Chapitre 86 : Un imprévu
— Ton père est en garde-à-vue.
— Putain, mais qu’est-ce qu’il a fait encore ?
Anthony affiche un air exaspéré, que Richard trouve tout à fait charmant sur son compagnon, tant ce dernier est sexy quand il est de mauvaise humeur. Ce qu’il est souvent en ce moment.
— Non-respect de son contrôle judiciaire.
— Il cherche la merde, sérieux.
Richard secoue la tête, expliquant qu’Erwann a juste voulu prendre quelques libertés avec le système pénitentiaire auquel il est pourtant soumis. Sauf que de liberté, ce dernier n’en a plus tellement, et que s’il continue dans la même veine, il n’en aura plus du tout. Noël approche et il serait bon qu’il se calme pour ne pas finir par déguster sa dinde aux marrons dans une barquette en plastique. Pour apaiser son amant, Richard lui explique que tout va s’arranger car, selon Gwendoline, qui ira le chercher à la sortie de sa nuit en cellule, Maître Le Tonquédec a déjà volé au secours de son petit protégé. Sans surprise pour le coiffeur, Erwann a encore réussi à se tirer d’affaires, comme d’habitude, et profitera des fêtes de fin d’année au sein de son clan.
Pour les deux amants, les choses ne vont en revanche pas aussi bien depuis le scandale qu’Erwann a provoqué en découvrant les deux amoureux en pleine partie de jambes en l’air. Les concernant, ce n’est pas la légèreté qui caractérise leur relation, nouvellement rendue publique par leur manque de précautions, mais plutôt un gros malaise ambiant. Depuis que tout le monde sait qu’Anthony est gay, ce dernier a beaucoup de mal à se détendre, convaincu que les gens sont en train de baver sur lui dans son dos. Il déteste l’idée d’être au cœur de cette supposée attention malsaine et redoute d’être au centre de discussions médisantes. Comme il l’a avoué à son amant, il se sent comme un rat traqué, un nuisible qu’on voudrait exterminer. Richard a beau lui dire qu’il exagère, que cela passera, que les remous déclenchés suite à l’annonce de leur union finiront par se calmer, le jeune homme n’en demeure pas moins à cran.
Anthony reste persuadé que son père est dégoûté à l’idée que son fils unique soit homosexuel. Il imagine aussi que ses grands-parents, récemment rencontrés à la soirée d’anniversaire de Manon-Tiphaine, sont dépassés par le fait d’avoir deux héritiers du mauvais bord, une sorte d’infamie familiale caractérisée qui pourrait nuire à la bonne image du clan Le Bihan.
— T’y vas pas un peu fort dans la parano, là ? lui a fait remarquer Richard lorsqu’il a entendu cette réflexion la toute première fois. Qu’est-ce qu’ils en ont à foutre avec qui tu baises tes grands-parents, franchement. Ils n’ont rien dit de méchant à propos de ta sœur, je ne vois pas pourquoi ils iraient te pourrir à présent. Même s’ils parlent de toi autour d’eux, maintenant qu’ils t’ont rencontré, je crois surtout que c’est avec de la fierté dans les yeux qu’ils le feront. Tu es leur unique petit-fils. Gay ou pas gay, j’imagine mal Mama et Yvonnick dirent du mal de toi. Arrête un peu de te prendre la tête.
— Tu m’as dit qu’ils étaient vieux jeu.
— Nan, j’ai dit qu’ils étaient vieux. Pas vieux jeu. C’est pas pareil ! Ne déforme pas mes propos, s’il te plaît.
Suite à cet échange, Richard a saisi la bouche de son amant, puis son sexe, bien décidé à lui faire penser à autre chose qu’à tout ce remue-ménage supposé. Les deux hommes sont présentement encore au lit, rassasiés de leurs ébats, qui n’ont pour autant pas mis un frein aux inquiétudes du jeune homme. Richard ne sait plus quoi faire. Dieu sait pourtant s’il a fait son maximum pour le détendre en lui offrant deux orgasmes en une heure, mais cela n’a pas eu l’air assez efficace pour lui faire oublier le reste. Désormais à cheval sur les fesses de son partenaire, allongé sous lui, il lui masse les épaules endolories d’avoir été trop crispées ces jours-ci. Tout en effectuant des mouvements relaxants, il lui demande :
— Tu seras là, pour Noël ?
Anthony tourne la tête de côté et s’enquiert :
— À la villa ? Chez mon père ? Avec toute la famille ?
— Ouais.
— Franchement, désolé mais je n’en ai pas du tout envie.
Richard soupire. Il s’y attendait. Pour autant, ce refus le désole et il compte bien y remédier. Il n’a pas l’intention de se priver de la présence de son amour pour de sombres conneries de peurs infondées. Bien décidé à venir à bout de la mauvaise énergie de son compagnon, après un certain temps passé à détendre son dos, il glisse son sexe dans la fente de ses fesses musclées. Puis se penche lascivement dans le cou ambré de son amant.
— Y’a moyen que je te fasse changer d’avis ?
— En me baisant une troisième fois en moins d’une heure trente ? Je sais que t’es bon au lit, mais là, ce ne serait pas présumé un peu de tes capacités ?
— Hummm, si en plus tu me mets au défi... je ne peux pas résister.
Sans surprise, et avec moults préliminaires, Richard honore l’adolescent pour un tiercé gagnant qui les laisse tous les deux dégoulinants de sueur. Le souffle erratique, les yeux éclairés du plaisir qu’il a pris, Anthony se confie à lui, la bouche contre son oreille :
— C’est gentil d’essayer de me changer les idées, mais même avec cette troisième partie, je reste stressé. Cela dit, je salue tes efforts et t’en remercie. T’es un champion, mon amour.
Richard éclate de rire, conscient que le jeune homme fait de son mieux pour passer à autre chose, sans toutefois y parvenir. Après leurs étreintes passionnées, il essaie de le rassurer autant que possible en lui répétant encore et encore les phrases bateau auxquelles il croit, quand bien même cela ne sert à rien. Comme son père, Anthony a la tête dure et ne change pas d’avis facilement. Un autre signe, si besoin était, que c’est bien le fils de son meilleur ami.
Richard lui promet que tout va bien se passer à l’avenir, que les gens ne vont rien dire concernant leur couple ou son orientation sexuelle. Certes, il n’est pas assez bête pour ignorer que cela sera plus compliqué que ça et qu’ils risqueront d’être raillés à l’avenir mais lui s’en contrefout. L’amour vaut bien quelque sacrifice. Rien n’est jamais simple dans la vie. Pour autant, il faut oser affronter les difficultés avec courage et ne pas se laisser abattre au premier obstacle. Leur couple ne pourra en ressortir que grandit et plus résistant que jamais. Il imagine que mener à deux cette bataille pour se faire accepter tels qu’ils sont ne fera que renforcer leur lien déjà très solide.
Le bip d’une notification interrompt le cours des pensées de Richard, qui se penche vers son téléphone pour s’enquérir du destinataire. Gwendoline. Il ouvre le message, tenaillé par un mauvais pressentiment.
— Suis à l’hôpital. Peux-tu aller chercher Erwann au commissariat ?
— C’est grave ? envoie aussitôt Richard, passablement inquiet.
— Je ne sais pas encore... Je crois, oui... Je suis aux urgences obstétriques.
Richard avale sa salive, la gorge soudainement asséchée. Se tournant vers Anthony, il lui lance :
— Habille-toi, s’il te plaît. Je dois rejoindre Gwen à l’hosto. Toi, il faut que tu ailles récupérer ton père à Brest. Tu iras plus vite que moi en moto.
— C’est quoi le problème de Gwen ?
— Je pense... je pense qu’il y a un souci avec le bébé.
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