Trou noir

 — Tire bon sang ! Tire !

Clark eut juste assez d'air pour crier l'ordre. Posté de l'autre côté de la rue, planqué dans un renfoncement qu'une giclée de magma avait creusé, Zeiv, l'artificier n'entendit rien. Toutes les trois secondes une masse en ébulition traversait la rue accompagnée d'un effroyable vacarme et de son cortège de corps balayés comme des fœtus de paille. Toutes les trois secondes c'était une déflagration puis immédiatement après, une chaleur intense, à vous faire éclater les poumons, qui pénétrait dans l'espace. Chaque décharge arrêtait net dans son élan toute tentative d'assaut. Un brouillard épais et chauffé à blanc s'était formé entre eux. Zeiv n'entendait rien, ne voyait rien et pourtant il attendait l'ordre. Deux hommes, côté Clark, se détachèrent, traversèrent la fournaise et disparurent dans cette poussière compacte à la recherche de Zeiv profitant d'une maigre accalmie. Une masse compacte de lave atomisa de nouveau la rue et le brouillard vomit les deux cadavres, carbonisés. Mauvaises synchro pensa Zeiv à côté de qui vinrent s'échouer quelques morceaux de ses camarades de combat. Mais c'était un signe. Il fallait y aller.
Pour tirer, il avait seulement trois secondes entre chaque charge dont une pour se découvrir et une autre pour viser cette masse déformée par la poussière en suspension. Il ne lui restait finalement qu'une misérable seconde pour appuyer sur la détente. Pas de place au doute, à l'hésitation ou à l'erreur. Malgré l'air brûlant il prit une grande inspiration, peut-être sa dernière, se mordit sa lèvre pour se concentrer, décompta et se dégagea du creux. Première seconde. Le viseur infrarouge se calla immédiatement sur l'ennemi. Deuxième seconde. Repéré, un laser, sortant du néant, se fixa sur son torse. Au loin il entendit la machine souffler. Un râle sourd. Elle a faim. S'il ne pressait pas la détente maintenant... D'abord un impact violent qui lui broirait la poitrine puis il finirait projeté comme une poupée au bout de ce champ de bataille, le corps brisé en mille morceaux ou tout simplement désintégré sous le choc. Troisième seconde. Il ferma les yeux.

Ils étaient tous à table. Les amis, la famille. Le soleil distribuait ses derniers rayons, avalé par l'horizon. Une brise d'été caressait les nuques tandis que montaient du fourneau les odeurs d'un repas qui faisaient saliver les invités. Les cordes d'une guitare enchantait l'air, entraînant chacun à murmurer la chanson. Les enfants, guère intéréssés par la nourriture, jouaient aux pieds des parents et leur cris joyeux ajoutaient à l'ambiance paisible. Tous se délectaient de la paix.

Le MXnu-72 avait fait son travail. La petite balle vint se loger au cœur de l'ennemi et la fission nucléaire s'exécuta tout de suite. D'abord un craquement. Puis un soupir agonisant et un gémissement mécanique. Enfin, un souffle inouï ravagea la rue et fit sortir Zeiv de son rêve. Des murs s'effondrèrent et, l'instant d'après, dans un mouvement inverse, tout fut aspiré. Les corps, les débris, la poussière, le bruit, la chaleur. Zeiv s'aggrippa. La rue se remplit aussitôt de silence. Plus aucun ronflement, ni cliquetis annonçant une nouvelle salve de projectiles explosifs. En son milieu à un mètre au dessus du sol, là où la machine ennemie se tenait il y a quelques secondes, un trou noir, aux larges bords flous, attendait tout objet à engloutir. Zeiv essuya d'un revers de main sa visière. Il dirigea son arme vers l'affamé, pressa de nouveau la détente. Le 72 émit un signal aigu et un voyant vert confirma la fin du processus.

De l'autre côté, trois hommes, les yeux écarquillés, sortirent de leur cache et, devant l'efficacité de leur nouvelle arme, lancèrent des regards admiratifs à Zeiv.

 — Maintenant ils savent, se rassura Clark.