Semaine 04 ▬ Profondeur Solitaire
Tout n’est que silence, tout n’est que ténèbres.
Mes mains viennent serrer mes épaules, mes bras se croisent. Je tremble, pourtant je n’ai pas froid. J’aimerais hurler, appeler à l’aide, mais je ne peux pas. Mon souffle est erratique, et je vois l’aiguille de mon manomètre décroitre. Je sens grandir la peur, et la panique. C’est avec désespoir, que j’abats mes poings contre la barrière de pierre. Pourquoi ai-je voulu jeter un œil dans cette cavité rocheuse ?! Pourquoi a-t-il fallu que l’entrée ne s’écroule peu après mon passage ? Je n’ai même pas pris de lampe avec moi ! Quel idiot je fais.
Je sens les larmes poindre derrière la visière de mon masque. Mais un son dans le silence maritime me fait tendre l’oreille. Les roches s’entrechoquent au niveau de l’entrée : s’est-on rendu compte de ma disparition ? Impossible, je suis venu seul. Je me pensais meilleur que les autres, ma vanité m’a entraîné ici. Je cogne la pierre, comme pour aider. La lumière filtre enfin, et le soulagement s’inscrit sur mon visage. D’abord, de fines lueurs, puis une pierre plus importante est retirée, et c’est un véritable tube lumineux qui pénètre la cavité où j’étais prisonnier. Je m’en approche, elle est assez large pour que je m’y glisse.
Mes palmes me propulsent, je suis libre. Mes yeux sont dirigés vers les hauteurs, je peux apercevoir la surface au loin. Les rayons du soleil s’y perdent pour se réfracter au fond de l’océan. Je peux voir mon bateau, mais il n’y en a pas d’autres. Alors : qui ?
Mon visage bascule, je cherche qui est mon sauveur. Devant moi, je ne perçois que le bleu infini. Je baisse la tête, les coraux et algues s’entremêlent en un mélange chatoyant de couleurs. Des poissons se glissent entre les cavités de ces animaux aux allures de plantes ou de pierres. Je me tourne alors sur les côtés, observant avec curiosité qui est intervenu.
Je sens l’eau qui se brasse quand je me meus vers la droite : lui aussi a bougé. Il est derrière moi… Pourquoi ne me laisse-t-il pas le détailler ? Mes dents se serrent sur mon détendeur, et les bulles que j’expulse sont un peu plus grosses. J’ai beau savoir que la maîtrise de soi fait tout en plongée, je n’aime que moyennement qu’on se paie ma tête.
Lentement, je fais basculer mon visage pour essayer de regarder derrière moi. Même si les bouteilles gêneront ma vue. Mais la seule chose que j’aperçois alors, c’est une longue et puissante queue. Des écailles d’un vert saisissant et où les reflets aquatiques semblent danser. Une nageoire, semblable à un voile mêlant éclats de péridots et brillant des perles, me captive par ces couleurs, que j’en oublie d’expirer.
Mon visage suit cette queue sans y croire. Lorsque je commence à voir des parures de coquillages, je sens un frisson me prendre. Et là, de la chair. Un torse humain, aux muscles saillants. J’aimerais déglutir, cela m’est impossible, car je dois expulser l’air vicié de mes poumons. Au moment même où je peux distinguer son faciès. Il a des traits envoûtants. De longs cheveux verts dansent et encadrent un visage au nez aquilin. Son sourire est mutin, et il semble se moquer de mon expression ahurie. Dans le silence de la mer, mes oreilles perçoivent comme un chant. Le sien, alors qu’il rit.
Lentement, il vient me prendre la main. Je ne comprends pas ce qu’il veut, et me laisse faire. Je ne suis pas certain de ce à quoi je fais face… Ou plutôt, je n’y crois pas. Le manque d’oxygène me fait-il délirer ? Il m’entraîne vers les fonds, me montre les poissons-clowns qui se faufilent dans les anémones. Les chirurgiens jaunes voguent en compagnie des bleus. Quelques perroquets picorent les coraux pour se nourrir et fortifier leur étrange bec.
Il me lâche pour aller titiller de grandes raies, qui dévoilent leurs aiguillons mortels avant de réaliser un ballet autour de nous deux, sous son rire chantant. Les murènes quittent légèrement leurs tanières, malgré la lumière. Un bref instant, portées par la curiosité, et elles retournent chercher leur sommeil diurne. Anémones, gorgones, et autres alcyonaires étincèlent dans des teintes chaudes au milieu desquelles il fait contraste. Les tons froids de sa chevelure et la pâleur de sa peau lui donnent une présence irréelle.
Je me surprends à sourire, et à finalement le suivre dans sa danse aquatique. Les poissons-lunes et anges nous entourent. Une tortue semble aussi se perdre dans ce ballet unique. Tout n’est que mouvement de spirales, avec ma personne au cœur de la tornade de couleur et d’animaux. Il dirige l’ensemble, tel un chorégraphe. Et parfois, à l’image d’un danseur étoile, il vient se mêler à la troupe et me captive. Son éclat restant sans pareil.
Ce n’est que lorsque j’inspire une nouvelle bouffée que je me rends compte de la vérité. Je n’ai plus d’air ! Lentement, le spectacle se calme et tous m’entourent. Il s’approche de moi, je m’asphyxie. Je dois bleuir, je ne peux m’empêcher de porter les mains à ma gorge. Mon corps se raidit, j’ai froid. J’étouffe !
C’est flou, mais je perçois ses doigts dans mon dos. Il touche mon masque, et défait le détendeur. Il libère le bas de mon visage et avant que je ne puisse boire la tasse… Je sens ses lèvres sur les miennes. Un baiser ? Pas seulement, car je ressens l’air qu’il m’envoie. Et délicatement, dans la procession, il nous fait gravir les paliers.
Sa bouche bouge, il parle. Mais je n’entends qu’un chant, différent de son rire. Alors que ma conscience s’efface et flotte, au même titre que mon corps, je perçois d’autres échos qui lentement nous accompagnent. Des écailles, aux couleurs chatoyantes ou froides, sur lesquelles le soleil et l’eau se reflètent. Rubis, saphirs, péridots, ambres, diamants et perles semblent m’entourer, leurs éclats m’enveloppant à l’approche du dernier palier. Mes paupières se ferment, je me laisse transporter par ces chants similaires aux cétacés. Leur présence chaleureuse, leur beauté, me rassure. Je me détends.
Alors que mon visage quitte les profondeurs pour la surface, j’ouvre les yeux vers l’astre solaire. Je sens une caresse le long de ma nuque. Cette main vient glisser jusqu’à la mienne, et y déposer quelque chose. Je veux me redresser, replonger, mais un son au creux de mon oreille m’en empêche. Un murmure dit hors de l’eau…
« Un jour, peut-être, nous nous reverrons… »
Je le sens déjà qui s’en va, avec les siens. Et si je nage jusqu’à mon embarcation, et y dépose mes affaires, je ne vois plus le bleu du lagon. Les poissons ont repris leurs habitudes, et il a disparu. Ai-je rêvé ? La perle dans ma main me rassure que non. Et c’est le cœur gonflé d’espoir que je contemple cette étendue aux mille et un secrets. Ce monde différent du nôtre, mais d’où la vie est originaire.
Un jour, nous nous retrouverons. Ici, ou ailleurs. J’en ai la conviction.
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