A table !

4 minutes de lecture

Marcelle revient. Depuis combien de temps était-elle partie, je l'ignore. Et puis, je m'en fous un peu parce que je crois que j'ai encore ronflé un brin. Mais, pour ma défense, cet ultime roupillon m'a parfaitement requinqué. Je me sens près pour les prochaines olympiades !
Et la voir les bras chargés de deux gros trucs plein de plumes de toutes les couleurs finit de me rendre le sourire : j'ai une faim de loup à combler d'urgence !

  • Tu te sens mieux, bonhomme ? commence-t-elle. J'imagine que tu dois avoir les crocs, toi aussi ?

Et elle jette les deux gros oiseaux à mes pieds. Je lorgne les bestioles avec curiosité. Je ne sais pas ce que c'est exactement mais deux ailes, un bec et des pattes griffues me suffisent pour imaginer un excellent repas à venir.

  • Tu sais faire du feu, bien sûr ? reprend-elle d'un air goguenard.
  • Et comment ! La dernière fois que j'ai laissé libre cours à mes dons de pyromane, j'avais douze ampoules par doigt !
  • Je sais pas pourquoi je t'ai demandé, ça...soupire Marcelle. Tu m'as l'air d'un drôle de zozo, toi.

Je me prends ça dans les gencives en silence. Rien n'entamera ma joie du moment : on va bouffer ! Parce que, c'est évident, Mâdâme Marcelle sait allumer un feu, elle. Pour faire bonne mesure, je chope un volatile par une patte et je tente maladroitement de le plumer.
Mais pour ça non plus, je ne suis pas doué !
Debout près de moi, elle me considère avec un mauvais regard dans les prunelles. Du dédain, on dirait. M'en fous : je m'acharne à lui arracher ses plumes, à ce con de zoziau de mes deux. Finira bien par ressembler à Monsieur Propre et sa boule à zéro avant d'être bouffé par les vers, non ?

Finalement, elle se marre à me voir si gauche. Sans rien dire, elle s'asseoit en tailleur en face de moi, attrape le deuxième coucou et donne l'exemple. Je lui jette quelques regards furtifs, histoire de copier ses gestes, mais elle termine l'opération en quelques minutes, transformant la bête en genre de poulet de ferme prêt à consommer.
Mon poulet à moi ? Je crois que je vais le bouffer avec ses plumes, ce sera plus simple...
Heureusement, elle me le prend des mains et en fait vite la copie conforme de l'autre. Puis elle regroupe quelques pierres en un beau cercle, ramasse quelques brindilles et sort de ses poches un briquet...

  • Drôle d'invention, hein ? fait-elle, toujours sans m'accorder un regard.
  • On n'a rien trouvé de mieux depuis vingt mille ans... répliqué-je,

Je me sens carrément minable. Pour un peu, ça me couperait l'appétit !
Rapidement, de belles flammes orange naissent au centre des pierres et Marcelle alimente le brasier avec quelques morceaux de bois qu'elle a ramassés pendant sa chasse.

  • Comment les avez-vous attrapés, ces oiseaux ? demandé-je.
  • Fastoche ! J'ai balancé quelques pierres dans la tronche des vautours qui commençaient à les dévorer. Je crois même que j'en ai tué un, mais ces saloperies sont pas mangeables. Ce qui est dommage parce que ça doit bien peser une dizaine de kilos, ces merdes-là.
  • Euh...vous voulez dire que ces...poulets étaient déjà morts ?
  • Ben ouais. Et crois-moi, mon gars, c'est un vrai coup de bol pour nous ! Tiens, rajoute quelques bûches, ça fera fuir les prédateurs. Tu peux faire ça, tu crois ?

Et encore une volée dans les dents ! Commence à me courir sur le haricot, la mégère. Si ça continue, je vais lui voter un bon coup de pompe pour la calmer, merde ! Je ne sais pas allumer un feu, mais pour ce qui est de la chicorne, je suis champion !
Conscient, malgré tout, que l'union fait la force, même à deux, je préfère me taire. Je bricole deux poteaux, fourchus au sommet, et j'empale sans hésiter un premier poulet sur un autre morceau de bois à peu près droit. Je dis "poulet" parce que je ne sais pas ce que je vais manger sous peu... De toute manière, j'ai tellement faim que je ferais même mitonner les vers s'il en avait dans ses entrailles !

  • Ben voilà... Il a fait un grill, le pépère ! s'exclame-t-elle avec ironie.
  • Ouais, ma grosse. Et il t'emmerde !

Bon, sur le coup, ça lui coupe le sifflet, mais elle me lance un regard plein de rage et de haine. Pour ne pas envenimer la situation, je ne soutiens pas ces oeillades qu'elle voudrait assassines et je me contente de surveiller la cuisson des deux bestioles maintenant posées à rôtir au-dessus des flammes. Quand les viandes sont cuites à point, elle s'empare d'un poulet et je me jette sur le second.
On dirait deux fauves en train de calmer leur faim. Je claque du bec sans me soucier de la bienséance et elle ignore superbement ses doigts dégoulinant de graisse... Si on ne s'entend visiblement pas sur grand chose, on peut quand même s'estimer heureux de partager ce repas de sauvage en pleine pampa.

Toujours ça de pris...

A suivre...

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