La nuit de Djenné
Nous sommes là. Affalés à l’ombre, sur la terrasse du campement, à nous gaver de sucreries, nom délicat et évocateur donné aux sodas. La route a été longue, 600 kms de goudrons et de pistes depuis Bamako, les villages traversés prudemment, une halte à Ségou et ses vestiges croulants d’un colonialisme désuet, une chèvre écrasée, elles sont tellement imprévisibles ces biquettes ! La traversée du Bani et puis Djenné qui se devine au bout de la piste. Comme un rêve de la terre d’ici, surgi, érigé autant qu’enraciné. Masse d’ocre clair se découpant sur fond bleu. Petit à petit les découpes de la mosquée couronnent la silhouette de la ville, la signent. Autant que cet arbre unique, incongru qui agite si haut sa tête de palmes.
John Travolta, nom de guerre gagné de haute lutte par ce danseur magnifique, nous rejoint. La nuit tombe brutalement, dans un flamboiement d’un instant qui magnifie la ville. La rupture du jour. Nuit de Ramadan. John nous invite, d’un mot dont la pudeur dit la valeur, à venir chez lui, prendre le thé. Chez lui, au cœur de Djenné.
Nous nous engageons dans l’entrelacs des ruelles étroites que la lune presque pleine, seul lampadaire de Djenné, peine à éclairer. L’urgence est de rester en file indienne, de ne pas perdre celui qui nous précède, le premier ayant pour mission de ne pas perdre John de vue ! Très vite nos repères s’affolent et s’effacent. Djenné et l’Afrique nous offrent les leurs. Déroutants, envoutants.
Les ombres, surgies de nulle part qui nous frôlent, curieuses, amicales. Surprenantes aussi quand il s’agit d’enfants qui viennent nous toucher, toucher la pâleur de nos mains, la blondeur de Cécile et qui rient, rient tellement ! Les sons, les bruits venus de partout et qui brouillent l’espace, renchérissent sur la légèreté de l’air et racontent la vie invisible, du martellement des artisans encore au travail, aux cris des enfants s’appelant pour se divertir du spectacle de notre embarras avec des « Toubabs, toubabs » auxquels répond le « ouba, ouba » d’un tout petit sachant à peine marcher et parler… Et puis le you you joyeux de jeunes filles parce que c’est veille de mariage et les rires, les rires à décrocher les mangues …
Nous nous engouffrons dans la maison de John par une belle et solide porte basse, longeons des couloirs, contournons des femmes accroupies devant un feu, des hommes endormis, des enfants. L’accueil est chaleureux et discret… une volée de marches creusées à même le mur et nous sommes sur les terrasses. Sur les toits de Djenné baignés par la douceur de la lune. La ville s’offre, s’étend à nos pieds, sous nos yeux, arrangement complexe de cubes et de rectangles encastrés … L’air est léger, les bruits appartiennent à un autre monde, celui d’en bas et nous arrivent étouffés, comme un témoignage nous invitant à savourer l’instant.
John nous rejoint, en djellaba, calme, sérieux, il prépare le thé avec des gestes lents, précis. Moment de magie dont la sérénité donne un aperçu de l’éternité. Nous buvons sans un mot les trois thés rituels, ceux qui racontent le chemin à l’envers qui est l’essence de la sagesse : le premier, fort comme la mort ; le second, amer comme la vie et le troisième doux comme l’amour.
En hommage à Djenné et aux maliens auxquels je pense souvent en espérant qu'ils sauront puiser dans leurs racines les ressorts de leur résilience
Annotations
Versions