Chapitre 35 : Les danseurs
La fête bat son plein, pour le grand plaisir de Richard, qui se voit récompensé de ses efforts. Erwann et Manon-Tiphaine, ainsi que de nombreux convives, n’arrêtent pas de le féliciter. Ragaillardi par ces éloges, il continue de surveiller le périmètre entourant Erwann pour s’assurer que tout se déroule bien. Ce dernier, de plus en plus détendu et heureux, se partage entre sa fille, son fils, ses parents, sa compagne, la fille de cette dernière et Manuella, sa meilleure amie. Allant de l’un à l’autre, il évite autant que faire se peut de s’en éloigner, même s’il est sollicité de part et d’autre par ses invités. Ses proches sont telles des amarres sécurisant sa réinsertion dans la vie normale. Gwendoline, notamment, qu’il ne quitte plus d’une semelle et dont il tient la main sans presque ne jamais la lâcher. Elle aussi a besoin de cette proximité et n’hésite pas à se glisser dans ses bras pour rechercher son contact rassurant. Il l’embrasse à intervalles très réguliers, que ce soit un simple baiser sur les lèvres ou un échange plus profond. Nullement gêné par la présence de ses parents ou d’Emma, il assume ces démonstrations de tendresse dont, de toute façon, il ne peut pas se passer. Il en a été trop privé ces dernières semaines.
Lorsque la soirée est bien installée, que la musique incite les gens à venir se trémousser aux quatre coins de la piste, Richard vient chercher son comparse pour le diriger vers le centre, là où les convives s’en donnent à cœur joie en se déhanchant sans retenue. Richard prend Erwann par l’épaule et fait un signe au DJ. Lorsqu’ils arrivent au cœur des invités, l’organisateur de la soirée se met à frapper dans ses mains et déclare en même temps :
— Allez Gaz, la piste t’appelle. Montre-nous de quoi tu es capable !
Erwann éclate de rire, gêné de l’attention portée sur lui. Mais relève néanmoins les manches de sa chemise noire. Son pantalon en toile, noir également, lui fait une ligne svelte et sculptée qui met en valeur son corps de sportif. Richard, vêtu d’un pantalon bleu marine et d’une chemise kaki, affiche une carrure plus musclée, mais leurs tailles identiques donnent une impression de gémellité entre eux.
Erwann l’apostrophe :
— Toi d’abord, Bud !
Richard acquiesce et fait sa place au milieu des gens en tournoyant sur lui-même. Anthony, qui ne lâche presque pas des yeux son amant, se met au bord de la piste, les bras croisés sur le torse, un sourcil relevé. Il s’interroge sur le pourquoi du comment de cette mise en scène soudaine. Le tube Rasputin de Boney M. surgit des enceintes et Richard commence à bouger en même temps que la musique, invitant de la main Erwann à le rejoindre.
— OK, Gaz, maintenant, tu me suis, allez.
Lorsque le son des guitares démarre, Richard se met à battre la mesure, intégralement en mouvement, alliant le déplacement de ses pieds aux claquements de ses mains l’une contre l’autre. Ses gestes suivent le rythme, souples et fluides, comme s’il avait fait ça toute sa vie. Son attitude est assurée, son regard flamboyant. Dès que les « hey, hey, hey, hey » font leur apparition dans la chanson, le voilà qui se métamorphose en sosie de Tom Hiddleston, aussitôt rejoint par Erwann, entraîné par l’énergie communicative de son ami.
Dans une similarité presque absolue, tous les deux se déhanchent, leurs bassins se mouvant aussi sensuellement que possible pour deux hommes de cette carrure. Puis, toujours de concert, ils exécutent les mêmes pas de danse rapides, que Gwendoline reconnaît. Ce sont ceux que l’acteur de Loki réalise lors de son passage dans un célèbre show télévisé. Elle a maintes fois vu la vidéo, devenue virale depuis, et est éberluée de voir Erwann et son meilleur ami reproduire à l’identique les mouvements de l’acteur. Leur chorégraphie est parfaite. Leurs gestes coordonnés s’adaptent sans fausse note au cultissime tube de Boney M.. Dans la foulée de leur démonstration, tous les invités se mettent en cercle autour d’eux et commencent à taper dans leurs mains pour les encourager. Des sifflets fusent de part et d’autre du barnum, accompagnés de commentaires enthousiastes :
— Allez, les gars, à fond !
— Vas-y, Bud, roule ton boule !
— Allez, Erwann, montre-nous ce que tu sais faire !
— Bravo les mecs, toujours au top !
Stupéfaite, Gwendoline, placée devant eux, se met à applaudir au rythme de la musique, aussitôt imitée par Manuella et Emma, toutes deux également bouche bée face à la performance des deux hommes. Une fois qu’ils ont reproduit la danse de l’acteur, ils continuent sur leur lancée, improvisant de nouvelles gesticulations. Ils alternent déhanchements lascifs, jetés de jambes et autres figures acrobatiques de leur invention.
Leurs visages expriment le même plaisir à participer à ce duo inattendu qu’à se lâcher comme ils ne l’ont pas fait depuis longtemps. Leurs regards, complices, ne se quittent pas durant toute la durée de leur prestation scénique.
Sans transition, Rasputin laisse place à une version techno du Connemara, de Sardou, remixée en Jumpstyle. Alors, les deux amis se mettent à sauter comme s’ils étaient placés sur un trampoline puis, en sueur, les voilà s’adonnant à des jeux de jambes dignes de danseurs écossais traditionnels. Bras sur leurs épaules, parfaitement synchrones, ils s’élancent dans une version débridée des célèbres gigues des highlands, balançant leurs jambes l’une après l’autre sans répit. Le résultat est bluffant, inspiré du folklore écossais et pourtant très moderne. Mus par une irrésistible impulsion, de nombreux invités se joignent à eux dans une farandole de jetés de pieds et autres cabrioles.
Manuella s’approche de Gwendoline et lui demande :
— Erwann est écossais ?
— Aucune idée, répond cette dernière. Je crois pas. Il m’a dit qu’il avait des origines italiennes.
Décontenancée de voir son homme en pleine transe, elle affiche une moue dubitative, aussitôt remplacée par une réelle admiration.
— Tu l’avais déjà vu faire ça ?
— Jamais ! Je savais que son surnom était lié à ses talents en boîte de nuit, mais il ne m’a jamais montré de quoi il était capable.
Gwendoline est subjuguée, sous le charme de cette facette d’Erwann dont elle n’avait pas idée.
— Ferme la bouche, Gwen, tu gobes les mouches là !
Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, car sa mâchoire se décroche toute seule tandis qu’elle observe la superbe démonstration des talents artistiques des deux hommes. Mais qu’ils sont beaux, tous les deux, luisant de transpiration, les cheveux humides et le visage rayonnant ! Elle n’en croit pas ses yeux. Jamais elle n’aurait imaginé assister un jour à ce genre de spectacle. Erwann est absolument magnifique et tellement doué, qui plus est ! Pourquoi lui a-t-il caché ce don alors qu’il est sublime en s’y adonnant ?
— Gwen, on dirait que tu vas le bouffer, murmure Manuella à son oreille.
— Oh ! Mais c’est le cas, crois-moi, éclate-t-elle de rire, les yeux toujours exorbités.
Il ne perd rien pour attendre, se dit-elle pour elle-même. Dire que cette performance l’excite est un euphémisme. Elle est complètement électrisée par les aptitudes artistiques de son homme, qui continue de s’en donner à cœur joie avec son acolyte. Infatigables, tous les deux enchainent figures de style et pirouettes avec aisance, prenant à peine le temps de souffler. Leurs prouesses sont saluées par les sifflements des convives et autres onomatopées. Exclamations enthousiastes et cris de joie crépitent sous le barnum pour les pousser à continuer leur danse endiablée lorsqu’une nouvelle musique se fait entendre. Le tube de Sardou, remixé façon club, laisse place au très entraînant Tuesday du turc Burak Yeter. Après avoir gesticulé chacun de leur côté, les deux hommes dansent désormais ensemble, rivalisant de créativité, tout en accordant leur technique l’un à l’autre. Leur complicité est totale, leurs sourires, grand écran.
Depuis le début de leur démonstration, sous les hourras collectifs, ils sont mitraillés par des flashs et filmés par des téléphones portables. L’instant mérite d’être immortalisé. Un tel moment de grâce ne doit pas s’oublier.
(1) L'une des très nombreuses vidéos de Tom Hiddleston dansant sur le tube Rasputin de Boney M . Un lien parmi d'autres : https://www.youtube.com/shorts/kRezIykg0zI
(2) Une vidéo du lac du Conemarra remixé façon Jumpstyle : https://www.youtube.com/watch?v=2_ED8ouoPqs
(3) Le délicieux "Tuesday" de Burak Yeter pour se mettre en jambes le matin si vous avez besoin d'aide : https://www.youtube.com/watch?v=Y1_VsyLAGuk !
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