Chapitre 22, partie 2 :
Angelo DeNil :
Je vais le tuer.
Je vais les tuer tous les deux.
Comment ? Comment a-t-il osé me faire ça ? Pourquoi a-t-il ramené ce connard ici ?
Will pose sa main sur ma joue et son regard suppliant me demande de me calmer. Je suis hors de moi, enragé. Je vais faire un foutu carnage si ce richard à la con ne quitte pas cette maison dans la minute qui suit.
— Sors ! éructé-je. Sors tout de suite de chez moi, bordel. Casse-toi !
Le regard de Will se ternit alors qu'il recule, heurté par mon ordre. Il n'a pas saisi, c'est à Rodrigue que je m'adresse. Ou peut-être que je leur parlais à tous les deux, je ne sais pas. Je crois que mon envie de le voir s'est volatilisée. Non, je veux simplement qu'il s'éloigne pour ne pas que je lui fasse de mal parce que mon sang boue dans mes veines au point de me faire trembler.
— Je vais payer les soins de ta mère, déclare mon oncle. Elle sera bien prise en charge.
Je lui jette un regard noir, puis mon attention se reporte sur mon amour que j'ai envie d'étouffer.
— Pourquoi t'as fait ça ? Comment t'as osé me le ramener ici ? Je ne supporte déjà pas sa gueule quand tu regardes tes émissions débiles alors pourquoi tu le fous dans la même pièce que moi ?
— Angelo, souffle-t-il, laisse-moi t'expliquer, d'accord ? J'ai fait ça pour toi, pour ton bi...
— Putain, mais t'es qui pour prétendre savoir ce qui est bon pour moi ? grincé-je en levant un doigt accusateur dans sa direction.
Il fait deux pas en arrière, baisse la tête et semble blessé par mes mots. Je sais que ma réaction est exagérée, que je ne devrais pas lui hurler dessus alors qu'il cherche à me venir en aide, parce que oui, ça je l'ai parfaitement compris. Mais j'ai la rage, je lui avais pourtant dit que je ne voulais pas entrer en contact avec cet homme. Il n'avait pas le droit de choisir à ma place. Je sais que ma mère a besoin d'aide et l'envoyer en cure de désintoxication est la meilleure chose à faire mais pas si c'est Rodrigue qui l'y emmène. J'aurais accepté n'importe quelle solution venant de Will, j'aurais été d'accord pour maintes options, mais merde, pas celle-là.
— Dégage !
— Non, je...
— Mais pas toi ! Abruti ! le coupé-je en secouant vivement la tête. Rodrigue, casse-toi !
Le concerné ne réagit pas, il reste en retrait et nous observe avec curiosité, ce qui m'énerve davantage. Lorsque Will relève enfin le visage, son expression chiffonnée s'est transformée en détermination.
— J'étais sûr que tu allais réagir comme ça et je m'y suis préparé. Tu peux me détester, me cracher les pires horreurs à la tronche, mais sache que si ça peut vous soulager, alors je ne regrette pas mon geste.
Je le fixe, les yeux ronds. Je me fais violence pour ne pas lui foutre une claque.
Calme-toi, il ne veut que t'aider.
" Ferme-la, Lumière ! Tu n'es pas la bienvenue pour l'instant. T'étais où quand je me suis ouvert les veines dans des chiottes ? "
— Je ne supporte plus te voir lutter, Angelo, reprend-il en faisant un pas vers moi, la mine encore assombrie.
Ses émotions jouent au yoyo, les traits de son visage ne font que changer. C'est perturbant.
— J'en ai marre de te voir si fatigué chaque fois que tu sors du resto, de te voir épuisé mentalement. Je ne veux plus jamais qu'on se brise comme la semaine dernière, dans la ruelle. Je ne veux plus être forcé de te parler comme je l'ai fait, que tu me pousses à être la pire version de moi avec toi. Je veux ton bonheur avant tout et le temps que ta mère sera amorphe toute la journée, tu ne l'atteindras jamais.
On allait mieux, notre couple ne s'est pas abîmé. Depuis cette fameuse nuit, nous n'avons plus hurlé nos reproches. On discutait, on se câlinait puis on s'aimait calmement, alors pourquoi ce revirement de situation ? Pourquoi me foutre Rodrigue DeNil dans les pattes alors que tout semblait aller convenablement ?
Parce que le calme est toujours présent avant chaque tempête. Tu le sais mieux que personne...
" Barre-toi, satanée loupiote. Tu me prends la tête à n'avoir jamais tort. "
— Il a raison, petit. Je suis là pour vous aider, je vais placer Berry dans le meilleur centre de l'état. Elle sera parfaitement encadrée, tout ira bien.
Je pivote vers lui avec lenteur. L'idée de l'étrangler avec sa cravate hors de prix germe dans mon esprit.
— Merde, mais ferme ta gueule, toi, explosé-je. T'étais où quand ton frère était sur son lit de mort ? T'étais où durant toutes ces années ? Nulle part ! T'étais pas là pour le soutenir avant qu'il meurt ! J'avais treize ans, bordel ! Je n'avais que treize ans quand j'ai dû assumer ma petite sœur que tu ne connais même pas, quand j'ai dû supporter ma mère, devenir le putain d'adulte de la maison parce que personne n'était apte à le faire ! J'avais treize ans et je devais me gérer moi-même, gérer une maladie mentale qui me bouffe toute mon énergie, une mère toxicomane et une gamine de dix ans. Et maintenant quoi ? Tu arrives tout pompeux chez moi et tu penses vraiment que je vais te laisser agir à ta guise ?
Je finis ma phrase en pleurs, c'est lorsque je me tais que je m'en aperçois. Je ne voulais pas être faible face à lui mais j'ai craqué. Je suis tomber dans l'eau, une fois de plus, je crois que je me noie.
Mes genoux flanchent, je chute en hurlant de rage et de douleur. J'ai tout fait durant des années. Je me suis occupé de ma famille pendant qu'il se payait une belle vie de tocard. Will s'approche de moi, je ressens sa présence avant de le voir. Il s'agenouille face à moi et attrape mon visage entre ses mains. Ses doigts sont chauds sur ma peau glacée. Si je m'écoutais, je lui crierais de me lâcher, de partir, mais je n'en ai pas la force. Non, je n'ai pas le courage de le faire.
— Mon cœur, débute-t-il contre mes lèvres. J'entends ce que tu dis et je suis d'accord avec toi. Ce n'était pas à toi de faire tout ça et c'est certain qu'il aurait pu vous soutenir bien plus tôt. Mais comprends moi, je t'en prie. Je n'ai pas fait venir ton oncle pour te nuire. Je t'observe, je n'ai pas le choix que de te regarder chuter et ça me brise. Je ne peux rien faire pour t'aider si ce n'est être présent pour toi. Il fallait trouver une solution.
— Ça me suffit... ta présence à elle seule me suffit, reniflé-je.
— Je te crois, mais combien de temps tu vas encore tenir dans de telles conditions ? Je vis constamment dans la peur que tu me rejettes, que tu te blesses. Je ne veux pas être celui qui te regarde tomber. Je ne veux pas être témoin de ça, tu comprends ? Je refuse d'être celui qui reste quand tu auras craqué. Je ne veux pas être celui qui survis après et si rien ne change, j'ai la sensation que c'est ainsi que ça va se terminer. Je t'ai déjà vu une fois dans un lit d'hôpital, en étant impuissant et ne sachant pas si tu allais me revenir. Je suis devenu fou pendant dix jours à attendre et à t'observer à moitié mort, Angelo... j'en fais encore des cauchemars.
Il pose délicatement son front contre le mien et efface mes larmes qui ne se tarissent pas. Mon envie de le rejeter a disparue, je désire simplement l'aimer déraisonnablement et inconditionnellement. Lui et Lumière ont raison. Il ne m'a jamais menti, ne s'est jamais montré malhonnête avec moi. Il fait tout pour me soutenir et je l'admets, j'ai besoin de cette aide. Nous en avons tous les deux besoin pour que notre amour ne se ternisse pas dans l'obscurité de ma démence. Loli a également besoin de ce soutien, tout comme Bérénice et Simona. Will a déposé devant ma porte l'unique personne capable de soutenir nos démarches que je n'ai pas encore trouvé le courage de commencer. Du côté financier, Rodrigue est le seul à pouvoir nous faire avancer. Pour que ma mère profite d'un centre adapté, il me faut suffisamment d'argent et mon travail au restaurant ne suffit pas. Mais si j'accepte, je trahis mon père.
— Je t'en prie... ne me laisse pas vivre sans toi, je n'y survivrai pas. On est trop jeune pour mourir. Tu es sur une corde raide, trop loin du sol. Tu tiens l'équilibre pour le moment, mais j'ai peur que tu trébuches. Si tu tombes, je tomberai avec toi.
— Je t'interdis de mourir, sangloté-je en l'attirant vers moi en un geste désespéré.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment notre échange a basculé sur des potentielles tentatives de suicides et comment ma colère contre Rodrigue s'est transformée en tristesse intense en voyant le visage tourmenté de Will ?
— Et je t'interdis de me quitter, physiquement, moralement, mentalement, peu importe. Je te veux en bonne santé, le cœur pansé, l'esprit plus léger. Je refuse que tu t'acharnes encore, je veux te voir heureux. Angelo, tu te souviens, un soir je t'ai demandé quel était ton rêve ?
Je hoche la tête, pas certain de savoir où il veut en venir. Je refoule les souvenirs désastreux qui ont suivis cette nuit magique et me concentre sur le bleu de ses yeux.
— Je me rappelle parfaitement de ce que tu m'as avoué ce soir-là. Je n'oublie aucun moment que je passe en ta compagnie, qu'il soit doux ou douloureux. Et je me souviens ne pas t'avoir partagé mon rêve, alors je te le dis maintenant. Je veux te voir en paix, apaisé de ces fardeaux qui pèsent trop lourds. Mon plus grand désir c'est de profiter de mon trésor quand il sourit...
Je clos les paupières et étouffe un sanglot. Will s'est éloigné en parlant, je ne supporte pas cette distance alors je passe mes doigts dans ses cheveux pour apposer mon front au sien. Je reste silencieux le temps que mon cœur se calme puis inspire profondément.
— D'accord, abdiqué-je, je suis d'accord. Qu'il emmène maman se soigner, qu'il s'occupe d'elle comme je ne peux pas le faire.
Je lâche prise, je crois que je ne supporte plus de me battre en réalité. J'en ai marre de cette vie, marre de la peine qui se dessine inlassablement sur le magnifique visage de mon amour. Je veux être heureux avec lui. Il a raison, j'ai besoin de réapprendre à vivre et de penser à moi au lieu d'endosser un rôle qui n'est pas le mien. Je n'accepte pas Rodrigue, mais s'il veut dépenser une partie de sa fortune comme s'il faisait don à une association caritative alors soit, qu'il le fasse. Je ne lui laisserai pas l'occasion de rattraper les années qu'il a perdues, cependant maman mérite d'aller mieux. Elle souffre aussi, elle n'était pas ainsi avant. Il est temps de retrouver celle qui m'a appris à gérer ma maladie, qui me berçait quand j'avais des angoisses, qui nous lisait des histoires le soir à Loli et moi. Je ne veux plus être l'adulte de cette famille, j'ai déjà trop donné.
Will soupire de soulagement, ses pouces passent sur mes paupières pour effacer les larmes. J'ouvre les yeux lorsqu'il les retire, pour me perdre dans l'océan qui m'admire et me caresse.
— Mon trésor, souffle-t-il soudain rassuré, je suis si fier de toi. Tu vas retrouver ta mère et tu pourras enfin respirer.
— Je ne l'aimerais pas pour autant, lâché-je en désignant mon oncle. Je ne veux pas de lui ici et je ne veux pas de toi avec lui. Je veux juste qu'on se batte pour avoir l'avenir que nous avons évoqué l'autre soir.
— Tout ce que tu veux, Angelo. Jamais je ne te forcerai à aimer qui que ce soit. Juste vis pour toi et ça m'ira, ok ?
— Pour nous, rectifié-je.
— Non, trésor. Fais-le pour toi en priorité et ensuite pour nous.
J'acquiesce bien que je ne sois pas d'accord. Si j'accepte de vivre, c'est seulement pour le faire avec lui. Will anime mon cœur, il me créait de nouveaux sentiments, ceux qui sont agréables à ressentir, ceux qui apaisent tout ce chaos. Tous ceux qu'il lui sont exclusivement réservés.
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