Chapitre 28
Ecrit en écoutant notamment : DJ Mad Dog - A Real Voice [Hardcore]
Étant cette fois-ci bien plus fainéants qu’à notre habitude, nous passons tous les quatre la majeure partie de notre journée sur la terrasse du jardin à discuter. Il faut dire que les transats molletonnés et les haies qui nous protègent du vent y sont pour beaucoup !
C’est d’abord l’occasion de faire un point sur le début de notre année, Eléa ayant entamé sa troisième année de droit, et Aymen poursuivant toujours ses études d’informatique. Comme le courant passe très bien avec Renan, nous convenons aussi d’un week-end pendant lequel ils pourront venir nous voir à Paris, avant que je ne pense à un détail :
— D’ailleurs, dans notre école, les campagnes d’élection pour le nouveau bureau des élèves se tiendront dans quelques semaines. Et qui dit campagne, dit soirées à animer, donc si jamais vous pouvez venir en semaine, genre un jeudi soir, vous pourrez nous voir mixer tous les deux en live ! Vous pourrez même dormir dans mon appart’.
— Hmm, ça pourrait être sympa, mais il faudra voir sur le moment si c’est possible, réfléchit Eléa.
— Et les meufs chez vous, c’est comment ? ajoute Aymen.
Conscient que la réalité risque de le décevoir un peu, je lui réponds assez vaguement :
— Oh bah c’est un peu comme partout, il y a du bon et du moins bon… En tout cas, on essaiera de vous prévenir assez à l’avance, mais ce n’est pas grave si vous n’êtes pas trop motivés pour venir ou alors que ça ne vous arrange pas. C’est juste une idée comme ça !
Nous prenons congé d’Aymen et Eléa en fin d’après-midi, les deux ayant d’autres obligations, et sommes cette fois poussés dans le dos par le mistral, ce qui rend le retour bien plus agréable.
Arrivés chez moi, Renan m’entraîne dans ma chambre et referme la porte assez sèchement derrière lui. Vu comme il a l’air excité, j’ai intérêt à assurer cette fois-ci… Sauf qu’à y regarder de plus près, son visage ne trahit pas les mêmes sentiments que ceux que je lui connais habituellement.
— J’ai quelque chose d’important à te dire.
— Euh… je t’écoute, réponds-je de plus en plus refroidi par le ton employé.
— Je crois que ça ne va pas trop te plaire…
— Euh… comment ça ?
— Tu peux me promettre que tu ne me jetteras pas par la fenêtre ?
Je sens la très, très mauvaise nouvelle arriver, mais décide de faire front et redresse instantanément mon dos. J’acquiesce, et le laisse poursuivre son explication :
— J’en ai marre de devoir commencer à mentir, alors je préfère dire ce qui s’est vraiment passé. En fait, t’avais raison de commencer à t’inquiéter. Jeudi soir, je n’étais pas avec mes parents. Ce n’était pas du tout prévu, j'étais juste à une soirée avec un ami de l'asso gay, mais là-bas, j’ai vu un autre mec et sur le coup je n’ai pas trop réfléchi à ce que j’ai fait avec lui. Je ne te fais pas un dessin, mais… voilà quoi.
Ma gorge s’assèche progressivement, et je n’arrive de fait plus à prononcer le moindre mot.
— Je te jure que je ne connais même pas son nom, et regarde, je vais le bloquer sur mon tél !
Je jette un regard par-dessus son épaule, et le vois aller dans ses contacts sur une fiche répondant au nom de ‘Thibaud’.
— J’ai mis un prénom au hasard, je te dis ça avant que tu commences à gueuler…
Ce n’est pas ça qui suffit à me calmer – des excuses franches et directes auraient mieux valu – , et dans un élan de colère, je lui arrache son téléphone des mains, et alors que j’étais prêt à le fracasser contre le mur de ma chambre, étrangement, je sens une profonde lassitude s’emparer rapidement de moi, et je me ravise en me rasseyant sur mon lit.
— Sors, lancé-je d’une voix étonnamment franche et autoritaire.
Heureusement, il s’exécute sans que j’aie à réitérer ma demande, me laissant seul dans ma chambre. Un phénomène étrange, qui ne m’était pas arrivé depuis probablement une bonne quinzaine d’année, se produit alors. Je sens quelques gouttes tièdes tracer leur chemin le long de mes joues, et n’essaye de les arrêter que quelques minutes plus tard, une fois que je commence à retrouver mes esprits.
Il faut se rendre à l’évidence, pour l’instant, je ne suis pas assez bien pour lui… je suis sûr qu’il était frustré de ne pas pouvoir faire l’amour alors qu’on était ensemble depuis un moment, il n’y a pas d’autre explication… Mais il a quand même l’air de bien m’aimer, sinon, non ? Enfin, peut-être que je me trompe sur toute la ligne depuis le début ? Si ça trouve, en fait, je ne suis tout simplement pas fait pour sortir avec quelqu’un… ça doit bien exister ça ? Il avait raison de s’impatienter, c’est complètement débile d’avoir vingt ans et peur de faire l'amour avec un mec qui nous aime. Franchement merde, c’est quoi mon problème ? Même mon père se moque de moi…
Je reste immobile pendant une bonne demi-heure à ruminer les mêmes interrogations, jusqu’à ce que j’entende ma mère rentrer de son travail. Je n’ai aucune idée d’où Renan est passé, mais je n’ai pas vraiment envie que les deux se rencontrent et puissent discuter en mon absence. Je descends les escaliers en cavalant et me retrouve face à ma mère. Au vu de l’état de stress que je dois dégager, elle s’écrie, étonnée :
— Tout se passe bien, mon grand ?
— Euh oui, oui, réponds-je en me dirigeant vers le jardin, là où se trouve probablement Renan.
Il faut absolument mettre les choses au clair avant que tout ne dérape sous les yeux de mes parents. Conformément à mes attentes, je le trouve sur la terrasse du jardin, dans une posture similaire au fameux Penseur de Rodin. Je lui demande de se lever et de me suivre, et nous nous éclipsons par le portail du fond du jardin, qui s’ouvre sur une petite rue tranquille.
Je lui demande, posément :
— C’est vraiment très honnête que tu m’aies dit ça, mais j’aimerais simplement savoir ce qui te manque chez moi, hormis le fait que… je suis moins directement dans l’action que toi, pour la faire courte.
— Bah pour être totalement franc, il n’y a pas vraiment d’autre souci. À part ça, t’es le mec le plus mignon, romantique et attirant que j’aie connu, sincèrement !
Il m’embrasse en même temps sur la joue, puis sur les lèvres lorsqu’il est enfin sûr que je ne lui échapperai pas. J’ai l’impression d’être faible, mais me laisse pourtant emporter par la douceur de la sensation.
— T’as toujours les bons mots, toi…
— Mouais... J’ai vraiment déconné, je te le jure. Mais je suis sûr qu’on peut continuer comme avant.
Il a dit cette phrase très haut, à tel point que j’espère que nous sommes suffisamment éloignés de la maison pour que ma mère ne nous ait pas entendu.
Ses yeux légèrement humides rayonnent de sincérité, et je ne peux que m’incliner devant une démonstration aussi intense. Je sens un minuscule déclic se produire, comme un vieux rouage grippé qui se débloquerait soudainement, et annonce :
— Je sais très bien comment je vais te faire oublier ta soirée avec ce mec. Puisque tu as l’air d’adorer ça, je me livrerai complètement à toi demain. Comme ça, tu verras qu’il n’y a pas mieux que moi.
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