Aux portes des croisés
Maria leva les yeux vers le ciel. Le soleil continuait de brûler sa peau et son visage et elle craint de devenir fumée. Elle enviait les musulmans autour d’elle qui ne craignaient pas la chaleur et ignoraient les caprices de l’astre.
Il essaye de te carboniser. Il veut ta peau ; ils veulent tous ta peau.
La jeune romaine s’approcha d’Héraclius qui se tenait aux premières lignes, près de Saladin dressé sur son cheval blanc. Elle attrapa son bras pour attirer son attention.
« Mon oncle, tu devrais rester en arrière, commença t-elle, tu risques d’être blessé ou pire, d’être tué si tu es tout à l’avant.
- Si tu as si peur de mourir, tu devrais suivre tes propres conseils, répondit-il en se dégageant de sa poigne.
- Non, je n’ai pas peur pour moi, je crains juste que tu-
- Nous sommes ici pour venger notre famille, Maria ! s’écria t-il soudainement en se tournant vers elle. Il n’y a pas de peur, de crainte, de doute à avoir ! Ce que nous faisons maintenant, c’est l’ordalie de notre existence ! C’est ce pourquoi nous avons été épargnés ; abattre celui qui a voulu nous écraser. »
La jeune fille fronça les sourcils et attrapa de nouveau son bras plus fortement et le tira vers elle.
« Tu es la seule famille qu’il me reste ; si tu meurs, je n’ai plus personne. Tu préfères les morts aux vivants ? Aimes-tu ta vengeance plus que moi ? fit-elle, le ton de sa voix troublé par la frustration et la peine.
- Ces morts sont ta mère, ton père et tes frères et soeurs : des gens bons, innocents, massacrés par Renault de Châtillon. Souviens-toi de ce nom et maudis-le jusqu’à ce qu’il soit mort à nos pieds, ou aux tiens, si je devais périr. Méprise-le pour ce qu’il nous a fait ; c’est tout ce que tu dois savoir.
- Peut-être que je ne veux pas me venger, mon oncle, car mon coeur et mon âme ne sont pas corrompus par la haine comme tu l’es. »
Héraclius bouillit de rage. Pourquoi ne comprenait-elle donc pas ? Elle n’avait pas vu de ses propres yeux l’horreur à laquelle il avait assisté : les cris, l’odeur de la chair qui brûle, les corps ensanglantés et mutilés sur lesquels il trébuchait en avançant, le goût du sang dans sa bouche blessée qui ne disparaissait pas peu importe le nombre de fois qu’il la rinçait, et les cavaliers de Chatillon qui égorgeaient les vieillards, les enfants, qui violaient les femmes et les moines, la fumée des églises en feu qui montait au ciel dans l’espoir d’alerter le Seigneur du massacre et qu’Il leur vienne en aide. Elle n’avait rien vu ; elle était un bébé. Mais elle devait savoir, elle devait comprendre. Tout se jouait maintenant. Ils étaient sur le territoire de Jérusalem, et le conflit avec les troupes de Saladin était l’opportunité parfaite pour s’immiscer au coeur de la corruption dont elle parlait. La haine motivait la guerre ; elle motivait les hommes, et Héraclius n’était qu’un homme. Fabriqué par le mépris, son le nez coupé lui rappelait les atrocités auquel il avait survécu, et chaque jour il se maudissait d’être en vie. Mais puisque Dieu l’avait épargné, il devait être Sa main, Sa justice, et la rendre contre ceux qui L’avaient offensé lui et son serviteur.
« Il est l’heure. Vous reprendrez votre dispute plus tard. » les coupa Saladin en levant le bras, avertissant ses troupes.
Des cloches se mirent à sonner. Les tireurs musulmans se mirent en position et braquèrent leurs arcs, prêts à faire feu sur les défenses de Lydda. Devant l’armée, la citadelle franque se préparait à riposter, ses propres archers en alerte gardant ses gigantesques murs de pierre. Maria crut apercevoir des catapultes sur les fortifications de la cité et eut un mouvement de recul ; elle tenta de tirer son oncle vers l’arrière, mais il la repoussa d’un geste du bras. Les troupes se mirent en marche, et, poussée par les soldats, elle le perdit de vue. Quelqu’un l’attrapa et la dégagea des fantassins et cavaliers, et lorsqu’elle se retourna pour lui faire face, elle reconnut les yeux verts de l’homme qu’elle avait rencontré plus tôt.
« Reste en arrière et attends que la ville tombe, ça vaut mieux pour toi, dit-il.
- Vous n’allez pas avec eux ? s’étonna t-elle.
- Non, pas pour le moment. J’ai des ordres spéciaux, répondit-il en l’asseyant sur un rocher.
- Lorsque vous les rejoindrez, protégez mon oncle si vous le pouvez, je vous en prie.
- Il n’aura besoin de personne pour le défendre. »
Saladin et Héraclius s’approchèrent des murs de Lydda. Les troupes chrétiennes brandirent leurs arcs et décochèrent leurs flèches sous les ordres de leur commandant. La plupart s’abattirent à quelques mètres des assaillants, mais certaines parvinrent à toucher les premières lignes. Le sultan égyptien se tourna vers le romain, l’air grave.
« Débarrassez-moi de ces hommes. » lui ordonna t-il en pointant les archers du doigt.
Héraclius regarda le haut des fortifications ; il aperçut le visage de ses défenseurs, des chrétiens, comme lui, mais des ennemis désormais. Il préféra ignorer leurs expressions terrifiées et pour cela ferma les yeux. Il s’agenouilla et posa les mains sur la terre aride et chaude et inspira. L’air sembla subitement se rafraichir, et les forces des soldats s’amoindrir. Quelques secondes plus tard, les archers tombèrent de fatigue, leurs corps s’amaigrirent et leur souffle s’évapora. Héraclius se redressa et d’un geste de la main arracha les lourdes portes de Lydda. Il les envoya valser à l’intérieur de la forteresse, écrasant les chevaliers postés derrière. Saladin leva sa cimeterre et envoya ses troupes envahir la ville. Dans un élan guerrier, elles assiégèrent Lydda telle une vague qui s’abat violemment sur les rives. Des cris s’élevèrent des fortifications.
Le sultan siffla fort, si fort qu’on put l’entendre à travers le vacarme provoqué par les chevaux et les soldats. Aegyptus détourna son attention de Maria et quitta ses côtés.
« Où allez-vous ? demanda t-elle, ne voulant pas rester seule.
- Je reviens vite, reste ici. »
Il disparut dans le nuage de poussière soulevé par la charge musulmane. Maria se leva du rocher où il l’avait installée de force et fit quelques pas en avant. Elle savait que c’était bien trop dangereux, mais elle craignait pour la vie de son oncle. Il n’avait aucune formation guerrière, comment pouvait-il s’en sortir ?
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