Fred continue à rouler comme possédé, il a coincé son précieux poison entre les deux sièges avant et continue à le boire par lampées. Les phares éclairent à peine la forêt silencieuse qu’il traverse. Je lui pique une cigarette dans son paquet de malboro, coincé dans la boîte à gant il m’en voudra pas, enfin il le verra pas.

“Hey Freddo ça te dirait pas de poser ton biberon ? , et de te garer sur le bas-côté, il est pas trop tard pour arrêter les conneries tu sais.

T’imagines la gueule des gamins si tu te plantes, tu les aimes tes petits bouts non?”

Bon il réponds pas, mais c’est pas comme si ça faisait 44 piges que je cause dans le vide, il écoute que quand il veut le bougre. Et là il semblerait que sa douleur le rende imperméable à mes conseils. J’allume la cigarette et pose mes pieds sur le tableau de bords, au moins il a bien voulu mettre sa ceinture le bougre. Merde mais c’est qu’il commence à piquer du nez mon client.

“Oh Freddy reste concentré sur la route merde !” dit-je en lui gueulant dans les oreilles.

Heureusement ça fait toujours son petit effet quand je hausse un peu le ton, ses paupières se rouvrent et son regard aviné refixe la route.

“Mets nous un peu de musique !, ça te réveillera mon grand, t’en penses quoi?”

Ah mon gamin recommence à m’écouter, il tourne le bouton de la radio jusqu’à obtenir un rock grésillant mais pêchu qui l’aide à se concentrer sur la route. Mais vu son état j’aimerai bien qu’il arrête tout simplement la caisse, mais il semble pas y être encore disposé. Réessayons quand même.

“Freeeed, mon beau, mon grand, mon vaillant, gare ta voiture je te prie, tu sais il y a plusieurs milliards de personnes sur terre et un paquet de belles qui pourraient convenir à ton jardin tu sais ?”

Ah ça l’a fait légèrement sourire, mais il secoue légèrement la tête.

“Ah gamin, je sais que tu me captes, mon grand, écoute-moi on bosse bien ensemble toi et moi nan? T’es pas le meilleur client que j’ai eu, mais j’taime bien, allez pose toi et on va retaper à deux ta vie. On a toujours réussi à s’en sortir à peu près non?.”

Il semblerait que Fred ait de nouveau fermé ses écoutilles, il accélère même le con, en plein virage.

‘“Fred ralentis bordel de merde !”

Mais c’est trop tard la voiture sort de la route et fait une embardée. La scène se déroule au ralentis, je vois bien qu’il allait appuyer sur le frein, mais ça m’attriste de finir comme ça cette histoire. Je tire une longue latte sur la marlboro, en regardant mon bébé du coin de l’oeil. Le regard surpris face à l’arbre qui se rapproche petit à petit il est en plein trip, c’est la fin et il le sait. Cette lueur dans le regard que vous avez à la toute fin, c’est comme un générique de série, peut-être même qu’il y a une dédicace à la fin. Freddy’s life feat Shaun, en petit caractère, si petit qu’on ne le voit qu’à la loupe sur la pellicule, dissimulé dans le D, de “The End”.

Une traînée d’alcool figé dans l’habitacle du véhicule, va se répandre sur le pare-brise, j’y trempe mon doigt et le porte à ma bouche, fameux mais est-ce que ça en valait le coup ?.

Je sors par la portière passager blasé, et m’éloigne de quelques pas, ah le générique arrive à sa fin et le temps va reprendre ses droits. Je détourne le regard, si c’est pas malheureux de voir ça.

Un horrible bruit de tôles froissées et verres brisées retentit, la musique s’arrête net. La séance arrive à son terme, seul le bruit du capot fumant encastré dans l’arbre et d’un pneu tournant légèrement dans le vide brise le silence.

Fred regarde l’arbre, point final de son histoire, les yeux exorbitées et la bouche en sang, c’est pas beau à voir. Je me rapproche de mon homme. La douleur semble indescriptible, son tic-tac résonne encore faiblement, je m’approche et pose ma main, sur son coeur pour en atténuer la douleur. Il me sourit paisiblement, c’est toujours à ce moment là qu’ils me voient.

“A plus beau gosse” dis-je tandis que ses yeux se ferment définitivement. Je quitte mon client et me remet en route, c’était un beau contrat, une fin prématurée certes. Mais pas de temps à perdre, je sens qu’on m'appelle pour un nouveau bail, alors Cindy c’est ça ?, tâchons de faire du beau boulot cette fois.