Chapitre 67 : Gueule de bois généralisée

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Cette nuit, à une heure déjà bien avancée, Erwann et Gwendoline, blottis dans les bras l’un de l’autre, ont bien reçu, une vingtaine de minutes après leur coucher, le message tant espéré de la part de Richard. Erwann a souri en le lisant, quand bien même il ne lui était pas destiné. En effet, son meilleur ami avait contacté sa compagne via son numéro à elle, et non lui, et ce, de toute évidence, volontairement. Le message était donc clair pour Erwann qui aurait pu sous-titrer cette intention délibérée par : « Toi le connard homophobe, va te faire cuire un œuf ! » Richard avait souhaité une bonne fin de nuit à Gwendoline uniquement, comme si Erwann n’existait pas. Cela n’a pas surpris le propriétaire des lieux, très au fait de la rancune tenace qui pouvait habiter son ami d’enfance. Erwann ne lui en a pas tenu rigueur. Il sait qu’il a abusé. Le principal pour lui étant que les deux amants furent réunis et en sécurité. Erwann s’est obligé à éviter de songer à ce qu’ils allaient peut-être encore faire pour se consoler de la révélation de leur secret mal gardé.

Le réveil est difficile à la villa. Le petit-déjeuner l’est encore plus. Il semble, au regard du visage qu’affichent toutes les personnes présentes autour de la table, que les éclats de voix du chef de famille soient parvenus à tous les étages et dans toutes les pièces de la maison.

Manuella, assise entre Quentin et Emma, sirote son café en tripatouillant son croissant, réprimant bâillement sur bâillement, probablement exténuée d’avoir longuement parlé avec son nouvel amoureux, et frustrée d’avoir dû l’abandonnée pour aller rassurer Emma. Cette dernière, dont les yeux sont légèrement cernés, mange ses céréales pétale par pétale, dans un bruit de craquement qui résonne dans le silence planant sur la tablée. Quentin, quant à lui, dévore, affamé, ses pains au chocolat les uns à la suite des autres, comblant la déception d’avoir fini la nuit seul, à cause du coup de tonnerre provoqué par son meilleur ami. Il s’est finalement endormi après avoir reçu le sms de Manuella, l’informant que la fille de Gwendoline désirait que sa « tante » reste avec elle pour terminer sa nuit. Les deux nouveaux tourtereaux n’ont pas encore eu le temps de s’organiser pour profiter de cette dernière journée avant le retour des invitées nantaise vers leur ville d’origine.

Manon-Tiphaine, la reine déchue de la fête avortée, est venue se servir un copieux plateau repas avant de remonter à l’étage, auprès de Clara, prétextant que l’ambiance du rez-de-chaussée était trop toxique pour qu’elle ait envie d’y rester. Erwann n’a pas relevé la pique, comprenant que sa grande était en désaccord total avec ses propos à l’encontre de Richard qu’elle adore. Connaissant son nouveau penchant pour son autre meilleur ami, il suppose également que la vue de Manuella et Quentin, se lançant sans cesse des œillades énamourées, est trop pour ce qu’elle peut supporter après cette nuit difficile. Il devra d’ailleurs aller lui en toucher deux mots car, bien évidemment, il ne peut pas laisser les révélations de Quentin sans suite. Sa fille mineure de seize officiellement lesbienne, qui se retrouve volontairement dans le lit d’un quadra, objectivement très mâle, il ne peut que s’en préoccuper. Au moins autant que de son fils, officiellement pas gay du tout, devenu homosexuel au cours des dernières heures, auprès duquel il doit maintenant s’excuser...

Oh shit... Mais c’est quoi le problème avec mes gosses ? Ils ne peuvent pas agir comme des ados normaux et se taper des gens de leur âge ?

Erwann rumine son dépit autant que sa nourriture, gêné de sentir le malaise ambiant qu’il a provoqué malgré lui. Gwendoline le regarde, compréhensive et silencieuse, avec cet air attristé de celle qui a vraiment de la peine pour lui. Elle sait la douleur qui lui ceint le ventre d’avoir déclenché un tel esclandre. Avant de s’endormir, elle lui a demandé quand avait lieu son prochain rendez-vous avec son nouveau thérapeute, dégotté à deux pas de la propriété.

— Lundi matin, a-t-il répondu en soupirant, blasé, comme il l’est souvent ces derniers temps.

— Eh bien, ça ne pouvait pas mieux tomber.

Erwann sait qu’elle a raison. Arrivé à ce stade, s’il ne se fait pas aider, sa colère le bouffera et détruira toutes les relations qui lui sont chères. Il espère seulement que ce nouveau soignant saura l’aiguiller et l’apaiser aussi bien que la personne qu’il consultait en prison.

On entendrait une mouche voler si la saison si prêtait. Malheureusement, à quelques jours de Noël, toutes les fenêtres étant fermées, c’est uniquement le cliquetis des couverts qui carillonnent dans le silence opaque de ce petit-déjeuner indigeste. Erwann n’avait pas envisagé son retour ainsi, en se mettant presque l’intégralité de sa famille à dos. Le bilan est lourd et le ressentiment de chacun bien présent.

Son téléphone vibre dans sa poche. Il l’a retrouvé intact grâce à Richard, une fois encore, qui avait tout gérer en son absence. Intact certes, mais bourré de sms, de notifications et de messages vocaux qu’il n’a pas encore pris le temps d’écouter, vu qu’il n’en a strictement rien à faire de ce que les gens ont pu penser de sa subite incarcération. Il ne rêve que d’une chose à présent : effacer le contenu complet de sa messagerie et repartir à zéro.

Il se lève dans un raclement de chaise faisant grincer les dents de chacun. Puis se dirige sans une explication vers son bureau où il s’enferme pour lire le message qu’il vient de recevoir. Ah non, les messages, apparemment, car un autre arrive juste à l’instant. Il l’ouvre :

— Rejoins-moi à la carcasse du voilier, sur la pointe. Treize heures.

Richard lui donne des ordres. Erwann adore. Néanmoins, il y sera. Pour essayer de comprendre, pour s’expliquer, pour s’excuser... S’il ne le fait pas, il perdra son meilleur ami et son fils dans la foulée. Il clique sur le second nouveau sms. Marmiton se fait remarquer au même moment. Il grimpe sur ses genoux, appréciant de retrouver son propriétaire et surtout le calme de son domicile, après deux jours de tapage. Exilé chez les parents d’Erwann pendant toute la durée de son séjour à l’ombre, le chat ronronne désormais de plaisir de cette normalité retrouvée. Une main dans son pelage, l’autre appuie pour ouvrir le dernier sms arrivé.

« Salut beau gosse, j’ai appris que tu étais sorti par un ami commun, Quentin. Tu n’as pas répondu à ma dernière lettre. Pas grave, tu devais t’apprêter à retrouver ta liberté. J’espère que tu vas bien. Comme je te l’ai dit, qu’importe ta situation avec la justice, je te connais et je sais comment tu es vraiment. Je te soutiendrai quoiqu’il arrive. Tu peux compter sur moi. Fais-moi signe quand tu veux qu’on se revoie. Bien à toi. Je t’embrasse. »

La personne n’a pas besoin de signer sa missive de son prénom, comme elle le faisait à la fin des courriers qu’elle lui envoyait en prison. Elle est déjà enregistrée dans le répertoire de son téléphone. Un frisson glacé lui parcourt l’échine, remontant du bas vers le haut de sa colonne vertébrale. L’angoisse le saisit. Marmiton le ressent et se redresse sur son séant. Erwann le caresse pour le rassurer puis se passe la main sur le visage, dépité.

Là, il est vraiment mal barré.

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