un crissement désagréable et les deux jeunes filles s’engouffrèrent dans la cabine. Ce n’est qu’au troisième étage qu’elles en ressortirent.

Un peu lassée par cet enchaînement répétitif de couloirs et de portes, Céleste suivit tout de même son amie à travers ce nouveau couloir qui n’était occupé que par une seule et unique porte. Un long tapis rouge les guida entre, les murs noirs recouverts de moulures dorées, les portraits classiques de tailles et formes différentes, et quelques armes anciennes accrochées par endroits.

Victoria la devança pour aller toquer à la massive porte noire. Après avoir entendu un faible “entrez”, elle tourna les poignées dorées, poussa son amie dans l’embrasure de la porte et la referma aussitôt derrière elle. Sentant la panique monter doucement en elle, elle s’avança avec prudence dans le vestibule dans lequel elle avait atterri.

Si elle devait décrire cet endroit en deux mots, ce serait : rococo baroque. De la tapisserie extravagante à la cheminée en marbre sculpté, en passant par les lustres argentés : Céleste se croyait revenue à une époque passée, bien des siècles avant sa naissance. Elle contourna les vieux fauteuils beiges, où elle ne manqua pas d’y passer sa main, et se dirigea vers une porte ouverte. Elle toqua timidement pour signaler sa présence et alors qu’elle observait l’intérieur de la pièce, une voix féminine lui répondit :

- Entre, je t’en prie.

Assise les jambes croisées derrière un bureau massif en bois, elle observa la blonde s’avancer timidement et se planter devant elle.

- Assieds-toi.

Sa voix était à la fois douce et remplie de caractère. Tout comme sa peau dorée qui semblait appartenir à une jeune femme, mais que des rides de visage venait trahir. L’adolescente n’arrivait pas du tout à la cerner, quel âge pouvait-elle bien avoir ?

- Comment te nommes-tu ?

- C-céleste.

La femme sourit en voyant qu’elle faisait effet sur la blonde.

- Bien, je suis madame Luxure, c’est ainsi que tout le monde m’appelle ici. Je ne t’avais jamais vu ici auparavant, peux-tu me dire pourquoi tu voulais me rencontrer ?

- Et bien… On m’avait dit que vous pourriez peut-être m’engager.

Elle arqua un sourcil et un sourire en coin vint fendre son visage.

- Ah oui ? C’est ce que nous allons voir. Quel âge as-tu ? Tu parais bien jeune

- Je...

- Alors, dis-moi ! 14 ans ? 15 ans ?

- 17.

- Oh je n'aurais jamais deviné, tu fais si jeune avec ces joues rondes et ces boucles blondes... Ton visage dégage la même innocence que celui d'un enfant.

- Et ce n'est pas bien...?

- Si, si. Beaucoup aimeraient cette beauté innocente. Tu as l'air si pure... Mais je ne recrute pas les mineures.

- Mais… Victoria m'avait dit que vous m'engageriez.

- Victoria ? Victoria Mendes ?

- Oui.

- Si elle a jugé bon de te faire venir à moi c'est qu'il y a sûrement une raison… Elle prit un air pensif, tu peux partir. Voyons, cesse donc ! Ne me regarde pas comme ça avec ces grands yeux tristes. Je vais discuter avec Victoria, elle te donnera de mes nouvelles.

D’un geste de main dans les airs, elle chassa la jeune fille de son bureau et se saisit d’un téléphone ancien.

⋆⋆⋆

Le retour fut aussi mouvementé que l’allée.

A moitié allongée sur le fauteuil noir du salon, elle vomissait de la bile sur l’épaisse moquette. Dans un fracas, Béatrice encastra la porte dans le mur et installa une poubelle sur la flaque malodorante. La blonde s’en saisit et y plongea sa tête. La vision brouillée et des gouttes de sueur perlant sur son front, elle se releva et fit quelque pas maladroits.

- Merci…

- Prends ça.

Elle récupéra une petite pastille blanche posée dans la main tendue et l’avala. Béatrice la conduit vers la sortie mais Céleste revint rapidement sur ses pas pour récupérer une fiole perdue entre les coussins du fauteuil. Au moment où elle allait refermer la porte, elle en aperçut une plus petite s’ouvrir à côté du canapé. Une éponge et un torchon décati furent jetés hors de l’ouverture puis une main verdâtre sortit pour déposer un sceau d’eau sur la moquette. Elle allait apercevoir le visage de la créature lorsque Béatrice ferma d’un coup sec la porte.

Elle suivit de près la blonde jusqu’au couloir où elle l’abandonna, heureuse de l’avoir chassée de son bureau. Heureusement pour elle, dans ce sens-là le couloir ne semblait pas être aussi taquin. En moins de cinq minutes, elle avait traversé dans le sens inverse toutes ces étranges pièces et avait timidement sorti sa tête en dehors du rideau noir. Violette qui s’activait à servir une bière, la remarqua rapidement et l’invita à la rejoindre.

- Alors c’était comment ?

- Surprenant…

- Ouais ça m’étonne pas ! Elle est où Vic ?

- Elle m’a dit de rentrer sans elle, apparemment elle avait des trucs à régler. Oh et elle m’a donné ça pour toi, elle souleva à sa hauteur la fiole remplie de fumée rose fushia.

Les yeux de la barman s’illuminèrent instantanément en voyant le produit magique. Elle lui arracha des mains en la remerciant et la cacha à l’intérieur de sa chemise. Elle aida Céleste à monter sur le contoir et la suivit sous le regard médusé d’un client.

- Et ma vodka !

- Désolée c’est ma pause.

Elle alla retrouver un homme au crâne rasé installé dans un des canapés avec à son bras une magnifique brune à la robe rouge. Elle lui demanda de la remplacer mais l’homme refusa alors elle s’assit à côté de sa compagne et l’entoura de son bras :

- Salut ma belle, est-ce qu’il t’a dit que…-

- NON ! Bon ok tu as gagné je te remplace.

Dans un rire victorieux, Violette s’éloigna d’eux et fit signe à la blonde de la suivre à l’extérieur. L’air s’était rafraîchi depuis le début de la soirée. D’ailleurs combien de temps avait-elle passé là-bas ? Trente minutes ? Une heure ? Le temps s’écoulait-il au moins de la même façon entre les deux mondes ?

- Je te propose pas de venir avec moi, ça n’aurait rien d’amusant de me regarder me défoncer. Mais ça te dit qu’on s’échange nos numéros ? Si jamais tu es prise on risque de beaucoup se revoir donc ça serait plus facile si on pouvait se parler, tu ne crois pas ?

- Si si, bien sûr.

Une fois leurs numéros échangés, Violette s’éloigna en lui adressant un grand sourire et un signe de main amical :

- A plus mon ange !

⋆⋆⋆

Alors qu’elle s’apprêtait à aller se coucher, son téléphone se mit à vibrer : numéro inconnu. Elle hésita quelques secondes mais finit par décrocher.

- Céleste ?

- Oui ?

- C'est madame Luxure. Après mûres réflexions, j'ai décidé de te laisser une chance. Tu travailleras d'abord les samedis soirs puis nous verrons ensuite si tu es assez douée pour travailler plus. Victoria te retrouvera normalement demain pour te donner la fiole et mes instructions détaillées.

- Merci ! Merci beaucoup madame Luxure !

- Une dernière chose, jeune fille, écoute-moi bien, je ne me répéterai pas. Quoi qu'il arrive, personne d'autre que toi ne doit toucher à cette fiole, ne laisse personne boire son contenu. Enterre-la, cache-la, fais ce que tu veux je m'en fiche, mais personne ne doit y toucher. Sinon je te jure que je prends le premier portail en direction de ta maison, et te ramène par la peau du cou jusqu'en enfer.

- ...

- Compris ?

- O-oui.

- Bien ! A samedi trésor.

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