The box
Ce matin là, après une pénible nuit de tempête et de cauchemars, en allant chercher le courrier, je trouvai une boîte sur la paillasse de l'entrée. Un carton à chaussure noir et trempé.
Du bout des doigts, je le pris - il ne pesait rien - et je l'examinai.
Aucun motif, aucun logo, aucune inscription ne troublait l’uniformité de sa couleur. Aucun mot ne l’accompagnait. Je le secouai doucement près de l’oreille. Pas un bruit.
Perplexe, je rentrai avec l'objet, le posai dans la cuisine et fis du café.
Je pensai - à cause de l'absence de mention d'expéditeur et de destinataire - que le colis n'avait été livré ni par la poste ni par aucun autre service de livraison. Un individu avait bravé l'orage et - peut-être - la nuit juste pour venir le déposer. Pourquoi?
Lorsque mon épouse descendit je lui versai une tasse et interrogeai ses yeux touts embrouillés. "Tu as commandé quelque chose sur Internet?", dis-je, tout à trac, en montrant la boîte. Elle bailla et me répondit laconiquement "non". Et après quelques instants : "Qu'est ce que c'est?". "Je ne sais pas", répondis-je, perdu dans mes pensées. "Ouvre, on verra bien". La logique même. Cependant, sur le point d'obéir, je m'arrêtai. Je songeai à la nouvelle "Le jeu du bouton" de Richard Matheson dans laquelle un couple reçoit une étrange boîte contenant un funeste bouton. "N'importe quoi" me dis-je silencieusement en secouant la tête et je soulevai le couvercle. Une surface sombre. Vide, elle était vide. Je lui fis voir, elle haussa les épaules et nous restâmes sur cette énigme.
Un peu plus tard, vers dix heures, tandis que je sortais mon border collie, un vieil homme m’accosta sur le pas de ma porte : « Bonjour, je me nomme Schrödinger, n’auriez-vous pas vu mon chat ? ». Je lui répondis non et le laissai-là.
Au retour de la promenade, un gamin était assis sur la première marche du perron. Me voyant approcher, il se leva, me toisa un instant et me lança : « L’avez-vous ouverte ? ». Surpris, je hochai la tête. Il prit un air désolé et soupira : « Oh non, vous n’auriez pas du… vous avez laissé filer le mystère… ». Il me planta ainsi.
« Non mais tu as vu ? », fis-je des yeux à mon chien. Il sauta sur mes cuisses et mit sa truffe dans ma main, me quémandant une caresse. Je la lui donnai.
Quelque part, une grosse voix grave s’éleva, comme pour répondre à mon interrogation muette : « C’est l’espoir que vous avez laissé filer ! ». Je me tournai. Un homme se tenait de l’autre coté de la rue et il me fixait furieusement. A sa droite, se trouvait le garçon, tout aussi colère. « Inconscient ! », me cracha-t-il. Ne comprenant pas mais me sentant pourtant écrasé par leurs accusations, je gagnai, coupable, mon domicile. Je me réfugiai derrière l’huis, me collai à lui et attendis, guettai, fébrilement leur départ. Un indistinct « Notre futur… non, ton futur… par cet imbécile… » me parvint encore. Puis un moteur s’emballa et ce fut tout. J’entrebâillai la porte afin de m’assurer qu’ils soient bien partis. Et en effet, il n’y avait plus personne en face. Je soufflai. Cependant je remarquai une feuille blanche à terre. Une note. Il était écrit : « Dans cette boîte se trouvait la vie, un monde, notre monde ! ».
Je fermai lorsque ma compagne m'appela, inquiète : « Luc, peux-tu venir au salon ? ». Je libérai le chien, et la rejoignis. Elle était debout à coté du combiné téléphonique. « Il y a quelque chose de bizarre qui se passe. », me dit-elle. J'étais bien d'accord. « Pendant que tu es parti, on nous a téléphoné sur le fixe. Quand j'ai décroché, une femme m'a reproché d'avoir ouvert cette boîte. Elle m'a dit quelque chose de bizarre, qu'à cause de nous les rêves avaient filé. J'ai raccroché bien sûr, ce n'avait pas de sens, mais quelques temps plus tard elle a rappelé. ». « C'était une femme ? », l'interrompis-je, surpris. « Oui. Et elle a continué sur le même registre délirant. La vie, le hasard, la mort et je ne me souviens plus combien d'autres choses qui se seraient carapatés de ce foutu carton ! Je ne parvenais pas à en placer une. J'ai à nouveau raccroché et je n'ai plus répondu. Et pourtant cela a encore sonné pendant longtemps encore. Cela s'est seulement arrêté il y a peu.». « Faut que je te raconte ce qui m'est... », tentai-je de lui dire lorsqu'un bruit strident me coupa. Nous nous regardâmes. La sonnette. Un deuxième coup vrilla l'air. Longuement. « Tu y vas ? ». J'hésitai et je tentai un timide « Nous ? ». Un troisième appel nous décida. Nous allâmes ouvrir.
« Bonjour, je m’appelle Pandore. », nous salua une jeune fille en jean et en chemise de bûcheron. « Je suis venue vous dire que le monde s'achève avec vous. Que de votre faute c'est la fin du monde ! ». Je lui claquai la porte au nez avant qu'elle n'ait pu ajouter quoique ce soit. Pris d'une incontrôlable rage, je me précipitai à la cuisine, saisis la maudite boite par les coté et la déchirai. Le sol et le toit se rompirent. Une formidable faille cisailla les murs. Toute la pièce, non, toute la maison trembla. Terrorisé, mon border collie courut se mettre entre mes jambes. J'arrachai un autre morceau. Une partie de la pièce explosa. Une conduite d'eau éclata, des débris volèrent dans toutes les directions. Miraculeusement aucuns d'entre eux ne m'atteignit. Je parvins à déchiqueter cette satanée boîte à chaussure en encore une dizaine de morceaux avant qu' un abîme s'ouvre sous mes pieds et que je tombe.
« Tous les êtres vivants, sans aucune exception, sont des boîtes vides », entendis-je en m'éveillant sur une surface froide. Dans mon champ de vision, deux formes floues se penchaient au-dessus de moi. « Ha, il se réveille ! Cher monsieur, nous sommes ici, mon collègue et moi, en pleine interrogation. Si vous vouliez avoir l'obligeance de nous aider. Nous nous demandons que vous mettre.». Je baissai les yeux afin de voir ce qu'ils scrutaient avec tant d'attention. Je vis, avec horreur, ma cage thoracique ouverte. Elle semblait vide, je ne voyais qu'un grand espace sombre. « Que voudriez-vous que l'on mette dans votre boîte noire ? Des souvenirs ? De l'expérience ? Des émotions ? Des entrailles ? Des viscères ? Des circuits ? Du métal ? ». Je retombai dans l'inconscience.
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