IV
Les semaines passent et se ressemblent. Je jongle entre les maths, la physique, la chimie, l’astronomie, l’ingénierie spatial et même la planétologie. Je me suis aussi inscrit à certains créneaux sportifs pour faire du basket et me vider la tête. Avec tout ça, j’ai rarement le temps de faire le touriste en ville, ce qui a le don de faire rouspéter ma mère. D’après elle, il faut avoir vu Time square au moins une fois dans sa vie. Mes nouveaux amis m’appellent « la machine », ce qui je l’avoue me correspond plutôt bien. Ruby et Dan se sont rajoutés à la bande, ce qui porte le nombre à cinq avec Emma et Derek. On a des Tps communs en Physique et Chimie. Eux au moins ne se font pas prier pour s’assoir aux premiers rangs. Derek à toujours une excuse pour me trainer au fond de la salle, pour au final ne même pas se soucier du cours. Jacob, lui, est plutôt du style loup solitaire et préfère nous rejoindre quand ça lui chante. D’ailleurs, je ne l’ai pas souvent vu en cours, de même que la fille au sac à dos bleu. Soit elle arrive en retard, soit elle n’arrive pas tout court. Toujours habillée d’amples vêtements foncés couvrant la grande majorité de son corps. Personne ne semble la connaître, mais tous les regards se posent sur elle lorsqu’elle traverse les couloirs. Je ne dois pas être le seul à être tombé sous son charme. C’est qu’elle est super bien foutue ! Moins j’en sais sur elle et plus ces détails tournent en boucle dans ma boîte crânienne. J’ai cependant autre chose en tête à l’heure actuelle. J’ai plus ou moins accepté d’aller à la soirée dite « d’intégration » chez Jacob ce samedi. J’ai apparemment besoin de rencontrer du monde d’après Derek. Tout le monde en parle, à croire qu’il est réputé pour ça. Je suis plutôt du genre à fuir les lieux où règnent drogues et alcools, du fait que je ne consomme aucun des deux. J’ai bien sûr omis d’en parler à mes parents. S’ils savaient dans quoi je m’embarque, ils n’en dormiraient pas de la nuit. En plus on a pas mal de travail à faire pour la semaine prochaine, mais bon, c’est pour faire plaisir aux autres...
Rouler à Brooklyn de nuit n’est pas chose rassurante. Heureusement, la maison de Jacob se dessine assez vite et nous entendons déjà la musique du bout de la rue. Le terrain est bondé. Toute la promo doit être là. Je me demande une nouvelle fois ce que je viens faire ici. Trop tard, Derek coupe le moteur et sort du pick-up.
- Tu verras tu vas t’amuser, affirme-t-il.
- Si tu le dis ... lui répondis-je en soupirant.
Jacob nous accueille à moitié bourré une bière à la main et nous fait rentrer. L’endroit est plein à craquer, ce qui nous vaut pas mal de coups de coude pour traverser chaque pièce. La maison est bien trop petite pour tout ce monde, mais son vaste jardin avec piscine permet aux invités d’y être à peu près à l’aise. A travers les amas de gobelets qui trainent, on peut apercevoir les quelques meubles qui ornent la demeure. Nous rejoignons rapidement le reste de la bande à l’étage dans la chambre de Jacob, lieu préservé du carnage régnant en bas. Certains boivent, d’autres fument, et même parfois les deux en même temps. Les émanations d’herbes mêlées aux effluves d’éthanol me donnent le tournis en entrant dans la pièce.
- On a failli attendre ! s’exclame Emma à travers le panache de fumée.
- Il faut savoir se faire désirer, répondit Derek en l’embrassant langoureusement.
- Les hostilités ont largement commencé, choisis ton poison ? me dit Jacob en titubant.
Deux options s’offrent à moi. Faire le mec cool et me délecter des nombreuses substances, ou alors être le mec relou qui ne boit pas, beaucoup plus proche de ce que je suis réellement. Avant même d’avoir pu trancher sur ce dilemme, Derek me remplit un verre de ce qui semble être de la vodka. Problème réglé... pensé-je.
- A la tienne mon gars ! dit-il l’air satisfait.
Je manque de m’étouffer à ma première gorgée. Ma gorge s’embrase, ce qui me fait tousser de plus belle. Ça ne rate pas, tous les autres rigolent autour de moi. Une teinte rougeâtre recouvre en peu de temps mon visage et une douce chaleur m’envahit. Ça m’apprendra à jouer au mec cool.
- Et si on jouait à « je n’ai jamais » ? lance Ruby
- Euh... ça... consiste en quoi ? bégayé-je
- Roh il faut sortir plus souvent de ta campagne. C’est trop simple tu verras ! A tour de rôle, chacun propose une situation en commençant par « je n’ai jamais », et tous ceux qui se sont déjà retrouvé dans la situation doivent boire une gorgée, annonce la brune.
J’acquiesce timidement, tout en cherchant le piège du jeu.
- Aaron tu commences du coup ! affirme-t-elle.
- Mhmm... d’accord. Voyons voir... Je n’ai jamais mangé de sushis ?
- Bon, du coup, je crois que tout le monde boit, dit Ruby.
- C’est pourri Aaron ... On est là pour s’éclater, il faut des choses un peu plus « caliente », grommela Emma.
- A mon tour, s’exclame-t-elle. Je n’ai jamais baisé avec quelqu’un torché au point que je ne découvre son nom que le lendemain...
Je reste bouche bée. Elle ne plaisantait pas en parlant de choses « caliente ». Je ne sais pas si le pire est qu’elle ait réfléchi à cette question, ou le fait que Derek et Dan aient bu tous les deux une gorgée. Je crois que je n’ai pas fini d’en apprendre de belles sur ces nouveaux amis. Ça contraste bien avec les gens coincés de mon lycée, les gens comme moi quoi...
- Je n’ai jamais fait de prélis dans un lieu public..
- Je n’ai jamais été surpris par quelqu’un en pleine branlette..
- Je n’ai jamais dormi avant la fin de l’acte..
- Je n’ai jamais flirté pour de l’argent..
Les propositions s’enchainent à la même vitesse que les verres. Avec un nombre incalculable de gorgées de retard, je passe clairement pour le curé du coin. Je n’aurais jamais pensé que Jacob pourrait faire un plan à trois avec une collègue de son père, ou encore qu’Emma ait pris un rail de coke avec son ancienne prof d’histoire, et même que Dan ait déjà utilisé un sachet en plastique en guise de préservatif. Ma tête commence déjà à tourner lorsque Derek me gage de boire cul sec un autre gobelet à moitié plein de vodka, si je ne fais pas le tour du jardin complètement nu. Beaucoup trop pudique, je me délecte une nouvelle fois de la substance corrosive.
Les gages et gorgées se succèdent. Je me laisse porter par les effets de l’alcool et me ressers même sans obligation. Le monde parait de plus en plus flou et amusant.
TOC TOC... le bruit sur la porte de la chambre me ramène à la réalité.
Mon cœur manque un battement. C’est elle, la propriétaire du sac à dos bleu, la fille à la chevelure de feu, celle qui apparait sans cesse dans ma tête.
- Eh ! C’est toi Jacob ? demande-t-elle fermement en le pointant du doigt.
- Qu’est-ce que tu veux ma jolie ? lui répondit-il.
- Un mec vient d’encastrer sa caisse dans ta clôture, tu devrais venir voir ...
- Et merde ! J’arrive.
Ils partirent presque en courant en direction du problème.
- Hey, attends ! dis-je en tentant de les suivre, avec beaucoup trop d’alcool le sang.
Les murs semblent de déplacer et le sol trembler à chacun de mes pas. J’éclate de rire. Je me demande si ce n’est pas plutôt moi qui ne marche pas très droit. La quasi-totalité des invités est déjà partie. Je poursuis mes embardées jusqu’au jardin, pour retrouver celle à qui j’ai tant de questions à poser. Je sens tout à coup un vide anormal sous mon pied. Je suis plongé dans un liquide froid et salé.
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