Chapitre 61 : Une étrange lueur
Quatre heures trente du matin. Voilà ce qu’indique le réveil lorsque Gwendoline ouvre un œil. La bouche sèche, elle allume la petite lumière pour boire de l’eau fraîche mais la bouteille est vide. Alors qu’elle s’apprête à sortir du lit pour aller à la cuisine, Erwann pose sa main sur elle et la retient :
— Tu as besoin de quelque chose ? chuchote-t-il.
— Il n’y a plus d’eau, j’allais en chercher.
— Bouge pas j’y vais, propose-t-il en se levant.
— Merci.
Elle se rallonge sur le côté et replace la couette entre ses jambes, prête à se rempaffer. Erwann descend discrètement au rez-de-chaussée. La maison est silencieuse après le tapage du week-end d’anniversaire écourté de Manon-Tiphaine. Tous les invités ont regagné leur pénates ou dorment à poings fermés. Il traverse les couloirs déserts à pas de loup sans allumer. Il connaît chaque recoin comme sa poche et se faufile dans la nuit avec facilité. Il récupère une bouteille de Mont Roucous dans la porte du réfrigérateur, en évitant de regarder la lumière aveuglante qui l’ébloui, puis, pieds nus, reprend son chemin en sens inverse.
Un bruit attire son attention. Un feulement. Marmiton doit traîner par là à la recherche d’une activité nocturne pour se défouler. Le bruit se prolonge. Erwann tend l’oreille, curieux et inquiet à la fois. Le système de sécurité de la maison est opérationnel mais celle-ci est grande et, parfois, il se surprend lui-même à se coller les jetons dans cette immense baraque aux multiples recoins. Il avance discrètement vers l’endroit d’où provient le son étouffé, qu’il distingue cependant de plus en plus nettement. Loin d’être un feulement de chat, il repère plutôt un gémissement.
Un gémissement, sous son toit, alors que lui et sa compagne ne sont pas dans la même pièce ?
Ah non, ça va pas recommencer ! Qui s’envoie en l’air chez moi ?
Même si Manon dort dans la même chambre que sa copine Clara, il pensait qu’avec l’heure tardive, elles seraient plongées comme deux souches celles-là. Il réalise soudain qu’il est en bas, tandis que les deux gamines ont leurs appartements à l’étage.
Hum hum...
Qui d’autre est logé ici parmi ses convives ? Quentin et Manuella, évidemment ! Eh bien, ils ne perdent pas de temps ces deux-là. Quand il pense que son meilleur ami semblait tout penaud de devoir draguer à jeun, apparemment, il a repris confiance en lui. Quentin aurait dû partir ce soir pour remettre en ordre son salon de tatouage avant sa réouverture officielle, lundi matin. Mais les beaux yeux bleus de Manuella l’ont définitivement convaincu de rester encore un peu. Pour diner, dormir et visiblement plus si affinités... Erwann se souvient les avoir vus se dévorer du regard toute la soirée. Pas étonnant qu’à présent, ils soient en train de conclure ce que leur parade nuptiale présageait. Erwann pouffe de rire silencieusement, la bouche cachée derrière sa main, imaginant le nouveau couple s’adonnant à leurs désirs irrépressibles.
Il retourne vers l’escalier pour rejoindre sa compagne. Il a maintenant envie de profiter de ce petit interlude excitant pour gâter sa partenaire avec sa langue agile. À peine a-t-il posé le pied sur la première marche qu’une vision surgit en lui. Le bruit... le bruit suspect... Il ne provenait pas de l’endroit où ont élu domicile Manuella ou Quentin. À présent bien réveillé, un doute le saisit. Le gémissement lui est parvenu de l’autre côté de l’aile où logent les deux tourtereaux... Très exactement dans celle où Richard lui a expressément demandé de l’installer. La seule autre personne à dormir dans ce coin est son fils. Ni l’un ni l’autre ne sont venus avec des amusements vivants. Richard a rompu il y a un moment et, aussi étrange que cela puisse paraître, Erwann ne l’a pas revu depuis avec quelqu’un. Quant à Anthony, dont il est sûr qu’il possède une petite amie quelque part, lui non plus n’était pas accompagné ces jours-ci...
Préférant lever un doute qui le tenaille, Erwann s’approche de la chambre où est logé son fils et pose son oreille contre le bois, en apnée.
Ok, ce sont bien des gémissements. Anthony ? En train de baiser ? Mais avec qui ???
Les trois seules femmes disponibles sont Manuella, de deux fois son âge, Emma, en ayant presque la moitié, et sa sœur ! Certes, ils ne sont pas issus de la même mère et ne se connaissent pas, mais leur lien de parenté est établi désormais. Et même s’ils ont presque le même âge, ce n’est clairement pas un scénario envisageable sous son toit ! Qu’importe que sa fille se tourne désormais vers les hommes, il n’est pas question qu’elle se tape son frangin. Erwann suffoque à l’idée de toutes ses suppositions. L’air lui manque, lui faisant tourner la tête.
Que doit-il faire ? Intervenir ? Et prendre le risque de surprendre ses enfants en plein ébats sexuels ? L’horreur de cette hypothèse lui déclenche une crise de panique qu’il peine à contenir.
Tentant de respirer profondément, il essaie de reprendre ses esprits. L’angoisse lui coupe les jambes, le privant de sa mobilité pour rejoindre sa compagne à l’étage. Il se refait le film de leur week-end, cherchant quelques indices concernant ce que son cerveau inquiet avance. Son fils et sa fille ensemble dans le même lit ???
Il ne peut rien imaginer de pire !
Soudain, il entrevoit quelque chose qu’il n’avait pas remarqué jusque-là, la tête dans le coaltar. Une lumière sous la porte de la chambre de Richard. Ce dernier est encore éveillé. Ça tombe très bien, il va pouvoir lui demander de l’aide. Si ça se trouve, lui, il sait ! Son meilleur ami s’étant beaucoup rapproché de son fils ces temps-ci, il saura peut-être si ce dernier lui a confié des désirs incestueux envers sa sœur, enfin, sa demi-sœur, plus précisément.
Convaincu que la solution miracle vient de lui apparaître, Erwann se dirige vers ladite chambre. Il appuie sur la poignée et l’ouvre tout doucement...
Annotations
Versions