Le ravin

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Le bateau quitte la tour titanesque, et tranquillement, fait trépasser les ténèbres en un instantané de merveille. Si les séides du grand soir, de la Masse Noire se sauvent au devant, derrière ils reprennent espoir et se ravigorent, suivant sinistrement le singulier sauveur au sourire d'argent. Un cercle sain au milieu de la masse au mille maléfices. On avance au travers, conscient que le salut tient seulement à ces perles lumineuses. C'est effrayant.

Arpal est bien changé. Il s'explique. C'est son devoir, et son défi à la face du Mal. Demi dieu destitué pour avoir voulu abandonner ses dons prodigués à l'humanité. Le chaos s'est développé trop fort, il ne l'a pas supporté. Il s'en est allé se noyer pour échapper à sa culpabilité. Le reste est connu, Serris l'ayant secouru.

L'esquif stoppe sa course conquérante sur une plage. Tout est bruyant, le cercle noir autour piaffant et gesticulant de créatures peu avenantes. Mais Lorcal est transcendé par son assurance et son collier rutilant. Il mène la marche, ignorant les horreurs autour. Leurs pas les font passer par une forêt de pins sombres, brumeux, impassibles face au fracas maléfique.

Trois destins incertains... Un chemin vers le lointain... Trois héros en lien... Trois reliques en main...

Ces mots peu sybillins résonnent en leurs seins à chacun. Arpal ne sait les renseigner, ayant abandonné trop tôt sa responsabilité. Son seul savoir est que le collier de Lorcal appartenait à sa soeur, Aralye. Déesse aux cheveux de feu, et à la robe dorée. Elle tisse le jour de ses doigts gracieux. Il y avait toujours sa voix quelque part en lui, mais elle s'est éteinte lorsqu'est apparue la Nuit.

Chemin faisant, pensant, avançant, le groupe parvient à un vaste ravin, qui s'étend de part et d'autre. Pas un pont. Pas à pas ils cherchent une voie descendante mais la pente est glissante et abrupte. Les compagnons réfléchissent à une solution.

Soudainement, le bijou de Lorcal se fendille au centre. Un craquèlement sinistre, résonnant dans toute la vallée, un instant de silence glacial où le temps semble s'arrêter. Un battement de cil et la Masse Noire qui les entoure progresse. Le cercle salvateur rétrécit, et s'accentuent la pression et le bruit. Leur tête siffle et les muscles s'endolorissent instantanément. Cette protection n'est pas définitive ! Il faut retrouver sans tarder les autres reliques ! Que faire ? Et ce ravin à franchir ! Serris sort un grappin de sa besace. Il pense pouvoir accrocher le promontoire de l'autre côté. Mais impossible de s'y balancer à plus d'un seul à la fois. Impossible de passer sans traverser le noir intense au devant. Si Lorcal passe, les autres sont perdus.

Malgré tout il faut agir sans tarder. Le temps est compté et qui sait combien peut-il en rester. Le grappin est accroché sur la roche. Qui devra passer ? Serris pense, c'est là sa compétence. Lancer le collier, et s'élancer sans filets. Trop risqué, et autant le garder. Alors il faudra endurer les Ténèbres quelques secondes. Résister à son étreinte et rester en ce monde. Accrocher la relique à la corde, la faire revenir aux autres. Cela semble risqué, mais tomber du ravin offrirait un décès assuré.

Lorcal est plus optimiste. La Masse Noire dissimule le fond, impossible de savoir si Serris a raison. Peut-être ce puits rocheux n'est-il pas sans fond. Mais si Lorcal a tort c'est la mort. Mais endurer les Ténèbres semble impossible. Tous l'ont constaté, et spécialement le jeune guerrier au collier. Sa mère fut emportée en un instant.

Soudain, coupant court aux tergiversations (le temps est un luxe qu'ils n'ont pas à profusion) Arpal empoigne les deux compagnons, stoppe la conversation et saute dans vers le fond. Surpris, effarés, ils s'accrochent et se compactent. Une boule flamboyante au sein de la nuit, une incertaine descente au fond du puits. Un instant suspendu, le temps s'arrête. Une progression interrompue, vers une fin, peut-être. Trop longue est la chute, si le sol est dur. Finie l'aventure, si rien ne les assure.

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