Chapitre 56 : Ras-le-bol

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Gwendoline se tient droite devant lui, les poings sur les hanches, surplombant de son petit mètre soixante-huit un Richard assis dans le canapé, peu impressionné par sa posture vindicative.

— Parce qu’il chouinait là ? répète-t-elle, hors d’elle.

— Mais oui, il est toujours à faire son Calimero, celui-là. Et mon fils, et ma fille, et ma femme... oh ça va, t’en as pas marre de toujours pinailler pour un rien !

Gwendoline tape du pied sur le sol, avant de se mouvoir autour du sofa et de revenir dans la même position, toujours aussi remontée. Bien qu’elle adore Richard, elle ne comprend pas cette colère qui grouille en lui dès qu’il s’agit d’Erwann, surtout actuellement. Son homme vient à peine de sortir de prison, ce n’est vraiment pas le moment de venir le chatouiller. Excédée, elle souffle un bon coup et demande, à l’intention du coiffeur :

— Je peux te parler ? En privé.

— Nan.

Il se lève brutalement, sous les yeux hagards d’Anthony qui, sans s’en rendre compte, s’apprête à en faire autant, avant de se raviser, conscient de son erreur.

— De toute façon, puisque la fête est finie, je n’ai plus qu’à me barrer chez moi. J’en avais ma claque de gérer la putain d’organisation de ces festivités qui, je l’ai bien vu, n’ont pas convenu à Monsieur le grand chef perché en haut de son piédestal. Je...

— Bud, regarde-moi, l’interrompt plus calmement Gwendoline.

Malgré son énervement, elle comprend qu’elle n’obtiendra rien de lui en gardant une attitude agressive. Elle s’oblige à redescendre d’un étage, pour apaiser la tension qui règne au rez-de-chaussée. À contrecœur, Richard s’exécute et se tourne vers elle. Il observe ses émeraudes le toiser à mi-chemin entre désespoir, confusion et animosité.

— Je peux te parler ? répète-t-elle encore plus doucement.

Il soupire. Regardant dans la direction de son amant, il comprend que ce dernier est en panique à l’idée que les choses continuent de dégénérer. Gwendoline est au courant pour eux d’eux. Elle pourrait en parler à Erwann si l’envie lui en prenait et là... la situation s’envenimerait entre tous les protagonistes, y compris entre Anthony et Richard, dont le secret serait dévoilé.

— S’il te plaît, insiste-t-elle, presque implorante désormais.

Malgré son envie de quitter la villa, Richard se laisse attendrir par l’inquiétude qu’il lit dans ses prunelles alarmées, et la suit dans une pièce éloignée de la foule, pour un nouveau tête-à-tête. Une fois à l’abri des oreilles indiscrètes, elle reprend la parole :

— Ne pars pas, s’il te plaît.

— Pourquoi pas ? Je n’ai plus rien à foutre ici.

— Parce que si tu te barres, Anthony partira aussi. Or, si vous vous barrez tous les deux, là, cela éveillera les soupçons d’Erwann. Je t’assure que ce n’est pas la bonne solution. Et en plus, Erwann a besoin de passer du temps avec son fils pour apprendre à le connaître, ce qui ne sera plus possible si tu décides de rentrer chez toi. Anthony te suivra et tu le sais très bien. Il prétextera devoir rentrer à Quimper, ou être fatigué, mais il trouvera des excuses qui l’éloigneront de son père, et ce, pour être avec toi. Alors, s’il te plaît, reste.

Richard se mord la lèvre, partagé entre l’envie de céder à sa supplique et le ressentiment qu’il nourrit à l’encontre d’Erwann et qui lui ordonne de quitter les lieux illico presto.

— J’en ai marre de me plier au bon vouloir de ton mec. Ça fait des mois que je me plis en quatre pour lui et maintenant, tu voudrais encore que j’agisse pour lui faire plaisir ? Mais j’y gagne quoi là-dedans, moi, à la fin ? J’y gagne que dalle ! C’est toujours lui que l’on doit satisfaire, mais tu sais quoi ? Il n’est pas le seul être humain sur cette terre à avoir besoin qu’on prenne soin de lui. J’en ai marre de toujours passer après lui.

Gwendoline ne dit rien, consciente de la détresse de Richard, qui se ronge à présent les ongles, signe de son anxiété grandissante. Elle reprend la parole en lui demandant de calmer le jeu, si ce n’est pour Erwann, au moins pour elle, pour ne pas qu’elle se retrouve à nouveau seule. Comme elle le lui rappelle, cela fait tout juste vingt-quatre heures qu’Erwann est sorti de prison. Il est à fleur de peau et la moindre étincelle pourrait le faire exploser et le renvoyer derrière les barreaux.

— Il a besoin de reprendre ses marques, explique-t-elle. Je comprends ta frustration mais, je t’en supplie, reste. Ignore-le, la maison est assez grande. Si la fête est finie on va être occupé à tout ranger. Vous n’aurez pas besoin de vous parler. Je vais aller le voir et plaider ta cause. Je vais lui dire que les travaux d’agrandissement de ton salon te prennent la tête, ce qui est d’ailleurs peut-être le cas. Je vais vraiment te défendre, arrondir les angles, jouer le tampon entre vous deux s’il le faut, mais reste jusqu’à demain, comme prévu.

Richard se met à rire jaune, le visage décomposé. Si elle savait... Ce ne sont pas les travaux de son salon qui le mettent dans cet état. C’est de ne pas pouvoir être libre d’agir à sa guise avec son amant. Avant la sortie de prison d’Erwann, Anthony et lui ne se cachaient pas autant. Mais désormais, supposant le genre de réaction qu’Erwann aurait en apprenant la vérité, ils sont obligés de marcher sur des œufs. Certes, ce n’est pas l’homosexualité de son fils qui va le rendre dingue, encore que Richard se doute que cela ne va pas l’enchanter, mais c’est à propos de la différence d’âge que son meilleur ami va tiquer. Richard en est sûr : Erwann le lui reprochera, traduisant son attitude de défiance comme une trahison envers leur amitié. Pourtant, les deux hommes sont consentants et ne devraient avoir besoin de l’aval de personne pour vivre leur histoire d’amour, mais ce serait sans compter sur le caractère possessif d’Erwann, son comportement surprotecteur envers ses enfants ou sa mentalité réac’ de crozonnais coincé.

N’a-t-il pas été celui qui, après une discussion un peu tendue avec Quentin, avait failli planter sa compagne de peur du qu’en dira-t-on ? Richard le sait, Erwann n’est pas prêt à accueillir leur relation avec bienveillance et le premier qui souffrira de ce rejet et de ses jugements sera son fils. Une situation que Richard veut à tout prix éviter. Mais pour cela, ils doivent se taire, se cacher et depuis la sortie d’Erwann, la sensation d’être sous-surveillance est si forte qu’elle le met complètement à cran.

— Tu sais ce qui me prend vraiment la tête ? demande Richard avec un rictus désabusé. Ne pas pouvoir embrasser mon mec. Ne pas pouvoir le toucher, ne pas pouvoir le regarder avec amour ou lui dire qu’il est beau. Et d’avoir honte de ce que je suis, de ce que je fais, de l’amour que je ressens pour lui. Et qu’Anthony se sente mal aussi. Qu’il ait tellement peur de la réaction de son père qu’il s’oblige à se travestir, à devenir un autre. On en a marre de ne pas pouvoir être nous-même. Est-ce si difficile à comprendre ?

Les derniers mots ont à peine franchi le seuil de ses lèvres qu’il se met à pleurer. Voyant cela, Gwendoline le prend dans ses bras, sincèrement accablée par son désespoir. Elle saisit à présent son ras-le-bol et le comprend. Elle se met facilement à sa place, elle qui a toujours adoré crier haut et fort son bonheur à l’assemblée. La colère de Richard, qui s’est muée en tristesse à présent, lui fend le cœur. Mais elle est impuissante à le soulager, consciente des limites de sa position. Pourtant, Erwann l’écoute et elle pense pouvoir l’amadouer pour l’aider à accepter la vérité.

— Je sais, Bud, déclare-t-elle, la voix pleine de compassion. Enfin, non, je ne sais pas, se reprend-elle, mais je comprends. Laisse-moi préparer Erwann pour la suite.

— Non, ne lui dis rien, renifle-t-il. Anthony ne veut pas que cela se sache.

— Je ne lui dirais rien, promis. Mais il a besoin de temps pour aller mieux et je vais l’aider. Aies confiance. Les choses vont s’arranger. Dès qu’Erwann sera prêt, et qu’Anthony le sera aussi, vous pourrez vous montrer au grand jour, je t’assure. Je te défendrai. Je vous défendrai tous les deux, je te le promets. Je calmerai Erwann, je te jure que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que vous puissiez vous aimer en toute liberté.

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