Défi lancé par Lyanna Stark
Azur infini
Acte 1
Tu l'as vu celle-là ? La grosse, là. Regarde comme elle est moche quand elle sourit ! Avec ses yeux gonflés de larmes, on dirait un poisson rouge dans son bocal. Toujours à regarder le ciel. Il n'y a rien dans le ciel ! On n'y a rien vu hier, on n'y voit rien aujourd'hui et demain, histoire d'être sûr, on regardera encore pour constater qu'il n'y a rien dans son ciel. Qu'attend-elle de ce ciel, bon sang ! Elle aura beau dessiner des cœurs avec sa main, ça ne lui fera pas trouver l'amour, ni un sauveur. Et puis, elle ne fait plus son âge, la moche. Elle est courbée comme une vieille branche. T'as vu son sourire niais ? Elle nous provoque, n'est-ce pas ? Elle se moque de nous, hein, c'est ça ? Venez, on va lui montrer de quel bois on se chauffe, nous !
Acte 2
Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas souri. Les nuages ce matin, de concert, s'étaient groupé pour former une chenille joliment tordue dans le ciel. C'est normal, les rayons de soleil chatouillaient l'animal qui se déformait de rire au gré du vent. Elle décida de l'appeler Mila. Elle aime bien ce prénom. Hier, on l'avait vu dessiner avec son doigt des cœurs au dessus de sa tête. C'était pour elle une manière de laisser un morceau de son âme dans le ciel. Elle pensait que c'est là-haut qu'elle pourrait récupérer tous les bouts de cœur qu'elle avait déposé. Elle rassemblera chaque morceau et constatera qu'il grandissait en l'attendant ! Elle sourit, rassurée. Ces ennemis devenaient alors invisibles et son chemin plat.
Actes 3
Elle allait se lever, laisser dans l'herbe l'empreinte de son corps, prendre le petit chemin qui trace vers l'école. Marcher doucement comme pour retenir le temps. Au portail de l'école, ses yeux finiraient par se remplir, chargés de honte et de peur. Une pluie de paroles comme des coups d'épée. Des rires claqueront comme des éclairs chargés d'électricité. Le procès du jour était en place. Les arbitres autoproclamés et les rires en rafale. Tous avaient gonflé leur torse et agité les mains. Ravisseurs de rêves. Étrange concert.
Actes 4
Pendant le premier cours, la tête tournée vers la fenêtre pour s'échapper, elle fixait l'horizon. Une fuite immobile. C'est beau l'horizon. Cette ligne sur laquelle dansent les arbres et disparaissent les lueurs du jour. On y voit naitre des formes iréelles qui ondulent quand le soleil se couche. On y court sans jamais le toucher. On y projette nos rêves. Au delà de la vitre, des décisions, un plan et la libération.
Actes 5
À la récré, peu avant de retourner en classe, elle décidera que c'est aujourd'hui qu'elle rejoindra Mila et tous les bouts de son cœur qui l'attendent là-haut derrière l'azur infini. Mourir en un si beau printemps fut un bon choix.
Actes 6
Elle se rappelera toujours la réaction des gens quand ils ne l'ont plus vu et qu'ils ont retrouvé ses habits trempés dans l'eau. Ils s'étaient accroché aux branches qui dérivaient suite à une forte crue. Elle avait entendu la veille qu'il pleuvrait et que le ruisseau deviendrait rivière. Une idée lui était alors venu à l'esprit : faire croire à son suicide. De toutes façons, n'est-ce pas ce qu'ils attendaient tous, qu'elle disparaisse ? Elle avait savemment orchestré les évènements, dès les premières attaques, il y a bien longtemps. Son rôle : être triste sans trop surjouer. Doser la honte et la crainte suffisamment intelligemment pour paraitre vrai. À 13 ans, on pourrait penser que ce n'est pas possible, n'est-ce pas ? Mais l'adversité vous transforme. Les chagrins vous affinent. Les revers vous musclent. Un soir devant la télévision, elle avait écouté la météo. Tous les ans les mêmes crues gonflaient le ruisseau. Tout est parti de là. Les dessins dans les nuages, la démarche penchée, éplucher des oignons avant d'aller à l'école, obtenir des résultats médiocres, ses habits volontairement salis, évitements. Ils avaient faim d'apparence, alors, elle leur servit un de ses plus beaux plats.
Une enquête fut immédiatement menée. Les langues se délièrent. Des noms sortirent. Les coupables furent un à un démasqués. Les parents convoqués et bientôt le bannissement psychologique. Dans un petit village, les rumeurs circulent très vite.
Étrange concert.
Actes 7
Laureen, par son acte courageux délivra de l'oppression beaucoup d'autres petites filles et garçons pris dans cet engrenage malsain. Sa maman l'avait soutenu jusqu'au bout. Ensemble, elles avaient déjoué tous les pièges du simulacre et bravé toutes les difficultés d'une telle entreprise. Elle resta cachée plusieurs semaines chez elle. Et puis, elles ont déménagé, à l'étranger, loin. On les a rapidement oublié. Elles laissèrent cependant dans ce village le sceau de la culpabilité. Une place portait même le nom de la petite disparue.
Sur la plage qu'elle emprunte pour aller à l'école Laureen regarde les nuages s'accumuler avant l'orage. Ce soir elle prendra le temps de laisser la pluie mouiller ses joues. Elle sourira. Elle a 15 ans maintenant. Elle est belle et rayonnante.
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