Jour J +1

Samedi 28 mai.
L'école maternelle de La Chapelle-Saint-Ursin, transformée à l'occasion en salle de conférence, abritait une foule calme mais attentive. On était venu de la France entière se presser aux places les plus en vue et obtenir quelques autographes. Une radio locale et une équipe de France 3 Centre s'occupaient d'interviewer les participants et quelques badauds à la recherche d'une célébrité éphémère.
Un programme des plus riches avait été concocté. Vulgarisateurs, médecins, historiens et autres spécialistes avaient fait le déplacement et s'étaient assuré une belle tribune pour vendre quelques vieux ouvrages au contenu toujours d'actualité. Au pupitre, les orateurs se succédèrent. Les nouvelles étaient plutôt bonnes. Les salves d'applaudissements qui venaient couper les discours des uns et des autres en témoignaient. La fin de journée arriva vite. Les ombres dehors s'allongeaient, l'air se fit plus frais mais personne ne quitta la salle pour autant. On attendait l'intervention d'un éminent hématologue, le Docteur Mougeot, connu pour ses recherches pointues et régulièrement couronnées de succès. Après le passage d'une représentante d'une association de Moulins-sur-Yèvre, qu'on encouragea avec générosité, un long silence s'installa. Puis, on entendit craquer les marches de métal. Un vieil homme, en costume vert sombre usé sur la veste duquel pendaient une douzaine de médailles brillantes, le visage caché par un beret exagérément enfoncé, s'avança avec lenteur vers le centre de l'estrade. Un proposé ajusta le microphone à sa hauteur. On vit des pages noircies tenter de s'échapper du pupitre qu'une ventilation excessive tentait de disperser mais que le nonagénaire sut dompter. Couinement de micro :

 — Le sang a coulé, beaucoup trop coulé !

L'homme courbé par le temps, les membres vacillants et les yeux pétillants de réussite, harangua la foule avec toute l'énergie qu'il lui était donné d'avoir. Le poing levé, tremblant, toutes les valeurs humanistes, démocratiques et patriotiques qui inspirèrent le combat de la Résistance partirent vers un plafond métallique dont les banderoles colorées affichaient le thème de la journée : Journée nationale de l'hygiène menstruelle. La voix éraillée du Colonel Mogeault, vétéran de la seconde guerre mondiale, résonna un temps contre les parois de l'école soudain saisie d'un silence interrogateur.

 — Je vous le dis, le sang a beaucoup trop coulé ! Et nous n'en avons pas tiré leçon, insista le vieillard.

La veille, le vendredi 27 mai : Journée nationale de la Résistance.