Chapitre I

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Sevan avait quinze ans, et vivait depuis qu'il en avait trois à Utelen, la capitale du royaume de Sham. Il était fils du meilleur armurier de la ville, et d'une femme à la beauté magnifique, selon son père. Pourquoi l'avoir quittée, alors ? demandait le jeune garçon. Je n'ai jamais voulu la laisser, répondait son père. Ce sont eux qui me l'ont pris. Il détournait ensuite le regard, et allait aiguiser une hache ou tremper une armure. On aurait dit qu'il fuyait la discussion. Sevan ignorait tout de sa mère, et cela le rendait triste, surtout lorsqu'il voyait les autres enfants s'amuser avec elle, ou la déranger pendant qu'elle discutait avec les gardes. Sevan aurait tant voulu vivre ça.

Mais il avait également un grand rêve. Depuis son plus jeune âge, il regardait les lumières et les feux lancés dans le ciel du haut du palais royal, par les sorciers les plus talentueux de Sham. Il savait que, derrière le château du roi et de la reine, il y avait la plus grande école de magie de tout le continent. Sevan voulait être sorcier, mais son père s'y opposait fortement. A quoi cela va te servir, la magie, si ce n'est à jeter des boules de lumière arc-en-ciel dans la nuit ? ajouta-t-il. Trouve toi un vrai métier ! Mais c'est un vrai métier ! gémissait son fils. Sans ces puissants mages, le royaume serait envahi par toutes sortes de monstres ! L'armurier-forgeron grondait alors que le monde était déjà envahi de monstres et de créatures terrifiantes, et il s'en allait, comme à chacune des discutions qui concernait, soit la mère de Sevan, soit le futur métier de son fils.

Alors Sevan s'ennuyait plus que jamais. Lorsque son père lui demandait de travailler à la forge avec lui, il s'échappait de la maison en disant qu'il allait s'amuser avec les enfants du quartier. En vérité, - et comme il n'avait en réalité pas d'amis dans le quartier - il se rendait à la bibliothèque. Adeline Aile-de-Pie était si gentille ! Elle laissait le jeune homme emprunter tous les livres sur la magie qu'il voulait.

- Il existe, disait-elle, des livres où l'on apprend tellement de choses qu'on finit par savoir les sorts par cœur, et à pouvoir les appliquer.

Sevan était fasciné qu'une telle chose soit possible. Si seulement son père pouvait le comprendre ! Il saurait pourquoi son fils faisait tous ces efforts.

Un matin, où les premiers des doux rayons du soleil commençaient à inonder Utelen et ses rues pour le moment désertes, et où les oiseaux poussaient leurs premiers chants depuis la veille, le jeune garçon sortit de la maison et se dirigea vers les hauts-quartiers, là où vivaient les gens les plus riches. Il courut entre les belles maisons de bois précieux ou de pierres, aux balcons décorés de fleurs fraîches. Il grimpa les allées pavées, et arriva finalement devant le mur d'enceint du palais. L'entrée était gardée par deux soldats en armure dorée, et ne bougeaient pas d'un millimètre. Une femme en armure tourna pourtant la tête vers lui.

- Tu ne devrais pas traîner ici, jeune homme, déclara-t-elle d'une voix imprégnée de l'accent des terres sèches, au Sud des Royaumes - elle avait tendance à rouler les "r" et à trop bien articuler.

- Je sais, mais je veux voir les mages rentrer de mission, protesta Sevan.

- Ah ! s'exclama le collègue de la soldate. Un futur sorcier, non ?

- J'aimerais tant... soupira le fils d'armurier.

- Pourquoi ne pas exaucer ton rêve ? demanda la femme étrangère. La Grande Ecole de magie de Sham recrute de nouveaux apprentis, la semaine prochaine, dans la grande cour du palais. Le Haut-mage choisira parmi une foule de jeunes gens cinq novices qui auront le privilège de devenir sorciers, et d'apprendre tout cela aux côtés des plus grands sorciers de tout le Royaume de Sham ! Il y a peu de chances que cela soit toi, mais tu peux tout de même tenter ta chance, ajouta-t-elle.

Elle farfouilla dans les poches de son pantalon, et en sortit une feuille où des inscriptions avaient été marquées d'une élégante main. " Mon père ne voudra jamais que je m'y rende " songea le jeune homme. Il prit quand même le morceau de parchemin et l'enfouit dans sa veste de cuir, tout en remerciant la soldate, et en prenant le chemin de sa maison.

Soudain, au coin d'une rue, il entendit des bruits de pas. Il se cacha derrière une maison, et vit une foule de gens en robe bleu et brune marcher au pas, entourés de soldats en armure. Tout au centre, il y avait un grand homme encapuchonné, qui possédait un sceptre de bois et de cristal. Sevan fixa la pierre, tout au bout, et il crut y voir des éclairs. " Etrange... " songea le jeune garçon. Une jeune sorcière le vit et lui fit un petit sourire. Sevan, se sachant comment réagir, se cacha derrière un poutre verticale de bois. " Non mais qu'est-ce qui m'a pris ? Elle a dut me trouver terriblement bête ".

Une fois que la troupe fut passée et rentrée dans l'enceinte du palais, Sevan courut à sa maison. " Si seulement père pouvait me laisser rejoindre les sorciers...".

Deux jours plus tard, Sevan se leva avec un horrible envie d'aller au toilettes. Lorsqu'il revint dans sa chambre, il vit que sa fenêtre avait été ouverte car des rayons de soleil filtraient derrière les rideaux bleus. Il entendit un petit bruit et vit un gros oiseau rouge et orange sortir de son armoire. Le jeune garçon se retint de pousser un cri d'effroi en se couvrant la bouche, et s'approcha du volatile. L'oiseau possédait un bec d'aigle jaune vif, mais son plumage roux rappelait la couleur des flammes de la forge de son père. Il avait les yeux ambrés, et penchait la tête sur le côté en poussant des couinements semblables à ceux des souris. Sevan remarqua qu'il avait un rouleau de parchemin accroché à sa patte. Par curiosité, le jeune garçon déroula le papier et lut :

Très cher Ambrosia,

Cela fait cinq ans que l'on se connait, et je souhaite te demander en mariage. TU es la colombe qui illumine ma vie, tu es le reflet de mon âme, et tu as la grâce de la biche...

Sevan se retint de rire. Il ignorait qui écrivait ce message, mais ce qu'il n'ignorait pas, c'est qu'Ambrosia Baltingot n'avait aucun point commun avec une biche ou une colombe ! C'était une femme grassouillette qui se plaignait toute la journée de son père qu'elle devait héberger, car sinon il irait mendier dans les rues, et qui réclamait toujours plus que son propre salaire. " Quel imbécile irait demander en mariage Ambrosia ? " gloussa intérieurement le jeune homme.

- Y'a quelqu'un ? gronda un voix en-dessous. Soirin Harchemière ?

En entendant le nom de son père, Sevan alla à la fenêtre. Il vit l'apothicaire du quartier, Gundran, surnommé Gundran l'Orgueilleux, qui pointait sa face squelettique vers la maison des Harchemière.

- C'est Sevan, son fils ! s'écria le jeune garçon en se penchant pour attirer son attention. Qu'y a-t-il ?

- Mon oiseau est rentré dans votre maison ! répondit l'autre. Je... je fais des essais de vol, et...

- Je vous le renvoie ! s'exclama Sevan en se retenant de rire.

Il retourna dans sa chambre, saisit l'oiseau en lui bloquant les ailes, et le jeta de la fenêtre, où il s'envola et atterrit sur l'épaule du vendeur de potions.

- Merci Sofian ! cria Gundran.

- C'est Sevan ! répliqua l'autre. Pas Sofian.

Lorsque le vendeur fut au loin, Sevan s'assit sur son lit et gloussa tout seul. Gundran ! Amoureux d'Ambrosia ! Et il la demandait en mariage ? Voilà une des histoires qui serait entendue à des kilomètres à la ronde.

Une fois qu'il se fut calmé, il descendit à l'étage du dessous, où son père était à table devant un multitude de fruits et de petits pains sucrés qui venaient pour sûr de la boulangerie, une rue plus haut. Si il y avait bien quelque chose que Soirin ne savait pas faire, c'était la pâtisserie.

- C'est toi qui criait avec l'Orgueilleux ? demanda son père la bouche pleine.

- Devine quoi ? répondit Sevan. Il demande Ambrosia en mariage.

Soirin faillit s'étouffer avec de la brioche.

- Tu es sérieux, fiston ? gronda-t-il en buvant de l'eau chaude à la mélisse.

Ils rirent un moment. Puis, Soirin déclara.

- Je vais travailler à la forge. J'imagine que tu ne veux pas venir ?

- Non, désolé, soupira son fils. On en déjà parlé, je ne veux pas de ton avenir. Je veux le mien.

- Mais que vas-tu apprendre, en faisant de la sorcellerie ? s'écria son père. A part jeter des petites boules de feu, et encore, tu ne provoquerais que des incendies !

- Mais justement ! riposta l'autre. Je pourrais empêcher ces incendies. Je pourrais combattre les mauvaises créatures !

- Mais il n'y a pas de mauvaises créatures à Utelen ! rugit Soirin. Nous sommes protégés par un immense bouclier magique qui empêche le passage à tous les monstres de l'extérieur.

- Mais sans les mages, ce bouclier n'existerait pas. Et des centaines de personnes mourraient tous les jours !

Son père le fixa un instant dans les yeux. Sevan redoutait plus que tout la réaction de Soirin, qui mettrait fin au débat.

- Et bien laisse les faire leur métier. Nous avons déjà eu cette discussion, fiston.

- Mais, père, je...

- Silence ! cria son père. Je regrette, mais c'est non. Ta place est ici, en ville, et pas à cette Ecole de magie. Cette discussion est close.

Sur ce, il se leva, et quitta la table. Une fois de plus, le cœur de Sevan s'alourdissait de tristesse, terriblement déçu que son père ne puisse pas le comprendre.

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