Chapitre 49 : Des enfants pas sages, partie I

5 minutes de lecture

Manon-Tiphaine regarde le plafond. Clara ronfle doucement à ses côtés. Elles n’ont pas fait l’amour avant d’aller se coucher. Pour une fois, sa chérie n’était pas demandeuse. Ça tombait bien, l’adolescente n’en avait pas envie. Leur interlude de l’après-midi, avant le démarrage des festivités, a été agréable mais, à ce moment-là, elle a senti qu’il n’y avait plus que ça entre elles. L’évidence lui est apparue malgré l’orgasme, malgré le plaisir qu’elle a eu à l’avoir près d’elle à la soirée. En fait, l’évidence lui est surtout apparue lorsque Quentin l’a prise dans ses bras. À part son père et Richard, aucun homme de cet âge ne l’avait jamais étreinte de cette manière-là. Sur le moment, son cœur s’est réveillé dans sa poitrine, comme revenu à la vie après une période de latence.

Un homme, voilà ce dont elle rêve depuis quelques temps.

Un homme, un vrai.

Pas un jeune homme ou un adolescent, comme le fils de son père, Anthony. Un homme. Avec une voix grave qui s’harmonise à un corps développé, non pas un corps fluet comme l’ont souvent les gamins de son âge, avec des membres trop fins et une allure dégingandée. Non, elle veut un homme, un vrai. Un homme à la Khal Drogo dans Games of Thrones. Un homme qui peut rivaliser avec sa grande taille et qui puisse la porter malgré ses soixante-dix kilos de muscles. Un homme avec une barbe fournie, et pourquoi pas des tatouages et une moto, tous ces artifices qui donnent un surplus de virilité.

Et, pourquoi pas, un homme qui possède une vraie vie bien à lui, indépendant, n’ayant de comptes à rendre à personne, sans parents pour lui dire quoi faire ou pour lui interdire de vivre comme il l’entend.

Un homme qui puisse l’encourager, pas comme Clara qui n’arrête pas de lui dire qu’on ne peut jamais avoir tout ce qu’on veut dans la vie. Un homme qui saura la protéger et veiller sur elle, comme son père l’a fait durant toutes ces années, jusqu’à cette maudite journée en prison. À cette pensée, son cœur tressaille. Elle a senti un tel vide quand ce dernier a été incarcéré, comme si un gouffre s’était ouvert sous ses pieds. Elle a eu peur que sa vie n’éclate en mille morceaux, que son monde s’écroule et que son futur disparaisse, comme ça, en un claquement de doigts, en un claquement de porte. La porte du parloir où son père a été extradé de force par ses matons déchaînés qui ne voulaient rien entendre de sa détresse à elle. Malgré la présence et l’amour de Richard, ce jour-là, elle a cru mourir de terreur en entendant son père se faire tabasser derrière la cloison.

Un frisson d’angoisse la parcourt, raidissant ses muscles endoloris d’avoir trop danser. Elle se lève du lit, en toute discrétion, et sort de la chambre sans un bruit autre que le chuintement de sa très courte chemise de nuit. Puis se dirige dans les couloirs, parfaitement au fait de chaque recoin de la maison. Lorsqu’elle arrive à destination, sa main appuie doucement sur la poignée de la porte. Celle-ci n’est pas verrouillée. Alors, elle entre à pas furtifs, guidée par le bruit de la respiration émanant du corps immobile. Puis se faufile dans le lit, sous la couette, aspirée par la chaleur qui se dégage de l’homme nu. Il ne bouge pas. Ronfle un peu, profondément endormi. Enfin, près de lui, elle retrouve la paix et ce sentiment de sécurité qu’elle avait perdu il y a quelques temps. Elle s’endort pour de bon, rassurée et paisible.

Lorsque Quentin se réveille, quelques temps plus tard, troublé par la présence inattendue d’un autre être humain dans son lit, il attrape son téléphone pour utiliser la lampe de poche et éclairer l’intrus. Il s’étonne de découvrir une jeune fille, là, étendue à côté de lui, et à moitié habillée, ses longs cheveux blonds étalés sur l’oreiller. Il la reconnaît sans difficulté, après l’avoir détaillée de la tête aux pieds, croyant à un mauvais rêve ou à une hallucination. Mais, malheureusement, il réalise que non, il ne fait pas erreur. Il s’agit bien de sa filleule, endormie dans son lit.

— Manon ??? s’étrangle-t-il devant l’horreur de la situation.

Comme elle ne répond, ni ne bouge pas, il braque le faisceau lumineux sur son visage d’enfant, sur lequel s’épanouissent ses joues rebondies. Elle change sa tête de côté, gênée par cet éclairage soudain, et rouspète après la lumière qui lui vrille la rétine. Elle clôt ses paupières plus fort pour ne pas se laisser aveugler et lui demande d’éteindre son « putain de téléphone ». Il exécute en la morigénant :

— Mais qu’est-ce que tu fous là, bordel de merde ? Tu t’es trompée de chambre ?

— Hein, quoi ? Mais de quoi ?

— Chhhhhhuuuuuut ! Mais tu veux que ton père me tue ou quoi ?

— Pourquoi il te tuerait ?

— Oh ! bah, je sais pas ! chuchote-t-il d’une voix saccadée. Peut-être parce que sa gamine de seize ans est à moitié à poil dans ma chambre, dans mon lit, en pleine nuit !!! Mais tu te rends compte ! Retourne te coucher avec ta nana !

Manon a envie de hurler qu’elle n’en veut plus, de sa nana. Que celui qui fait battre son cœur à présent, c’est lui, ce parrain revenu dans sa vie juste au bon moment.

— Oh, mais ça va, tempère-t-elle d’une voix plaintive. Pourquoi t’as peur de lui ? C’est pas le diable en personne non plus, faut pas exagérer.

— Le diable ? répète-t-il, sarcastique. Mais à côté de ton père nous découvrant ici tous les deux, le diable, c’est Mickey Mouse ! Mais nom de Dieu, mais tu ne le connais pas ton daron ou quoi ? C’est une bombe à retardement, il est prêt à péter à tout instant.

— Pfffffff... n’importe quoi, t’exagères. C’est bon, recouche-toi, laisse-moi dormir. Je suis naze.

Elle a beau feindre une fatigue harassante, il n’en demeure pas moins qu’elle louche sur le corps de Quentin, qui a quand même eu le réflexe de protéger ses parties intimes dénudées sous la couette immaculée. Elle regrette qu’il ait pris cette précaution.

— Manon, écoute, je t’en supplie, ne me fais pas ça. Je viens à peine de renouer avec lui, je viens à peine de sortir de désintox, je t’assure que, vraiment, vraiment, je n’ai pas besoin de ça en ce moment.

— C’est pas ce que j’ai senti tout à l’heure quand tu m’as prise dans tes bras !

Estomaqué par cette remarque, Quentin repense à ce foutu baiser qu’il a déposé sur son épaule et qui a eu l’air de tant faire tiquer son père. Sur le coup, il a agi sans réfléchir, trop heureux de renouer avec une partie de sa vie d’avant et des gens qu’il aime. Mais, évidemment, à froid, le souvenir lui glace le dos et lui fait désormais comprendre qu’il aurait mieux fait de se garder de tels élans. D’autant que Manon-Tiphaine a l’âge d’être sa fille et qu’elle n’a jamais été pour lui le genre de personne avec qui il voulait entretenir une intimité quelconque.

Une intimité quelconque avec une gamine de seize ans ? Ah ! La gerbe !

On pourra lui reprocher beaucoup de choses parmi ses anciens comportements transgressifs mais jamais d’avoir eu de telles pensées !

— C’est toi qui t’es jetée à mon cou pour me remercier, se défend-il piteusement. J’allais quand même pas te repousser. Retourne te coucher, maintenant.

— Nan.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 8 versions.

Vous aimez lire Caroline Rousseau (Argent Massif) ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0