histoire d'un bonhomme en bâton
Il était une fois, comme pour tous les contes, un jeune garçon d’un monde différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. Ce monde n’était constitué que d’une feuille gigantesque, où se bousculaient une multitude de dessins, ses habitants. Ils n’étaient pas si différents de nous, la plupart ressemblaient même à un humain lambda : Deux yeux, un nez, une bouche, deux bras et deux jambes. Certains avaient tout de même des signes qui les éloignaient de la normalité, comme des ailes ou encore des antennes. Ce monde étrange avait un fonctionnement bien à lui, car leur manière de donner la vie était tout autre. Chaque être, en mourant, disposait de quatre heures pour dessiner son successeur qui prendrait vie pour perpétuer sa lignée. Alors, durant toute leur existence, chaque être enchaînait les cours de dessin pour s’améliorer, et quand le moment viendrait, donner vie à la plus belle œuvre d’art. Tout ce petit monde ne tournait qu’autour de ça, le dessin.
Mais il était arrivé une fois, une unique fois, que le dessinateur ne réalise pas sa tâche et crée un simple bonhomme en bâton.
Depuis son enfance, le jeune garçon subissait des moqueries de la part de ses camarades et de tous les gens qui croisaient sa route. Il fallait en effet préciser que cette personne particulière aux yeux de la société aurait peut-être pu se fondre dans la masse si elle avait eu le même talent en dessin, mais ses mains réalisées à la va-vite ne lui permettaient que d’esquisser des gribouillis, sans quelconque signification.
Nous reprenons son histoire vers ses 13 ans, en plein milieu d’un cours de dessin aussi ennuyeux que les autres.
— Tout le travail est dans les mains. Plus vous réussirez les mains, plus votre successeur pourra lui aussi réussir son œuvre, déclara une Mona-Lisa parfaite, comme environ la moitié de la population.
Mais le garçon avait beau s’appliquer, sous le regard noir de sa professeure, et de sa classe, il ne parvenait à rien.
L’unique passe-temps du jeune garçon était ses visites quotidiennes à Rose, une grand-mère qui n’avait de vieux que son âge, toujours resplendissante avec son visage sans aucune ride, il fallait dire qu’un dessin ne pouvait pas vieillir. Cette dame était la seule qui veuille encore lui adresser la parole, et la seule qui savait qui était son ancêtre.
Ce jour-là, le garçon s’était résolu à l’interroger.
— Dites-moi en plus, je veux savoir qui il était, et pourquoi avoir gâché ainsi ma vie ?
— Gâcher ? Tu ne sais pas ce que tu dis mon enfant.
— Mais il aurait pu s’appliquer, ne serait-ce qu’un peu plus…
— Il l’aurait bien fait, l’avait coupé la plus âgée, s’il en avait été capable. Ton successeur, depuis tout petit, n’avait pas la même vision de la vie que les autres, le dessin ne l’intéressait pas, il ne pensait qu’à bondir et courir dans tous les sens. À partir de l’âge de 12 ans, il n’est plus jamais retourné en cours, préférant s’enfuir dans les montagnes. Il a passé sa vie à voyager, et quand je l’ai revu peu de temps avant sa mort, j’ai compris qu’il avait été le plus heureux de nous tous. Mais quand il est mort, il ne savait toujours pas dessiner, ce qui fait que ton apparence est celle-ci.
Le jeune garçon avait été sidéré par ses propos.
— Il est revenu la dernière fois pour me donner une dernière chose, avait-elle annoncé un sac à dos tendu vers le petit bonhomme, il voulait que tu l'aies.
Le petit garçon s’était saisi du sac, et avait remercié mille fois la vielle dame.
Et il était sorti de la chaumière, avait placé le sac sur les épaules et avait chuchoté :
— Les montagnes n’attendent plus que moi.
Avant de disparaître entre les arbres.
On raconte que dans un futur lointain, ce monde n’était plus constitué que de bonhommes en bâtons.
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