Shortcut et les galçons

C'était la débâcle.
La banquise s'était morcelée en plaques distinctes comme les grosses pièces d'un puzzle pour enfant. Parfois, on apercevait la silhouette d'un phoque dont les moustaches aux allures d'un mexicain ivre couvraient exagérément sa bouche. Il disparaissait aussitôt après nous avoir vu. Le pack polaire n'offrait guère l'opportunité à la vitesse. Notre navire, le Royal Sauda, une merveille de technologie, perçait cette étendue craquelée dans une gymnastique navale délicate et mesurée d'apparence. En effet, Shortcut, notre capitaine, dont l'accoutrement sortait tout droit de la série Tv américaine The Love Boat n'avait pas ralenti dans ce dédale de gros glaçons. Même s'il devait s'interdire toute mauvaise interprétation dans la lecture des cartes informatiques affichées devant lui, le temps était compté. La ceinture de glace pouvait à tout moment devenir un piège.
Shortcut avait exigé de faire installer une barre à roue de type BlackPearl dont l'aspect détonnait fortement avec la modernité du bateau. On disait que cette excentricité lui venait des nombreuses années passées dans un lugubre orphelinat dans le sud de la France. D'autres affirmaient qu'il travaillait sous couverture à la solde d'un sombre parrain colombien. Bien que totalement faux, Shorcut, amusé, entretenait le mythe.

 — Ne devrait-on pas ralentir, Capitaine ? s'inquiéta le second officier.  
 — Folklore ! avait crié Shortcut.