Ite missa est : XXIV

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Je fus réveillé à une heure indéfinie, il faisait nuit, j’entendais le ronflement régulier des dormeurs, mais je sentais surtout une main qui me secouait. Je me retournai pour savoir quel imbécile m’avait sorti de ce sommeil sans rêve et particulièrement réparateur, mais avant que ma rotation ne soit complète, je savais que c’était Daniel.

– Qu’est-ce que tu veux bordel ? Lui dis-je d’une voix empâtée.  Qu’est-ce qui te prend de me réveiller  ?  J’ai aucun service à te rendre.

– Ce n’est pas un service que j’attends de toi Thomas.

– Alors quoi?

– J’ai attendu longtemps, Thomas, j’ai attendu le moment où ton démon reviendrait frapper à l’entrée de ta tanière, ta grotte obscure, et aujourd’hui ça a été le cas...

– Qu’est-ce que tu me racontes ?

Je fus suffoqué de voir ses yeux toujours aussi pénétrants malgré l’obscurité, ils étaient comme illuminés par une lumière à la fois divine et maléfique. Ses yeux me transperçaient l’âme comme jamais je ne l’avais ressenti depuis son arrivée. Quelque chose allait se passer, j’en étais sûr, mais quelque chose d’invraisemblable, une ténébreuse magie.

– T’es encore ivre non ? Dit-il très bas.

– J’ai de l’alcool dans le sang c’est indéniable.

– Alors tant mieux, je vais pouvoir discuter avec le monstre que tu abrites et que tu nourris sciemment.

– Je comprends rien de ce que tu racontes, murmurais-je.

– Tu es le seul qui aies remarqué cette troublante ressemblance, mais si je suis là aujourd’hui c’est que tu m’as appelé.

– Appelé ! Jamais de la vie !

– C’est l’inconscient de Thomas qui m’a donné une tâche à remplir. Celle de te dire que tu n’as jamais affronté réellement la vie, que tu t’es répandu dans la paresse, que tu as grugé ton monde alors que tu avais les moyens d’avoir une vie normale. Mais je suis surtout là pour juger tes crimes.

– Mes crimes ! Quels crimes ? Je suis condamné que pour un seul, un seul dont je suis innocent ! Où tu as été cherché ces autres crimes ?

L’argument juridique sonnait aussi faux qu’une vielle guitare désaccordée.

– Tu n’as pas compris que je suis ton double, ton garde-fou, ta conscience véritable. Moi aussi j’ai aimé Lucie, j’ai bu avec elle comme toi, je lui ai fait l'amour aussi, mais tu ne lui as jamais offert le calice qui correspondait à son rang.

J’étais stupéfait, en peu de mots, je compris qu’il savait tout de moi et que je nageais bien dans le surnaturel.

– Mais qui es-tu ? ! Criais-je.

Je remarquais que mon éclat n’avait réveillé personne, je sentais que le temps s’était comme arrêté, que ce face-à-face s’était affranchi de l’horloge.

– Comme je te l’ai dit, je suis ton double Thomas, celui qui fuit la réussite, qui sabote son bonheur pour aller jusqu’au meurtre… Notamment celui de Lucie.

– Lucie ! Mais tu divagues !

– Non Thomas, je suis le démon qui se réveille lorsque tu as bu, je suis le monstre hideux que tu es devenu quand tu dépasses les trois grammes.

Le chauffeur de taxi n’y est pour rien, il est parti en voyant Lucie baigner dans une mare de sang. Il voulait seulement vous réveiller pour la conduire au CHU, mais cette chambre inondée d’hémoglobine lui a fait prendre la fuite, ce qui est compréhensible. Pour ne pas se compromettre il a méticuleusement effacé ses empreintes et a pris soin de ne pas enregistrer sa dernière course, qui avait été payée en liquide, bien entendu.

– Mais alors qui?

– C’est toi Thomas, tu as simplement mis en pratique ce qui te bouffe depuis ton plus jeune âge, tu avais découvert un peu d’amour avec Lucie, mais tu t’es interdit de l’entretenir jusqu’à la fin de tes jours ou plutôt des siens.

Oui tu as tué auparavant, mais ce n’était que le signe annonciateur de ce qui s’est passé chez toi.

– Tu veux dire que…

– Tu as voulu jouer avec la vie, te croyant plus fort qu’elle.

Tes crimes étaient comme des cierges que tu allumes dans une chapelle, tu as toujours vécu à reculons, a contrario du sens de l’existence. Le sentiment de puissance que tu ressentais après tes crimes n’est que l’indice de ta faiblesse et de l’orgueil incommensurable qui te fait fonctionner. Tu n’as tué que par dépit et sans doute aussi parce que tu n’avais pas le courage de te supprimer toi-même. Tu n’as fait que déplacer ton mal être sur des innocentes. Quant à ton pied de nez à la religion avec le prêtre et la none ce n’était qu’un règlement de compte avec ton certificat de naissance. En bafouant cette institution, Ô combien miséricordieuse, tu as tué ton père et violé ta mère.

Une belle cérémonie Œdipienne ! Avec tout le décorum, mais devant un parterre de sièges vides. Car ce que tu fais n’est pas racontable, à part peut-être à un prêtre, le seul totalement assujetti à ses vœux. Mais qu’en as-tu fait de ce saint homme, il ne se réduit pour toi qu’à un coup de fourchette dans la gorge. Je me trompe ?!...

Tu n’es juste fait que pour survivre Thomas, tu as passé un point de non-retour.

L’apothéose, si je puis qualifier la chose ainsi, c’est avec Lucie ; le venin qui coule dans tes veines a annihilé ta lucidité et tu as commis le comble de l’ignominie. C’est la vie ou plutôt l’amour que tu as éradiqué cette fois-ci.

Oui c’est toi qui l’as égorgée, c’est toi qui m’as appelé, mais ne t’inquiète pas, demain je n’existerai plus.

– Mais les autres?

– Les autres m’auront oublié, le temps s’est arrêté, tu t’en es rendu compte.

Puis il se leva doucement et me fit signe de le suivre jusqu’au lavabo.

– Regarde bien ce miroir et dis-moi ce que tu vois.

Je n’y voyais que mon propre reflet…

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