Chapitre 42 : Les pieds dans le plat
Lorsque Gwendoline s’assoit à côté de lui, Richard a l’air complètement rincé d’avoir tant géré pour cette soirée. Nonchalamment, elle lui demande :
— Où est Erwann ?
— Dans le patio avec... Heu...
— Quentin ? le devance-t-elle avec un grand sourire.
Étonné, il se recule. A-t-elle des pouvoirs surnaturels pour connaître ses pensées ?
Toutes ses pensées ?
— Comment t’as deviné ?
— Une longue histoire.
Malgré la confirmation de la présence de Quentin, qu’elle considère depuis toujours comme celui qui a voulu faire capoter sa relation avec Erwann, Gwendoline passe outre, obnubilée par un autre sujet. Elle a d’autres chats à fouetter ce soir, et elle ne parle même pas de Manuella qui l’a envoyée faire la messagère pour son compte. Non, autre chose la tracasse et elle doit en avoir le cœur net.
— Il faut que je te parle. Seule à seul, à l’écart, dans un endroit vraiment discret.
— C’est urgent ? interroge Richard, surpris par son ton déterminé.
Il a l’air las de celui qui en a déjà trop fait pour une seule soirée.
— C’est une question de vie ou de mort.
— Hein ?
— Je parle de ta mort prochaine si Erwann découvre ton secret, ajoute-t-elle avec un ton de conspiratrice.
Il la dévisage comme si elle venait de lui annoncer qu’il y avait une bombe artisanale sous sa chaise et qu’elle en possédait le détonateur. En gros, il a compris, et paraît à présent au taquet, le visage soudainement bien réveillé. Il se râcle la gorge.
— Viens. Allons en discuter ailleurs.
Une fois sur la terrasse, habillés de leurs manteaux, Richard se lance, les mains dans les poches, les yeux sur le qui-vive, scrutant la porte de la maison, d’où Erwann pourrait surgir à tout moment :
— Parle la première.
Gwendoline décide de mettre les pieds dans le plat et de ne pas y aller par quatre chemins concernant sa récente découverte. Bien qu’elle ne connaisse Richard que depuis peu, elle sait qu’avec lui, elle peut jouer franc jeu. N’ayant aucun doute sur ce qu’elle soupçonne, elle décide d’avancer ses pions et d’attaquer dans le vif du sujet :
— Tu joues à un jeu dangereux avec Anthony. Très dangereux.
— Tu nous as vus ? demande-t-il, le regard paniqué.
— Entendus, dans la chambre. Vous n’étiez pas discrets.
— Merde… Personne d’autre ?
— Pas à ma connaissance. Au vu de ta réaction, j’imagine que vous ne souhaitez pas que cela se sache.
— Moi, ça ne me dérange pas, tout le monde sait que je suis gay, mais... Anthony n’a pas envie de faire son coming out. Je respecte sa décision.
Elle hoche la tête, compréhensive. Si celui de Manon-Tiphaine n’avait pas surpris son père, qui nourrissait des doutes vis-à-vis de sa grande depuis quelques temps, il n’en sera pas de même pour son fils, qu’Erwann connaît à peine.
— Vous deux, ça dure depuis longtemps ?
— Quelques semaines. Erwann m’avait demandé de veiller sur son fils...
— Oui, tu as été vraiment très... obéissant, dis donc. Tu l’as pris au mot.
Elle éclate de rire, suivie de Richard, tous les deux amusés par cette situation incongrue. Il apprécie cette petite boutade, qui permet de dissiper le malaise qui s’est installé entre eux. Elle ne le juge pas, mais il sait qu’elle redoute la réaction de son compagnon. Tout comme lui, évidemment. Pourtant, en parler pour la première fois le soulage et le rend heureux.
— C’est sérieux ? demande-t-elle en étudiant ses traits guillerets.
— Difficile à dire à ce stade, mais ça en prend le chemin. Je ne sais pas. Il faudrait demander à l’intéressé.
Ce qu’elle ne fera pas, bien sûr. Gwendoline vient à peine de rencontrer Anthony. Elle s’imagine mal lui demander des comptes. Elle réfléchit, perdue dans ses pensées.
— Il est très jeune, constate-t-elle après quelques instants.
— Je sais. J’avais remarqué.
Ils rient encore de concert, plus complices que jamais. Puis, voyant que Richard arbore un visage inquiet, elle le rassure en lui expliquant qu’elle n’est pas là pour lui faire la morale, par rapport à leur différence d’âge. Mais lui confie être un peu inquiète, à cause du décalage que cela créé entre eux. Lui est un homme d’expérience, qui sait ce qu’il veut, ce qui n’est forcément le cas d’Anthony, plus fragile, comme le sont souvent les adolescents. Elle ajoute qu’avec ce qui se passe en ce moment, les choses sont encore plus compliquées. Le jeune homme se découvre un nouveau père, qui sort tout juste de prison, attendant un éventuel procès pour viol.
— C’est perturbant pour un ado, assène-t-elle. J’ai peur qu’il agisse par… dépit.
— J’ai pensé la même chose que toi. J’étais sur la réserve au début. Ce n’est pas moi qui lui ai fait des avances. J’ai juste… suivi.
— Donc, c’est lui qui est venu vers toi ?
— Oui… Très ouvertement vers moi.
Disant cela, il ne peut retenir un sourire. Il repense à leur premier baiser, lorsqu’Anthony l’a plaqué contre la porte d’entrée et embrassé sur le seuil de sa maison. Gwendoline comprend que le gamin a dû être entreprenant. Elle l’a senti assez sûr de lui et mature malgré son jeune âge. Il faut l’être pour draguer un homme ayant la stature de Richard.
— Tu sais qu’Erwann va disjoncter quand il va l’apprendre.
— J’en ai bien conscience, soupire-t-il. Je le connais un peu ton homme, tu sais. Même si, malheureusement, je ne le connais pas aussi bien que toi.
La remarque, étrange et ambiguë, dite avec un clin d’œil, surprend Gwendoline, légèrement mal à l’aise. Elle sait Richard très porté sur le sexe et peu enclin à la fidélité, mais ce soir, ses yeux brûlent d’une excitation qu’elle ne lui avait jamais vue, probablement exacerbée par la proximité de son amant secret.
Ou alors quelque chose lui échappe.
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