Défi lancé par Vague Abonde
Apnée meurtrière
Maître Bifidus, avocat de renom s'avança religieusement. Il déplia un papier devant lui, ajusta ses lunettes et lut.
"Mon cher mari,
Je t'écris cette lettre pour t'expliquer les véritables raisons de mon acte.
Par quoi commencer, mon amour ?
J'userais, si tu le veux bien, d'un langage imagé pour te faire comprendre les choses. J'espère qu'il te sera suffisamment familier et compréhensible toi le poète qui aime, à tes heures perdues, buller de longs moments devant trois papillons sur le devenir.
Depuis huit ans maintenant ô mon amour, chaque soir quand tu t'endors quelques minutes suffisent pour que la symphonie commence. D'abord un léger sifflement. Un peu comme une chambre à air percée sur laquelle on appuierait cruellement pour la vider au plus vite. Si on me donnait le pouvoir de voler je m'appuyerais sur ce vent puissant pour faire le tour de la chambre. Je n'aurais aucune peine à décoller et, quand je perdrais de l'altitude, ton divin Foehn viendrait soutenir mon aile, frêle, en ce soir mouvementé. Et puis, vers minuit et quart, ta bouche s'agrandit laissant échapper un son d'abord éolien presque apaisant mais bientôt impétueux et insolent ! Il cogne contre les murs à l'allure d'un chevalier frappant aveuglément devant lui, désespéré de perdre la bataille. Huit ans que j'entends tes grognements de sangliers avides de terres truffières. Huit ans à supporter, chaque nuit que Dieu fait, ton haleine fétide, tes pets vaporeux. Nos draps, trempés de cette fragrance nocturne capable d'insuffler, même dans les esprits les plus pacifiques des envies de meurtres, s'auréolent de honte.
Au revoir mon cher mari. "
L'avocat replia la lettre, observa un moment de silence et fut satisfait de la réaction des jurés dont l'opinion venait de basculer vers la peine la plus sévère.
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