J'ai le souvenir d'avoir toujours été un loup
Je l’aime bien le Buck, mais alors vraiment. Dans un temps très court, j’ai eu la chance de lire quasi l’intégralité de ses œuvres et de voir Barfly. Et je comprends mieux depuis l’acte d’écriture. Rien ne m’oblige à devenir un soûlot à son exemple, mais visiblement pour lui ça a été le moyen d’approcher de sa vérité, et de l’écrire ensuite. À moi de trouver ce qui me permet ça, d’en faire ma discipline, et d’écrire à mon tour.
Mais cette phrase-ci, Te souviens-tu de qui tu étais, avant que le monde te dise qui tu devais être ?, me laisse songeur. Non déjà, je n’en ai aucun souvenir. Et essayer ne serait qu’un acte de pure imagination, si tant est que cet état ait un jour existé, cet « avant ». Parce que la vérité, c’est que ça a merdé dès ma naissance, voire même avant. Et qu’à bien y regarder, cet état n’a pas trop varié en fait, même après. Ça a été toujours merdique. Opérations, maladies, retard de croissance, coups et engueulades pour tout et pour rien, dès le départ, j’ai acquis une psychologie de loup maigre. Celle d’éviter les confrontations desquelles j’étais certain d’être perdant, mais acculé, de me battre comme un beau diable, ne jamais vendre ma peau ou alors chèrement. Et la méfiance comme seconde nature. Tout le temps.
Je peux être assez efficace à ce jeu. Et je pense que si je suis encore en vie aujourd’hui, je la dois à cette aptitude particulière. Que je retrouve chez certaines bêtes que j’ai pu croiser, sauvages ou domestiques. Ne jamais, mais alors jamais se laisser faire, jusqu’à l’épuisement s’il le faut. Je n’ai que très, très rarement été ce que je suis en première nature, à savoir l’exact contraire. Insouciant, joueur, comme un jeune loup. Mais il me suffit d’une seule ombre au tableau et immédiatement, mes sens sont aux aguets et moi prêt à déguerpir, les poings déjà serrés. C’est complètement et absolument incompréhensible pour le commun. Seul quelques amis savent le pourquoi et connaissent mes réactions. Amis triés sur le volet.
Alors, j’ai fait mienne cette seconde nature, qui est de fait devenue ma nature pleine et entière, et dans certains rares moments, je me laisse aller à être un peu moi. Force est de constater malgré tout que ma méfiance, qui jamais ne me quitte, me rend parfois étranger à ce que je vis, comme détaché, pas complètement là. Je crois comprendre que c’est justement pour recoller un peu à ces moments qu’on me pousse bienveillamment à l’écriture, mais c’est une chose que j’avais seul commencer à explorer, d’abord par le dessin, puis par la photographie. C’est diablement compliqué, par ce truchement qui n’est qu’un filtre au fond, d’essayer de renouer avec ce que je suis, profondément, comme petit à petit débarrassé de mes réflexes de vieux loup. Enfin accessible à l’émerveillement et à la beauté des choses.
Alors, avant de penser à écrire, et même s’il y a une distanciation aux choses, je sais confusément au fond de moi pouvoir malgré tout capter ces petits riens, que je vais parfois en petit tâcheron retranscrire sur une feuille blanche. Et en garder la trace, comme celui du mouvement d’aile d’un papillon dans la nuit. Ce n’est plus tant ce que j’étais avant, avant qu’on me dise ce que je devais être, que ce que je suis réellement devenu à présent, ce mélange devenu très complexe de ces deux états et en essayant d’avoir le plus possible le recul nécessaire pour identifier finement où je me situe. Savoir si je suis en mode loup maigre ou jeune loup, et d’anticiper mes propres réactions parfois. Et le plus consciemment possible décrypter le tout pour ensuite le mettre à plat. Comme si j’avais assisté à la fusion de ces deux états pour en inventer désormais un troisième, fait d’introspection, d’observation et de transcription. Laborieuse souvent, maladroite certainement, mais encore une fois opiniâtre. Même si c’est en vain.
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