Un dimanche à la Campagne
— Donc tu es vraiment sérieux en disant qu’elle t’appartient ?
Il leur a fallu plus d’une heure de route pour se faufiler à travers les embouteillages du périphérique parisien et rejoindre la campagne profonde de la Seine-et-Marne. Comme la destination n’était pas répertoriée, ils ont dû emprunter la RN4, puis une route départementale sinueuse, en quête d’un étroit chemin de terre bordé de forêts denses.
D’un air saugrenu, Cédric regarde cette énorme bâtisse en pierre de taille, avec un toit en colombage orné de multiples cheminées. Les fenêtres, toutes fermées, donnent l’étrange impression d’observer quiconque s’approche d’un peu trop près.
On se sent tout de suite mal à l’aise devant une telle perspective : la maison est inutilement gigantesque et semble abandonnée, comme si personne n'était venu jusqu’ici depuis bien longtemps. Des nuages gris et menaçant flottant à basse altitude renforcent ce sentiment de mal-être.
— Tout à fait. C’est mon arrière-grand-père qui l’a achetée avec toutes ses économies. Elle est belle, hein ?
Parfois, il vaut mieux s'abstenir de répondre.
— C'était en 1929, juste avant le grand krach. Mes arrières-grands-parents étaient encore bien jeunes quand ils décidèrent de l'acquérir. Un véritable coup de cœur. La légende raconte qu’ils avaient su avant tout le monde que la bourse allait s'effondrer et que la pierre serait une valeur refuge…
Il n’écoute plus et regarde autour de lui. Jamais il n’aurait pensé que l’herbe puisse pousser aussi haut. Depuis combien de temps n’y a-t-il pas eu de visites, se demande-t-il. Puis, son regard se pose sur l’imposant escalier en pierre qui mène directement au premier étage de la maison.
— On peut rentrer à l'intérieur ?
— Pourquoi crois-tu que je t’ai fait venir jusqu’ici, gros bêta ?
Après un double tour de clef dans la serrure, un grincement strident retentit dans un silence à couper au couteau. La lourde porte en bois massif s’ouvre alors sur une pièce d’un noir opaque.
— Après toi, lui lance-t-il, en le poussant de la main à entrer dans la pièce
Instinctivement, il hésite à faire un pas à l’intérieur de la maison, comme s’il sentait un piège se refermer sur lui. Bien malgré lui, il fait un premier pas hésitant sur le parquet qui craque à chaque mouvement. Puis un deuxième. Et il atterrit ainsi au beau milieu de la pièce, drapé de l’obscurité ambiante de cet endroit inhospitalier.
A l’aide de la lumière de son téléphone, il tente de se repérer en essayant d’adapter sa vue au manque de luminosité.
Une première forme apparaît sur sa droite. Il s’agit d’une très longue table de banquet. En y regardant de plus près, il remarque des assiettes, couverts et plat de services éparpillés comme si un festin avait eu lieu il y a peu.
— C’est plutôt glauque, ici…On peut allumer au moins ? J’ai presque plus de batterie sur mon téléphone…
— Ca doit faire belle lurette qu’il n’y pas de courant ici !
Une deuxième forme apparaît sur sa gauche. Il s’agit cette fois d’une monumentale cheminée très profonde, en pierre et taillée à-même le mur. Un objet brisé qui semble trôner sur le rebord de la cheminée imposante attire son attention. Il s’agit d’un vieux peigne recouvert de poussière. L’étrangeté de sa présence, dans un endroit si ostensiblement abandonné, le troubla.
Il s’approche et remarque plusieurs bûches, toujours présentes dans l'insert. Il discerne une légère fumée blanchâtre s’échapper, mais le temps qu’il projette le faisceau de lumière de son téléphone, celle-ci semble avoir disparu.
— Bizarre se dit-il, j’aurai juré que la cheminée fume encore, marmonna Cédric
— De quoi ? lui lança son ami, sur un ton officiel, presque trop sérieux
Puis, son regard s’attarda sur un mur. Sous la fine couche de poussière, il lui sembla voir des fissures dans le ciment, comme si celui-ci avait cédé à plusieurs reprises sous des attaques répétées.
— Rien, rien….dit-il alors qu’il passait devant un miroir dont la taille est à la mesure de tout ce qui se trouve dans cette maison gigantesque. Le miroir est partiellement teinté et arbore une épaisseur de poussière qui déforme son reflet. Il s’attarde à admirer les ornements de l’épais cadre en bois entourant la glace lorsque tout à coup, le reflet de quelque chose semble bouger derrière lui.
Son corps est en franche opposition : il tremble et sent sa gorge se nouer mais il se force à regarder de plus près le miroir. Après quelques secondes qui semblent durer une éternité, il se rassure en ne voyant rien bouger. Un jeu d’ombre se dit-il. Il aurait pourtant juré voir une silhouette passer furtivement derrière lui.
— Tout va bien ? demanda son compagnon, déjà à l’autre bout de la pièce.
— Oui, oui… répondit Cédric, la voix moins assurée qu’il l’aurait voulu.
Mais alors qu’il détournait les yeux du miroir, il l’entendit. Une voix. Faible, presque imperceptible, comme un murmure porté par le vent :
— Tu n’aurais pas dû venir.
Cédric se retourna brusquement. Rien. Pas un mouvement, pas un bruit. Son compagnon le regardait maintenant avec un sourire étrange.
— Allez, on monte à l’étage. Je vais te montrer le reste.
Cédric hocha la tête, bien qu’un frisson glacial lui parcourût l’échine. Et alors qu’il le suivait, il ne put s’empêcher de jeter un dernier coup d’œil au miroir.
Cette fois, ce n’était plus une ombre qu’il voyait, mais son propre reflet. Immobile. Et pourtant, il avait les yeux rivés sur lui, comme s’il l’observait… avec un sourire qui n’était pas le sien.
— Avec effroi, il regarde son téléphone et remarque qu’il ne lui reste plus qu' un pourcentage de batterie.
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