Chapitre 1 - Néron Ghostel

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[…]

Avant la naissance du Virus, les hommes ne vivaient pas encore sur les océans mais dans des cités gigantesques, sur le Grand Continent, sur la terre de nos ancêtres. Ils avaient des lumières plein les yeux, de la nourriture à profusion et des vies sans danger. Avant la naissance du Virus, l’humanité était insouciante et égoïste.

[…]

Le virus Natanathos changea tout ; la vie sur terre devint insupportable. Cependant, il ne pouvait pas proliférer sur les océans.  

[…]

La mythologie ancestrale affirme que Merydian, la dernière frontière terrestre, la dernière citadelle des hommes, s’est effondrée il y a trois siècles. L’Histoire stipule que c’est à cette époque que la légende de Vodnark ressurgit. Plongée dans le feu d’un chaos sans précédent, elle aurait été forgée avec le courage des derniers résistants mais un événement sordide intervint et la lame de l’espoir fut perdue à tout jamais…  

[…]

Certaines légendes racontent que le Virus est né pour punir l’humanité de son mépris envers la nature, de sa négligence envers la vie. D’autres rapportent que notre sort était inévitable, le Virus étant en gestation depuis toujours.  

Quoi qu’il en soit, les origines du Virus et les grands bouleversements qui suivirent sont des évènements bien trop anciens pour que quiconque ne puisse vraiment prouver qu’ils ont réellement existé. Avec le temps, mêmes les plus grandes catastrophes se transforment en légendes. C’est ainsi, et nous nous sommes adaptés.  

[…]

Néanmoins, aucune légende ne peut prédire notre destinée ni anéantir nos rêves. Dérivant sur l’océan infini, Port Glas, nom vernaculaire donné au projet E.S.P.O.R.A., notre identité, notre territoire, notre maison, navigue vers son dernier voyage pour guérir un jour la corruption ancestrale de ceux-qui-savent.

[…]

Max Linenberg, 11666, Les légendes de Port Glas, chapitres 3, 4 et 6, pages 67 à 189.

* * *


Alors ? Dis-moi, qu’en penses-tu, Gus ?

— Sylvia, tu sais bien que j’suis toujours honnête avec toi, n’est-ce pas (elle haussa les épaules) ? Et, en toute franchise, c’est vraiment naze.

— Quoi ? Tu rigoles, j’espère ? Mais je me suis donnée tellement de mal pour trouver ce livre de Max Linenberg et sélectionner les meilleurs passages ! C’est pourtant parfait pour notre réunion secrète de ce soir. Il a écrit tant de légendes fantastiques ! C’est toi qu’es stupide, bougre de boulotteur !  

— Bah ! Te mets pas en colère… De toute façon, tu sais pertinemment ce qui se passe, en ce qui me concerne, lors de nos réunions secrètes…  

— Pffff… Oui… tu passes ton temps à dormir ! Ah, par la Peste Lunaire, quel ami formidable ai-je encore trouvé au fond d’une poubelle !  

— Je sais, je suis irremplaçable.  

Adossé contre le mur métallique d’un couloir étroit, le gros nez boursouflé de Gus Franconteur bougeait comme celui d’un lapin. Les yeux mi-clos, il observait avec espièglerie le regard courroucé de son amie, la ravissante Sylvia Lamproy, une fille populaire, sûre d’elle, toujours déterminée à obtenir ce qu’elle voulait. Elle détourna soudainement sa colère vers un pauvre chien noir assis gentiment aux pieds de Gus.  

— Baraxa, ton maître est un crétin (elle caressa la tête du canidé qui semblait apprécier le geste). Je dois y aller, on se retrouve ce soir… Et n’oublie pas le livre que je t’ai prêté. Celui sur les Forgerons.

— Pigé !

La belle silhouette de Sylvia se perdit au détour du sombre couloir, sous l’œil amusé de Gus, tapotant les oreilles de sa fidèle chienne. Malgré sa fâcheuse tendance à taquiner les autres, sa petite taille et sa forte corpulence allaient de paire avec un cœur d’or et la jeune femme le savait parfaitement.  

Gus Franconteur et Sylvia Lamproy étaient tous deux étudiants à l’Académie de Port Glas. Située au cœur de la ville, la prestigieuse école en constituait le quart de sa superficie totale. Cependant, Port Glas n’était pas ce que l’on peut appeler « une ville ordinaire », tant s'en faut…  

Tandis que Gus se dirigeait vers une large fenêtre laissant entrevoir le coucher rougeoyant du soleil, une fille parfaitement maquillée, aux cheveux argentés et mèches violettes, habillée d’une jupe noire légère, le bouscula en ricanant. Baraxa commençait à grogner mais Gus calma son fidèle compagnon aussitôt.  

— Allons… Allons… Calme-toi, Baraxa… Même si elle ressemble à une vieille mouette desséchée embourbée dans une nappe de pétrole, mademoiselle Zdoblard ne mérite pas qu’on s’intéresse à son sale caractère.  

La jeune femme au mascara parfait se retourna dans une rage sournoise :  

— Pauvre Gus… Tu es aussi laid qu’impertinent ! Et débile avec ça… Ce que tu bafouilles n’a aucun sens ! s’écria-t-elle en s’approchant de lui.  

— Si ça n’avait aucun sens, ça ne te toucherait pas.  

Elle le prit brusquement à la gorge et le plaqua contre le mur métallique. Baraxa montra les crocs ; il lui fit un signe de la main ; sa chienne se coucha en couinant.  

— Ne t’avise plus jamais de m’insulter de la sorte, minable !  

— Tu veux dire : avec autant de style ?  

Elle l’empoigna davantage ; ses lèvres rouges décrivirent un sourire de dédain.  

— Si nous n’étions pas dans la même classe, je t’expédierais par-dessus bord, sac à merde !  

— Une insulte classique mais efficace, pas mal… Au moins, au fond de l’eau, je n’aurais plus à souffrir de ton humeur massacrante, ma chère Viconia, grimaça Gus, d’un air idiot, en ayant de plus en plus de mal à respirer.  

— Espèce de…  

— Assez vous deux ! gronda une voix bien familière, interrompant aussitôt cette fille teigneuse et vindicative. Repose-le tout de suite ! Et fiche le camp !  

Cette voix grave et autoritaire était celle d’un garçon redoutable nommé Freidrich Wall. Grand, musclé, imposant et respecté, son aura menaçante apaisa aussitôt Viconia Zdoblard qui s’en alla en maugréant quelques jurons.  

— Merci Frei, cette vipère aguicheuse allait me bouffer tout cru ! souffla Gus en se tenant le cou.  

— Ne te méprends pas : je n’ai aucune considération pour les faibles comme toi, mais frapper un camarade de classe est interdit par le règlement, expliqua sobrement Freidrich avant de continuer sa route.  

— Humm… Évidemment… Comment pourrait-il en être autrement avec lui…, murmura Gus.  

Il s’appuya sur la balustrade, juste devant la grande fenêtre surplombant l’avenue centrale de Port Glas, en contrebas. Des nuages roses donnaient des couleurs aux pavées centenaires ; les passants semblaient eux aussi profiter pleinement de ce climat agréable. Un groupe d’enfants jouait dans le jardin public et, plus loin, un Forgeron vantait les mérites de son travail à des clients potentiels. Gus aperçut Sylvia, toujours aussi impétueuse, en train de négocier le prix d’un livre devant un marchand déstabilisé par sa détermination et son regard fédérateur. Cette vision lui arracha un soupir de bonheur qui lui fit oublier ses récents déboires avec Viconia Zdoblard.  

« C’est incroyable, quand même… Des filles aussi jolies avec des caractères aussi volcaniques ! », pensa-t-il en continuant son chemin jusqu’à son appartement situé près de la cafétéria du niveau 2.  

« Allez, viens, Baraxa, un bon casse-dalle et une petite sieste me remettront d’aplomb pour ce soir ! »

* * *

— Six couronnes, c’est tout ce que j’ai. Allez, quoi ! Si vous ne me le vendez pas, vous ne le vendrez jamais ! Personne, à part moi, n’est intéressé par ces légendes stupides !  

— D’accord, d’accord ! C’est bon, t’as gagné ! C’est bien parce que t’es la fille de Gerard Lamproy…  

— Quoi ? Qu’avez-vous dit ? Ah, mais non ! Je ne souhaite aucun passe-droit, monsieur ! Mon père est peut être Maître Forgeron mais je ne veux pas lui devoir quoi que ce soit à cause de mon patronyme, vous m’entendez ! Vous savez… tout bien réfléchi, je crois que je peux me passer des Croisières du Millénium, tant pis pour vous ! Au revoir…

Sylvia n’avait vraiment pas apprécié que son nom puisse lui faciliter la vie. Son regard noir faisait trembler les étagères de la boutique du marchand. Ce dernier parut ostensiblement gêné.  

— Sapristi, ne te mets pas dans tous ces états ! Écoute, prends-le, ce satané bouquin, j’te le donne ! J’veux aucun problème avec ton père, moi !  

Plutôt surprise de la tournure de la négociation et assez fière d’elle, Sylvia s’empara du livre et quitta la boutique. Un sentiment paradoxal, mélange de satisfaction et de colère, lui parcourait l’esprit. Néanmoins, elle s’en alla rapidement vers les terrasses du troisième niveau pour feuilleter sa super affaire avec délectation.

L’horizon embrasé était extraordinairement beau. Assise sur un banc public, seule, Sylvia prit le temps d’apprécier ce spectacle grandiose avant de se plonger dans son nouveau livre peuplé de légendes mystérieuses.

* * *

La nuit enveloppait bientôt Port Glas de son drap crépusculaire. Tout était calme et les lampadaires luisaient enfin pour pourfendre les ténèbres en attisant les premières craintes issues de quelques imaginations débordantes.  

Dans la ruelle adjacente, Sylvia entendit soudain le cri d’un homme terrorisé par quelque chose. Elle sursauta, referma son bouquin, se leva et accourut vers l’origine de ce hurlement effroyable. Au bout de la rue, elle aperçut l’ombre capuchonnée de Denisov Drilmatorn, un camarade de classe énigmatique qui ne lui parlait pas beaucoup. En sautant par-dessus la balustrade, le jeune homme s’enfuit agilement vers l’avenue centrale de Port Glas, au premier niveau. Sylvia abaissa alors son regard sur le sol froid ; un cadavre gisait par terre. Il avait une balafre gigantesque lui traversant le buste ensanglanté. En observant le corps avec attention, la jeune femme reconnut la blessure singulière devant elle.  

« Une Bushiblade, sans aucun doute. Je dois prévenir un supérieur… Le pauvre garçon… Pourquoi l’avoir tué… Denisov qu’as-tu fait ? », pensa-t-elle, très attentive au moindre détail de la scène de crime.  

— Toi, disparais ! Du balai ! Je m’occupe de tout ! s’écria d’un coup la voix tressaillante d’un garde veilleur de nuit qui venait d’arriver.  

— Déjà sur place ? Vous êtes rapide, répondit-elle, méfiante. Et vous ne me soupçonnez même pas ?  

— Hein ? Heu, non, t'as l'air inoffensive. Dis-moi juste si tu as vu quelque chose ? l'interrogea le garde, nerveux, d’une voix menaçante.  

— Je croyais que vous vouliez que je parte ?  

— Réponds !  

— Je n’ai vu personne. Je lisais tranquillement sur les terrasses, j’ai entendu le cri de ce pauvre malheureux et, quand je suis arrivée, il était déjà trop tard. Le meurtrier avait disparu…  

— Bien, bien… Je m’occupe du reste, tu peux partir.  

— Je me retire, alors. Bonne chance.  

Sylvia n’avait pas confiance en ce garde instable mais ses choix étaient limités, d’autant plus que c’était bientôt l’heure de la réunion secrète de la C.L.E.…  

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