Chapitre 70 : L’impuissant, partie I
Après sa conversation mi-figue, mi-raisin avec Richard, Erwann remonte le chemin de terre menant à sa propriété. En haut de la butte, Quentin l’attend, enveloppé dans une veste coupe-vent, l’air visiblement inquiet, comme en témoigne ses sourcils froncés rapprochés en leur centre.
Bien, bien, bien, je sens qu’on va encore me dire : « faut que je te parle » !
— Erwann, faut que je te parle.
Sans dec’.
— Pour que tu m’attendes ici, dans ce froid et avec cette pluie qui commence à bruiner, j’imagine que tu ne veux pas que l’on se fasse entendre, c’est bien ça ?
— Exact ! J’ai besoin que tu m’aides.
— Avec plaisir.
— Je suis impuissant.
— Mais là, ça va être compliqué.
Je n’ai pas refusé les avances de Bud pour céder à celles d’un autre !
Quentin éclate de rire. Erwann ne peut s’empêcher de sourire à son tour, amusé de la tournure que semble prendre cet échange. Frigorifié, il conduit son ami vers la maison où la véranda chauffée les accueillera plus convenablement que ce chemin côtier battu par les vents. Il espère ne pas y trouver âme qui vive, afin de savoir ce que cache cette demande d’aide inopinée. Sur les quelques mètres qui les séparent du domaine privé, Quentin poursuit en s’esclaffant :
— Mais, non, t’es con. Je suis impuissant, j’ai pas dit que j’avais viré ma cuti.
— Vois-ça avec Manuella dans ce cas-là, je ne peux rien faire pour toi.
C’est vrai quoi, s’offusque Erwann intérieurement ! S’il a réussi à lui dégotter une bombe anatomique, c’est pour avoir la paix, pas des emmerdes supplémentaires. Et puis, qu’est-ce qu’il entend par « impuissant » ? Erwann n’est pas sûr d’avoir envie de savoir de quoi il retourne. Mais vu le ton suppliant qu’arbore son interlocuteur, il imagine très bien le cœur du problème. Il n’y a que la bite défaillante d’un homme pour lui causer pareil tracas.
— J’ai besoin de tes conseils.
— Prends du viagra.
— Gaz !
— Quoi ?
— Écoute-moi, s’il te plaît.
Son ami s’arrête et relève la tête, enfin concentré.
— Est-ce que tu prends des anti-dépresseurs ? lui demande Quentin, gêné.
— Non. Pourquoi ? J’ai l’air si mal en point que ça ? demande-t-il en éclatant de rire.
— Nan, rien à voir... Merde. Bon, bah tu ne peux vraiment pas m’aider alors.
Le visage de Quentin se désintègre sous ses yeux. Le sifflement persistant du vent rend difficile ce genre de discussion alors, étant donné qu’ils sont presque arrivés chez lui, Erwann l’invite à reprendre leur marche chahutée par les bourrasques naissantes. Là-bas, à l’abri du bruit, ils vont pouvoir discuter calmement. Son ami accepte son offre et ils avancent de concert, l’un à côté de l’autre, affrontant en silence la météo capricieuse. Une fois dans la véranda bien chaude, les deux hommes s’installent autour d’un café. Face au mutisme de Quentin, Erwann reprend :
— Toi, t’en prends des cachetons ?
— Je n’ai pas eu le choix à mon arrivée aux Colombes, ça faisait partie du contrat de sobriété.
— Ok. Et c’est quoi le problème, alors ?
— Si t’en as jamais pris, tu ne le sais peut-être pas, mais ça annihile considérablement la libido. Je bande mou.
Erwann éclate de rire à nouveau. Il ne peut s’en empêcher. D’ailleurs, face au comique de la situation, plutôt que de s’en offusquer, Quentin le suit, hilare à son tour. Lui, le bourreau des cœurs, le queutard invétéré, se retrouve avec une trique aussi molle qu’un fromage coulant par temps de canicule, alors qu’il a une déesse dans son lit. Un comble !
— C’est ballot ça, renchérit Erwann en grimaçant. Manuella n’a pas dû aimer.
Les femmes aiment rarement, pense-t-il pour lui-même. Cela ne lui est pas arrivé souvent de ne pas réussir à lever le drapeau mais le peu de fois a suffi à le traumatiser. Il sait bien que faire l’amour n’est pas une affaire de performance, mais tout homme qu’il est, de ce point de vue-là, il doit assurer. Comment réagirait Gwen si cela advenait ? s’interroge-t-il silencieusement. Il préfère ne pas y penser, le corps parcouru par un frisson malaisant.
— Elle ne s’en est pas encore rendue compte, affirme Quentin.
Le propriétaire des lieux est stupéfait, et lui demande aussitôt comment il a réussi cette performance. Lorsque son ami lui rétorque qu’il l’a juste embrassée, rien de plus, Erwann hoche la tête, agréablement surpris.
— Ben, c’est cool, vous y allez tranquillement. Où est le problème ? Ton érection ne reviendra jamais ?
— Si. Si j’arrête les cachetons.
— Ben, arrête-les.
Pour quelqu’un comme Erwann qui déteste la médicamentation et qui a tout fait pour la refuser lors de son séjour à l’ombre, la solution est sous leurs yeux. Mais les enjeux de l’ancien détenu ne sont pas les mêmes que ceux de son ami, qui lutte contre une addiction fraichement abandonnée. D’ailleurs, Quentin lui confie à l’instant sa crainte de replonger s’il stoppe son traitement tout de suite. Il partage à Erwann ce qu’il garde dans un coin de la tête depuis que les médecins lui ont prescrit ces pilules. Ils l’ont prévenu qu’un arrêt trop brutal aurait pour probables conséquences de jouer sur son humeur et ses angoisses. Ces dernières pourraient être soumises à un effet rebond. Il se souvient de la recommandation de ses toubibs de diminuer progressivement les médicaments, semaine après semaine, pour éviter le risque de violents effets secondaires et donc de rechute. Il ajoute que l’arrêt n’aura pas lieu ni tout de suite, ni prochainement non plus, puisque cela fait déjà deux mois qu’il en prend et qu’il faudra donc compter encore deux mois a minima pour envisager d’en être libéré.
— Ok, donc un de ces quatre, tu vas rebander normalement, le rassure Erwann. Alors je répète : où elle le problème ?
— T’as pas entendu ou quoi ? Ça se diminue pas comme ça ces saloperies. Ça prend du temps. Et du temps, avec Manuella, j’en ai pas !
— Si je comprends bien, pour pas qu’elle s’aperçoive que tu n’arrives plus à la tenir droite, tu vas devoir la faire patienter ?
Quentin opine du chef très sérieusement. Erwann se met de nouveau à rire, perplexe.
— Alors, pour la troisième fois, je répète : où est le problème ?
— Comment ça où est le problème ? Mais tu ne le vois pas, nom de Dieu ? On va devoir attendre des semaines avant de pouvoir niquer.
— Niquer, peut-être. Mais y’a pas que ça. Finalement, le problème te concerne juste toi, donc potentiellement, ton plaisir à toi, et la pénétration. Elle, en revanche, tu peux t’en occuper.
— Ok, je saisis. Jusque-là, ça me va. Mais tu ne crois pas qu’au bout de quelques séances à ne faire qu’utiliser mes doigts et ma langue, elle ne va pas avoir envie de plus et se poser des questions si je ne réponds pas favorablement à des caresses plus entreprenantes ?
— Pas si tu fais les choses bien.
Quentin s’enfonce dans son fauteuil. Faire les choses bien ? Mais c’est toujours ce qu’il fait ! Bon, peut-être pas toujours, c’est vrai... mais cela lui est quand même déjà arrivé de se donner à fond pour que sa partenaire prenne son pied. Mais cela ne répond pas à sa question de savoir ce qu’Erwann entend par là. Son ami aurait-il une botte secrète à lui confier ? Un miracle est-il à espérer ? Aux abois, Quentin est prêt à tout entendre comme conseils pour ne pas passer pour le dernier des tocards face à sa belle.
— Qu’est-ce que tu entends par « faire les choses bien » ? Précise ta pensée, enjoint-il son ami.
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