Hide : prise en charge

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Hide recula, presque déséquilibré. Il s’était pris le coup de pied du maton en plein dans la poitrine.

Faut que je fasse attention, pensa-t-il en baissant un peu plus son centre de gravité. Ce type est fort.

Il était même monstrueux. À cause de son âge, Hide avait sous-estimé son adversaire. Mais le garde — si c’en était vraiment un — connaissait tout un tas de coups bas, et il avait un style souple et rapide. Tout le contraire de lui, lourd et puissant.

J’ai peut-être un peu perdu, aussi.

Deux mois de prison, presque immobilisé... et le garde avait attendu tout ce temps avant de l’attaquer.

— Tu m’as l’air un peu fatigué, ironisa le gardien. Tu en as marre ?

Hide vissa son regard sur lui.

— Pas encore.

— Tant mieux. Ce n’est pas tous les jours que je combats contre une légende du free-fight : je m’attends à un peu mieux que ça. D’autant plus que je sais que tu es surtout fort en baston sauvage... Il paraît que tu as commencé ta carrière dans des matchs illégaux ?

Hide ne répondit pas. Le mec cherchait à le déconcentrer, à l’embrouiller. En réalité, il se fichait de sa carrière, de son passé. On lui avait donné l’ordre de le tuer. Qui ? Il devait réussir à l’apprendre.

— C’est la première fois que je combats contre un ex-yakuza devenu maton, tenta-t-il.

En espérant qu’il morde à l’hameçon...

— Je ne suis pas un ex-yakuza, répliqua l’autre.

— T’es quoi, alors ?

— Juste un mec qu’on a payé pour te tuer.

Hide laissa échapper un rire grave.

— « Juste un mec »... ? Ne me fais pas rire. Tu portes le daimon d’un clan sur le torse... tu appartiens à une organisation. Je veux juste savoir laquelle.

— Si tu n’es pas capable de reconnaître ce daimon, tant pis pour toi, répliqua l’autre. Tu mourras sans savoir. Tout ce que je peux te dire, c’est que ta femme, ton ex et tes gosses suivront.

— Je vais devoir te tuer, alors. Ne m’en veux pas !

— Même en admettant que tu y parviennes... un autre que moi se chargera de cette tâche. De toute façon, à l’heure qu’il est, les hommes du Yamaguchi-gumi doivent déjà être après ta femme.

Hide ne parvint pas à cacher son étonnement :

— Le Yamaguchi-gumi ? Je suis devenu un civil... !

— J’ai entendu dire qu’un type important au Yamaguchi-gumi avait mis un contrat sur toi. C’est tout ce que je peux te dire ! Un petit cadeau pour ton voyage en Enfer.

Kiriyama, sans doute en se passant de l’accord de Kinugasa... Hide se renfrogna. Rester concentré, malgré la panique qui montait... La seule fois dans sa vie où il avait perdu ses moyens, c’était cette fameuse nuit, avec le Gwangju. Les mecs avaient voulu s’amuser un peu avec lui, tester ses capacités combatives. Depuis qu’il marchait sur ce chemin, et surtout depuis qu’il avait commencé à gagner, tout ce que le Japon comptait de bastonneurs avaient voulu se frotter à lui. Cela arrivait encore aujourd’hui, qu’un mec se présente au bureau en déclarant vouloir affronter « le loup ». Comme d’habitude, face aux Coréens, Hide avait relevé le défi, sûr de ses capacités et d’autant plus déterminé qu’il ne s’agissait plus seulement de lui, mais aussi de Miyako. Or, ces types l’avaient massacré, cette nuit-là. L’enjeu était trop lourd. Sa vie, il savait qu’elle ne valait rien, sinon, ses parents l’auraient gardé. C’était comme ça qu’il pensait à l’époque. Mais si celle des autres dépendait de la sienne... celle de la femme qu’il aimait, notamment... il n’avait pas le droit à l’erreur.

D’un autre côté... comment protéger Lola, s’il tuait ce type et restait en taule ? Et pour survivre, il allait devoir le tuer...

— Arrête de rêver !

Une nouvelle attaque, qu’il esquiva d’un cheveu. Le maton attrapa sa veste si violemment qu’elle se déchira. Un rapide coup d’œil à sa poitrine à nu lui apprit qu’elle était en sang. « La griffe de l’ours », le mouvement préféré de Taoka Kazuo, le troisième et légendaire kumichô du Yamaguchi-gumi...

Hide répliqua, et encore une fois, le type encaissa. Depuis le début, il encaissait tous ses coups. Mais continuait à attaquer, inlassablement, le dirigeant vers le bord du toit... Lorsqu’il se jeta sur lui pour le ceinturer, Hide comprit quelle était son intention. Mourir avec lui, comme un kamikaze.

D’une frappe rapide et brutale sur son visage, il se créa une ouverture. Il entendit les os du nez craquer sous ses phalanges. Mais le type lui avait saisi la jambe.

— Je t’avais promis un billet pour le jigoku, grinça-t-il, le visage en sang. Je vais même t’y escorter !

Le bord se rapprochait dangereusement. Hide aperçut le bitume, loin en bas, sous les treize étages. La verdure au loin, les grilles. Et visualisa son corps disloqué en bas, à quelques mètres à peine de la liberté.

Hide se jeta au sol, à la fois pour ne pas perdre l’équilibre et lui faire lâcher sa cheville. Il profita de la prise du maton pour lui prendre le bras en juji-gatame, le verrouillage du coude entre ses deux jambes. Mais en dépit de la pression qu’il mettait sur son articulation, le type ne lâchait pas... jusqu’à la luxation complète.

Pas même un gémissement, constata-t-il effaré.

Le maton tentait de l’attraper de son autre bras, comme un zombie.

— Je te laisserai pas partir ! gronda-t-il dans une tentative désespérée pour se redresser.

Hide hésita une seconde de trop. Bondir hors de portée, ou le finir par un étranglement... Le surveillant mit cette hésitation à profit. Il saisit son col avec sa seule main valide. Aguerri par d’innombrables combats, Hide vit le danger arriver. Le maton voulait le faire passer dessus lui en s’aidant de sa jambe avec un tomoe-nage, et le jeter ainsi dans le vide... Il s’affala sur lui de tout son poids, mobilisant ses forces pour le bloquer et l’empêcher de bouger. En dessous, le type luttait pour se dégager, l’enserrant à son tour de ses jambes en une étreinte mortelle. Deux boas constrictors entremêlés jusqu’à l’épuisement, ou la chute. Ce serait au premier qui fatiguerait. Hide se changea en roc, une montagne imperturbable qui compactait, écrasait. Une terrible pression, qui brisait les côtes et vidait les poumons. Mais son adversaire n’abandonnait pas. Le visage fouillant dans son cou comme une sangsue géante, soufflant bruyamment sous l’effort, le type essayait de le mordre ! Et le vide à deux pas à peine...

Stop !

Hide se sentit brutalement tiré en arrière. Trois matons, pas moins, qui le ceinturèrent : un à chaque bras, un sur ses jambes. Il se laissa faire, en sang et épuisé. Un quatrième se penchait sur leur collègue au sol, tentant de le ranimer.

J’avais presque réussi à le finir, regretta Hide avec une pointe de soulagement.

Son adversaire n’était pas mort. Du moins, pas encore.

Une femme, grande et mince, sanglée dans un uniforme et un chignon strict, s’imposa dans son champ de vision. À travers ses paupières lourdes, son regard brouillé, Hide la vit le scanner des pieds à la tête.

— Eh ben ! C’est ça, que je dois prendre en charge ?

Une femme à la prison, en dehors du parloir... la situation devait être exceptionnelle.

— Reconduisez cette grosse brute dans sa cellule et passez-lui un coup d’eau. (Elle jeta un regard à sa poitrine mise à nu.) Donnez-lui un autre uniforme, pendant que vous y êtes... merci.

Hide sentit son cœur s’accélérer. Est-ce qu’une nouvelle procédure — la vraie, cette fois — venait d’être lancée ? Mobilisant ce qui restait de son énergie, il tenta une dernière fois de se défendre :

— Attendez... Ce surveillant m’a attaqué. C’est un tueur payé pour m’éliminer... Regardez ses tatouages !

La femme lui jeta un regard méprisant.

— Merci, on est au courant. On vous emmène au centre de détention de Sapporo.

— Sapporo ? répéta Hide, incrédule. À Hokkaidô ?

Le nord du pays, à plus de mille kilomètres de Tokyo...

— Votre demande d’appel a été acceptée : vous n’êtes plus un condamné à mort. Le procureur a demandé votre transfert dans un autre centre de détention, et je suis là pour veiller au bon déroulement de la procédure.

Une envoyée du procureur Maeda... la situation était inhabituelle, mais pas impossible.

— Je dois prévenir mes proches, murmura Hide d’une voix hachée. Laissez-moi appeler ma femme... !

Lola. Il fallait qu’il la prévienne. Que Masa la surveille plus. Qu’elle quitte le pays, se cache en France s’il le fallait.

— Calmez-vous. Vos proches sont prévenus. Vous pourrez les appeler demain, à Sapporo.

— Mais mon épouse est en danger, protesta Hide. Ce type a parlé d’elle... il avait pour mission de la tuer !

Calmez-vous, j’ai dit, répéta la femme d’une voix plus autoritaire. Nous avons la situation sous contrôle.

— Vous ne comprenez pas. On a mis un contrat sur sa tête ! répéta Hide, les sourcils froncés.

Elle était sourde, ou quoi ?

Une claque brutale mit fin à ses récriminations. La représentante du procureur venait de le frapper !

— Ne me dites pas ce que je comprends ou pas, siffla-t-elle en vissant ses yeux noirs dans les siens. Vous êtes un détenu, et moi, une représentante de la justice japonaise. Est-ce que c’est bien clair ?

Hide garda le silence, choqué. Que les surveillants lèvent la main sur les détenus était déjà exceptionnel. Mais un haut fonctionnaire de justice... une femme, qui plus est…!

Rien ne se passe comme d’habitude, cette fois, songea-t-il pour la centième fois depuis le début de son incarcération.

Il allait falloir qu’il s’y fasse, et accepte la situation telle qu’elle était.

La représentante du procureur se tourna vers les gardiens qui attendaient. Deux d’entre eux, montés à la suite des autres, étaient en train de charger leur collègue inconscient sur un brancard.

— Bien ! Descendez-moi tout ça. Quant à vous...

Hide sentit l’animosité, presque le dégoût, dans son regard.

— On aura une petite discussion plus tard, à propos du Yamaguchi-gumi et de ses tueurs. Ce que vous avez à raconter m’a l’air intéressant.

— J’ai dit tout ce que je savais lors de ma déposition, se braqua Hide. Tout ce que je veux, c’est pouvoir prévenir ma famille. Je ne crois pas que ce soit le Yamaguchi-gumi qui en ait après eux. Cet homme portait le daimon d’un autre clan : si c’était quelqu’un de chez nous, je l’aurais reconnu...

Quant à Kiriyama, il en faisait son affaire. Hors de question de le donner à la police. Mais Masa — et Lola — devaient être prévenus.

Pour toute réponse, la femme lui passa les menottes.

— Vous laisserez la commission d’enquête tirer ses propres conclusion, merci bien. Allez, on y va.

Elle jeta un dernier regard à Hide, puis tourna les talons.

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