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NDA : Comme dit précédemment, je ne publie ici que les trois premiers chapitres, la suite est disponible sur amazon, le lien est dans ma bio.

Cher papa Noël,

Pour Noël, je veux que papa et maman viennent me chercher.

Madame Madison dit que j’ai été trop vilain pour avoir un cadeau. Mais promis, promis, promis, je serai sage avec papa et maman.

Gros bisous

Willem

Au début, le petit son demeura lointain, à la limite de l’audible. Puis, tous purent le percevoir de plus en plus distinctement. Willem vit ses collègues lever le nez de la chaîne de tri et la plupart sourirent comme des enfants. Lui sentit une énorme boule se faufiler le long de sa gorge et y rester. Le son des grelots s’amplifia et la musique commença, solennelle. Le premier couplet lui donna la nausée. Mais le pire fut le refrain.

Petit Papa Noël

Quand tu descendras du ciel…

Tu te prendras un coup de pied pour y retourner ! pensa Will en quittant son poste de travail d’un pas résolu. Il s’approcha de l’enceinte, arracha l’alimentation d’un coup sec et le « n’oublie pas tes petits souliers » se transforma en un larsen indigné.

« Will ! cria Badia.

– Tu fêtes même pas Noël, toi, alors va visiter une catacombe !

– Ça ne m’empêche pas d’aimer la musique, se défendit sa collègue.

­– C’est pas de la musique, c’est de la torture.

– Oh, arrête un peu ton cinéma ! »

Will fixa Badia quelques secondes, mais il devait se rendre à l’évidence, il n’était pas impressionnant. Il avait atteint péniblement le mètre soixante-dix et malgré quatre années à soulever des colis, ses muscles refusaient de prendre de l’ampleur. Il ne lui restait que son mauvais caractère pour faire peur. Au moins, il en avait à revendre.

Chaque année, on lui cassait les pieds de plus en plus tôt avec cette fête. Et Noël par-ci, et Noël par-là, et allez-vous mettre un grelot sur le nez et des marrons dans le fondement dans la joie et la bonne humeur ! Mince alors, bientôt, on essaierait de lui fourguer un sapin en août et une dinde en septembre !

« Si encore on était en décembre, je ne dirais rien, mais rappelez-moi quel jour on est ? »

Il attrapa le tampon-dateur et prit ses autres collègues à témoin :

« On est le trois novembre ! No-vem-bre ! insista-t-il en articulant. Conclusion : on me fout la paix avec Noël ! Je suis pas encore prêt à être heureux, souriant et dégoulinant d’esprit fraternel ! J’aime mon prochain, mais de loin, de très loin !

– Laisse-nous au moins de la musique, protesta Badia. »

Will rebrancha l’appareil et tourna le bouton pour changer de station.

Mon beau sapin, roi des forêts…

Oui, et bien, une petite tronçonneuse, et il fera moins le malin, le roi.

Douce nuit, sainte nuit…

Willem ricana, l’une de ces nuits avait été d’une douceur moite, pour la sainteté par contre, c’était pas vraiment ça. Le souvenir se teinta d’amertume et il tourna plusieurs fois le bouton, sentant son cœur entier se serrer. N’y avait-il pas une seule station de radio qui n’avait pas déjà succombé ?

Ho ! Ho ! Ho ! Hé oui, Mesdames, messieurs, il est l’heure de sortir un beau papier et d’écrire, pour vous et vos charmants bambins, tous vos souhaits. Nous comptons sur nos diligents facteurs pour apporter au père Noël tous nos vœux les plus chers. Et surtout, n’oubliez pas que le père Noël sait tout ce qu’il y a dans votre petit cœur et…

Will éteignit la radio et regagna son poste de travail, sous le regard furieux de Badia. Il attrapa un tas de lettres et les fourra dans un sac. Quelques paillettes brillantes s’échappèrent des plis entassés et flottèrent avec une allégresse menaçante dans l’air.

Oh non, non, non ! pensa Willem.

Oh oui, oui, oui ! semblèrent répondre les paillettes de Noël en se collant à sa peau et en se glissant le long de son cou.

Saloperies ! Elles commencèrent à le démanger et à le gratter comme si une centaine de moustiques s’étaient acharnés sur lui. Il attrapa le sac et alla le poser sur le tas déjà bien conséquent ayant pour seul destinataire le père Noël. Mais pourquoi tous ces naïfs décérébrés lui écrivaient-ils ? Ils s’attendaient à quoi ? S’ils voulaient des cadeaux, ils n’avaient qu’à se les acheter !

Willem savait qu’il y avait une différence entre s’acheter quelque chose et recevoir un présent. Mais il ne voulut pas s’attarder sur l’idée et reprit son travail en tentant d’ignorer les démangeaisons. Le son des grelots résonna encore dans ses oreilles, les particules brillantes refusèrent de quitter son corps malgré ses nombreux frottements. Ce n’était pas lui qui n’aimait pas Noël, c’était Noël qui déclenchait les hostilités, avec sa musique et ses paillettes, pas lui. Et non, ce n’était absolument pas une réflexion de gamin de quatre ans, pas du tout.

* * *

Willem tamponna la dernière pile de lettres d’un mouvement rageur. Il avait perdu contre Badia qui s’était liguée à Micheline, leur collègue ascendant plante verte, puis à Célestin, leur chef, pour remettre la musique. Après cent quatre-vingts réclames pour des jouets, cent-douze pour le dernier robot batteur-mixeur-cuiseur, dix-huit chansons et deux-cent-trente-quatre Ho Ho Ho, Willem se sentait d’humeur à torturer l’esprit de Noël, lentement, avec une boite de cure-dents. Et accessoirement à acheter ce foutu robot, son cerveau était vraiment faible !

Il n’eut pas le temps de dépointer à la fin de son service, son chef lui bondit dessus.

« Félicitations, Willem, tu pars en tournée ! annonça Célestin comme s’il avait gagné un voyage dans les Caraïbes.

– Quoi ? Mais je viens de me taper huit heures de tri !

– Loan a pris sa journée, expliqua le chef de l’équipe de nuit.

– Encore ? »

Will frotta ses mains puis alla se gratter le cou, il avait l’impression d’être recouvert de paillettes à ce stade. Il voulait se doucher avant que ces saloperies s’incrustent de partout. À Noël dernier, il avait fini par en retrouver dans son slip ! Et même si son slip avait une certaine propension à se montrer plutôt libéré par rapport à qui pouvait se glisser dedans, Willem avait des limites.

« Il est encore parti chercher un timbre à l’autre bout du pays, c’est ça ? demanda-t-il. »

Son collègue Loan était un collectionneur acharné et n’hésitait pas à traverser la moitié du pays pour acheter un timbre qu’il pensait unique.

« Oui, un timbre de No…

– Stop ! Non, pas Noël. On lui rappelle que la poste existe ou pas ? »

Célestin eut un sourire moqueur.

« Il n’a pas confiance dans ces gars qui trient les lettres n’importe comment, il a peur que ses précieux timbres de collection se retrouvent à Oulan-Bator !

– Hé, c’est arrivé qu’une fois ! Tout le monde fait des erreurs !

– Oulan-Bator ! répéta Célestin.

– Oui, ben, ce serait impressionnant si je savais seulement où c’est ! »

Sur un rire, son chef s’écarta et le laissa contempler les sacs de lettres et la pile de cartons de toutes tailles à livrer. Et il y avait deux fois plus de colis qu’à l’accoutumée.

« Je déteste cette foutue période ! s’exclama-t-il. »

Badia passa fort à propos et lui colla un petit sapin en pain d’épice recouvert de glaçage sucré dans la bouche. Le biscuit fondit sur sa langue avec délice.

« On est au courant, Will, dit-elle gentiment. »

Puis elle se tourna vers les hautes fenêtres de l’entrepôt.

« Je me demande s’il ne va pas neiger. J’espère que t’as une grosse veste. »

Mâchonnant son pain d’épice, Willem ne put que laisser échapper un gémissement accablé.

* * *

Willem cercla le tronc de ses deux bras et enfouit son visage dans l’écorce. Elle était rugueuse, froide, mais une odeur de sève endormie flottait encore.

« Tout va bien, tu sais, c’est seulement l’hiver, murmura-t-il en levant les yeux vers les branchages. »

Ils s’agitèrent en réponse, minces et dépourvus de feuilles.

« Ouais, l’hiver, le givre, le froid, la neige et tous les autres emmerdeurs ! s’amusa-t-il. Prends soin de toi, ok ! »

Les branches se courbèrent une nouvelle fois et dansèrent dans la lumière.

« Bien sûr que tu continues à te méfier des sapins ! T’as vraiment envie de frayer avec des gars qui changent jamais de feuillage ? »

Willem explosa de rire, lâcha doucement l’écorce en laissant glisser ses mains dessus. Il s’écarta pour reprendre son vélo abandonné à quelques mètres de là. Il le poussa pour sortir de la cour de l’immeuble et l’enfourcha. Il se lança d’un bon coup de pédale et laissa le vent s’engouffrer dans ses vêtements, faisant voler les pans de sa veste. Il prit la dernière descente avant le centre postal et sentit une brise s’insinuer sur son corps et se faire caressante. Elle se glissa sous son tee-shirt et effleura le bas de son dos, puis s’introduisit à l’endroit où son pantalon bâillait pour taquiner le haut de ses fesses.

« Hé, du calme, Monsieur le Vent, un peu plus et on frôle l’attentat à la pudeur, là ! »

Sa capuche se souleva, claqua comme un ricanement à son oreille, et la caresse cessa. Pour reprendre de plus belle de l’autre côté de la rue, dans une montée ardue. Il eut l’impression de sentir des larges mains englober ses épaules pour le faire avancer et l’amener sur le plat. Là, il reposa les pieds sur les pédales et les fit tourner sans aucun effort, le vent le poussant toujours.

Il arriva enfin en vue du bureau de poste, ralentit et serra les freins. La petite carriole qu’il tractait s’immobilisa dans un crissement. Le vent s’arrêta. Will perdit les caresses contre son corps et la sensation de liberté qu’elles lui procuraient. Il râlait à chaque fois qu’il devait faire une tournée, mais il adorait ça, bien plus que trier les lettres et les colis. Pourtant, il préférait travailler ainsi. Son cerveau avait tendance à vouloir fuir lorsque la nuit tombait, surtout quand elle commençait à tomber de plus en plus tôt. La nuit, il était pris d’angoisses terribles qu’il n’arrivait pas à juguler. Quand il se concentrait sur le mouvement hypnotique du tapis de tri, ses peurs le laissaient tranquille. Il s’endormait quand la faible lumière de l’aurore frappait enfin son lit. Il détestait toute cette saison, le jour mangé par la nuit. Mais il avait aimé le sursaut d’adrénaline et sa course folle avec le vent.

« Merci pour le coup de main, fit-il doucement en reprenant sa respiration. »

Un courant d’air chaud sur le bas de son dos lui répondit.

« Faudrait voir à pas abuser non plus ! ricana-t-il. »

Willem rangea le vélo dans le garage et dépointa. Puis, il attrapa le premier bus du matin et colla son front contre la fenêtre. Mauvaise idée, les vitrines se paraient toutes des décorations de Noël. Ça y est, ça recommençait. Ça recommençait chaque année en même temps. Willem gratta son cou et glissa la main dans son col pour descendre plus bas. Ses ongles maltraitèrent sa clavicule, puis il ressortit sa main et découvrit des paillettes sur le bout de ses doigts. Il lui faudrait une douche, douze litres de savon et une étrille à cheval pour se débarrasser de ces saloperies.

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