Ma faute
Le roi mena ses troupes à la suite du seigneur de Ramla qui avait ordonné qu’on tue chaque musulman ayant survécu à vue. Il rapporta les nouvelles de la fuite de Saladin sur un chameau ; ses mamelouks avaient tous été massacrés et il ne restait que quelques soldats pour le protéger. Son général Al-Mufazar avait survécu mais son fils Ahmud gisait parmi les morts.
Aegyptus avait été rappelé par un sifflement aigu qu’il avait réussi à entendre. Son instinct lui avait déconseillé de laisser son maître mais il n’avait pas eu d’autre choix qu’obéir : il vit les conséquences gravissimes de son départ lorsqu’il aperçut les piles de cadavres en train de brûler dans les collines. Quelques croisés étaient restés sur place pour ramasser tous les trésors qu’ils pouvaient encore trouver et les ramener à leurs barons. Ils empilaient coffres, tapis, coupes d’or et d’argent, livres et habits dans des charrettes. L’un d’entre eux avait également trouvé un magnifique exemplaire du Coran. Après avoir constaté les dégâts et le coeur serré, Aegyptus cessa de survoler le champ de bataille et se résolut à retrouver Saladin. Heureusement, il fut aidé par les sifflements répétés du sultan qui tentait de le rappeler à ses côtés.
Aegyptus rasa le ciel des montagnes voisines à la recherche des survivants égyptiens. Il remarqua un petit groupe tout vêtu de noir qui avançait rapidement dans les dénivelés. Bien plus loin mais à leurs trousses, Baudouin et son armée tentaient de se frayer un chemin entre les monts. Ce n’est qu’en approchant de la location de son maître qu’il se rendit compte de la proximité du roi ; une douleur saillante lui attaqua la poitrine, comme s’il avait été transpercé. L’oiseau se tordit d’agonie, ses ailes peinant à retrouver une stabilité. Il pourfendait l’air de ses griffes dans l’espoir que son tourment cesse. Trop près du sol, il s’écrasa dans les montagnes, assez près pour que Saladin le remarque. Immédiatement, ce dernier s’empressa de rejoindre le lieu de l’impact et trouva son ibbil ensanglanté dans les rochers.
« Le voilà, ton oiseau ! Il nous a bien aidés ! s’écria Al-Mufazar, fou de rage et de peine en pensant à son fils décédé.
- C’était ma faute. » murmura le sultan en posant une main bienveillante sur l’épaule d’Aegyptus suffoquant.
Saladin ordonna qu’on le transporte et qu’on le soigne le plus vite possible. Ils ne pouvaient pas rester en place davantage ; ils reprirent la marche. Le fait qu’Aegyptus se soit écrasé prouvait que l’armée croisée était plus proche qu’ils ne le pensaient. Lorsque son général suggéra que l’oiseau était défectueux, le sultan expliqua qu’il soupçonnait le roi des chrétiens d’incapaciter volontairement ou non ceux qui étaient doués de magie. Aegyptus était résistant, cependant. La première fois, il avait cédé à la douleur immédiatement par surprise et était redevenu humain en plein air, se blessant gravement. Cette fois-ci étant donné les circonstances, il avait du la surmonter pour ne pas se tuer.
« Ils ont du abattre Héraclius, ajouta Al-Mufazar. Je t’avais dit qu’on ne pouvait pas lui faire confiance. Il a rendu nos hommes faibles et nous a dirigés dans un piège !
- J’ai pris des mauvaises décisions ces dernières semaines ; je n’aurais pas dû disperser nos hommes ou faire confiance au premier venu. Tu avais raison, mon neveu. Cependant, je ne peux pas blâmer ma faute sur les autres. J’ai mis mon armée en péril, et elle en a payé le prix. Plus jamais je ne commettrai une telle erreur.
- Que faisons-nous désormais ? Nous n’avons plus d’hommes.
- Nous rentrons à Damascus, déclara Saladin dans un soupir. Il faut démentir les nouvelles de ma mort et reconstituer nos forces. La prochaine fois, nous serons prêts à toute éventualité. »
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