Réponse à "Détournement" (Nouvelle Terminée)

de Image de profil de Julien NeuvilleJulien Neuville

Avec le soutien de  Fred Larsen, J. Atarashi, docno, MAZARIA 
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Image de couverture de Réponse à "Détournement" (Nouvelle Terminée)

Brrrrrrrrrrrrrrr...

...rrôrrrrôrrrr...

— Oh merde! Allez, continue!

Victor enfonçait rageusement la pédale d'accélération, sans résultat. La vieille Carrera hoquetait toujours, et son moteur peinait, à l'évidence. La panne la plus banale et la plus facile à éviter allait se produire. Il avait espéré tenir jusqu'au bout, mais sans essence une voiture a beaucoup de mal à avancer, fut-elle une Porsche. Il restait presque un quart du réservoir au départ de Pithiviers mais là, l'aiguille fatale était plus basse que le rouge, à la limite du négatif, et le voyant orange avait depuis longtemps cessé de clignoter. À vrai dire, il était allumé depuis 40 minutes. Dans quelques instants, sa princesse du bitume allait tomber en panne sèche et...

— Et la prochaine station est à plus de trente...

Il s'interrompit brusquement et freina des deux pieds sur la pédale. Le bolide s'arrêta dans un crissement de pneus et deux lignes de fumée. Victor connaissait cette route par

mais qu'est-ce que c'est que...

cœur. Il la prenait toutes les semaines depuis deux ans. Il en aurait négocié tous les virages, toutes les épingles à cheveux, tous les

...une station ici ?

paysages, tous les villages, les yeux fermés. Et il connaissait l'emplacement de toutes les stations-essence. Sauf celle qu'il venait d'apercevoir du coin de l'œil. Si c'en était bien une.

Il regarda dans le rétroviseur et n'en revint pas. Il y avait effectivement une station ici. Elle se dressait majestueusement, symbole de providence. Il se retourna pour mieux la voir, dans un grincement de cuir sur le siège.

Elle paraissait neuve, et comportait

...ça ressemble pas à...

un détail insolite: elle était couverte.

Sans doute une nouveauté.

— Oh comme tu es jolie..., dit Victor tout en faisant demi-tour.

Il se trouvait sur une grande nationale, et fut étonné qu'aucune voiture ne lui soit rentré dedans lors de son freinage en catastrophe.

La station était énorme, mais sa construction étrange. Elle était composée d'un seul bloc, et comme elle était couverte, on ne voyait ni les pompes, ni les Kärchers, ni la mini épicerie dans laquelle payer, achetant à l'occasion quelques bricoles. On y entrait par une grande porte coulissante, comme dans les supermarchés, par un système infrarouge. Au dessus s'étendait un large panneau lumineux, sur lequel on pouvait lire:

BIENVENUE A LA NOUVELLE STATION ESSENCE-ESSORAGE COUVERTE. POMPES, PRESSION DES PNEUS, ROULEAUX, KÄRCHERS

Essence-essorage ?

Les prix indicatifs étaient affichés sur le côté parallèle à la route, au dessus d'une grande affiche représentant la station. On y voyait des voitures à l'arrêt est des gens faisant le plein, d'autres regonflant leurs pneus, et l'arrière d'une voiture qui dépassait des rouleaux de lavage. Tout le monde souriait, même les véhicules semblaient se complaire dans cette station. Néanmoins, cette affiche lui donnait une impression de malaise. Bien que le design fut apparemment récent, les couleurs ternes, ainsi que les personnages, ne lui inspiraient pas confiance. Les clients représentés semblaient neutres, inactifs.

Ils n'ont pas encore eu le temps de fignoler les...

La Carrera pénétra dans le bâtiment en hoquetant, puis la porte se referma lentement dans son dos. Devant Victor se trouvaient huit pompes à essence rutilantes, et à sa droite les rouleaux. Karchers et pressions étaient alignés à gauche. Au fond s'étendait le petit magasin, dont on ne pouvait distinguer l'intérieur derrière les vitres légèrement fumées.

Dès qu'il entra, quelque chose attira son regard : un écran digital électronique sur une des vitres de la caisse. Sur cet écran brillait d'une teinte rouge vif un nombre: 124.

Victor réfléchit quelques instants. Ce n'était pas l'heure, ni la date. La température en Fahrenheit ? Il n'en avait pas la moindre idée. Et pas le temps de s'attarder sur la question.

Il s'arrêta à la hauteur de la pompe n°2, puis coupa le moteur de la princesse.

Lorsqu'il ouvrit la portière, l'atmosphère le saisit. Mélange d'essence et de renfermé, l'odeur nauséabonde étourdit Victor quelques secondes. Il secoua la tête et reprit ses esprits, puis ouvrit le petit volet et décapuchona son réservoir. La pompe était semblable à toutes les pompes. De ce côté-là, aucun changement.

Il prit la poignée du tuyau, l'introduisit dans le réservoir, et appuya à fond. Il se produisit un bruit de moteur, et les chiffres commencèrent à défiler. Avec une déconcertante lenteur. Victor en profita pour mieux regarder autour de lui.

Une voiture était arrêtée à sa droite, et une jeune fille au teint mat, brune et mignonne dans son jean délavé, faisait elle aussi le plein. Elle lui adressa un sourire enchanteur, que Victor lui rendit, une petite pensée agréable en tête. Puis il baissa timidement les yeux, qui se posèrent sur son alliance. Son sourire s'évanouit.

Le tuyau de la jeune fille vibrait assez rapidement, dans un ronronnement inquiétant, comme un chat avec une souris entre ses pattes. C'est à cet instant que Victor remarqua quelque chose qu'il aurait pu voir

un serpent ?

depuis longtemps déjà, s'il n'avait été attiré par les grands yeux châtain de la fille : le tuyau semblait

camouflé

changer de couleur. Sur le plastique noir se formaient des taches verdâtres. Victor en restait bouche bée. Avant qu'il n'ait pu faire ou dire quoi que ce soit, le tuyau se mit à onduler de haut en bas. La jeune fille se tourna pour voir ce qui s'agitait derrière elle, mais déjà la poignée chromée se détachait de sa main, avant de s'enrouler autour de son bras. Puis ce serpent de plastique s'entoura

mon dieu elle est comme la souris...

autour du cou de sa proie, et la fille commença à tirer la langue. De façon absurde, elle était ainsi plus désirable que jamais, ses grands yeux marron ouverts comme deux fleurs, et sa langue brillante sur des lèvres charnues, pleines. Bientôt, elle rougit et son visage sembla se gonfler sous l'effet de la pression. Elle tenta vainement de se libérer de l'emprise, puis ses yeux se révulsèrent et de ses douces narines jaillit un sang presque noir, qui souilla rapidement son T-Shirt blanc, masquant l'inscription " Amen...ton cœur".

Puis ses bras se détendirent. Elle ferma les yeux. S'endormit. Ses jambes ployèrent sous elle. Elle resta pendue ainsi, au bout du tuyau qui flottait seul dans le vide. Tout cela, en quelques secondes. Victor n'avait pas eu le temps de faire le moindre mouvement. L'absurdité, le manque de raison étaient trop importants pour que ses muscles réagissent.

Victor perçut soudain un énorme vacarme à sa gauche, et tourna la tête, la bouche entrouverte.

L’arrière d’une BMW Série 3 bleue dépassait des rouleaux de lavage, qui se mirent en marche. Le conducteur, la cinquantaine, était affairé sur son téléphone portable, pendant que sa voiture avançait lentement sur les rails. Réfrénant un hoquet de surprise, Victor remarqua à cet instant les lames. Entre les longs poils verts de chaque rouleau, comme de longues épées acérées. Il se précipita en direction du véhicule, mais trop tard. Les rouleaux, au contact du capot, se mirent à déchiqueter la carrosserie qui hurla dans un assourdissant grincement.

Le gros conducteur sursauta en laissant tomber son téléphone à terre, le sexto qu’il écrivait arrêté sur le mot cochonne.

Les lames atteignirent le pare-brise, qui éclata en milliers de particules entremêlées de plastique. Le conducteur, dans un geste absurde, leva les mains en l’air pour se protéger, en vain. Les lames n’en firent qu’une bouchée sanglante. Victor eut juste le temps de distinguer une grosse montre en or pendouiller sur un moignon, avant que le reste de la voiture ne soit englouti sous la barre horizontale. Il crut entendre un hurlement suivi d’un gargouillis, sans en être tout à fait certain tant la machine grinçait.

Il fit demi-tour et courut vers les portes en verre, lorsque sa cheville fut percutée par quelque chose. Il s’étala de tout son long, les mains en avant, se heurtant les genoux sur le bitume. Il tourna la tête : le tuyau de Diesel était entouré autour de sa jambe. Les portes s’ouvrirent, suivies immédiatement des pulsations d’un rap vibrant qui faisait trembler une Peugeot 308 tuning, qui s’arrêta brutalement à côté de la petite station de gonflage. Le conducteur n’avait même pas vu Victor à terre.

Il sortit de sa caisse comme un diable d’une boîte, et attrapa le tuyau de gonflage d’une main rageuse. Ses lunettes de soleil aviateur paraissaient lui manger le visage tant elles étaient grandes. Il eut à peine le temps de s’accroupir que l’embout métallique jaillit et lui entra dans la gorge.

Victor tenta de se relever, mais trébucha de nouveau, tiré en arrière par le serpent de plastique.

Le type se tordait contre sa portière, tentant maladroitement de dégager le tuyau de sa gorge. Il marcha quelques instants, se débattant avec, pour se retrouver à genoux, devant sa voiture. Victor vit le ventre de l’homme gonfler, puis entendit un claquement comme un ballon qui éclate dans une autre pièce.

Mon Dieu, c’est son estomac…

L’homme ouvrit les yeux en grand, juste avant que du sang n'en jaillisse et ne coule le long du tuyau d’air.

Victor se tourna vers le serpent, puis leva la tête.

En cas de problème, appuyez sur le bouton.

Il tendit un bras, et parvint à enfoncer le bouton rouge situé à côté du terminal de carte bancaire. Le serpent s’enroula d’un tour supplémentaire autour de sa jambe, avant de le soulever comme un vulgaire mulot.

Il sentit le sol se dérober, et un instant plus tard, il flottait en l’air, maintenu par un simple tuyau de plastique.

— Oui, vous avez appelé ?

Il tourna la tête vers un homme au teint cireux, dont la casquette masquait les yeux sous une grande ombre dense.

— Ai…aidez-moi.

— Hmm.

Le type

ce n’est pas un type, Victor. C’est…

sortit la main de sa poche et porta une cigarette à ses lèvres, puis leva l’autre de façon à ce que Victor la voie. Elle tenait une allumette, qu’il gratta sur sa joue. Le crissement, pareil à du papier de verre, embrasa le souffre. Il tira longuement sur sa cigarette, allumant un anneau rougeoyant. Mais ce que Victor vit, à peine éclairées par la flamme vacillante, ce furent les dents. Des dents pointues, sous des yeux d’un rouge profond.

— Vous…je vous en prie, ne…

Le type eut un sourire dément, et recula de quelques pas en secouant l’allumette, qui s’éteignit dans un volute noir.

À cet instant, Victor sentit son pantalon, collé à sa peau, trempé. Le serpent avait ouvert les vannes. Bientôt, une flaque commença à se former au sol.

Le type donna un coup de menton, et le serpent desserra son étreinte, laissant Victor retomber sur le sol.

— Merci…je…

Le mégot fit trois tours en l’air, avant de retomber.

Il n’entendit qu’un gigantesque woof, et puis ce ne fut plus qu’une lumière intense, qui dansait en arabesques dorées sur la carrosserie de sa princesse.

Derrière lui, le cadran lumineux trembla, puis afficha : 128.

HorreurFantastique
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1 chapitre de 8 minutes
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Table des matières

En réponse au défi

Détournement

Lancé par Julien Neuville

Salut à tous !

Pour ce défi, vous devez écrire une nouvelle qui détourne un objet du quotidien !

Exemple: une banane à voyager dans le temps, un bloc-notes fantôme... c'est vous qui voyez !

Drôle, triste, effrayante, peu importe !

À vos inspirations che(è)r(e)s scribayen(ne)s !

Commentaires & Discussions

ESSO-RAGEChapitre14 messages | 2 ans

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