Hide : Arisawa Satono
— 1249 ! Téléphone !
Hide se redressa d’un seul bond. Depuis son arrivée dans cette nouvelle taule, tard dans la nuit, il n’avait pensé qu’à une chose : parler à Lola. Était-elle prévenue ?
Mais ce n’était pas elle. C’était Uchida Naoya, qui lui fit tout de go cette annonce inquiétante :
— On a retrouvé ta femme hier soir dans un lodge de Tochigi. Elle venait d’assommer Kinugasa Shino, qui est désormais poursuivi pour enlèvement, viol et tentative de viol.
Hide sentit son ventre se liquéfier. Viol, tentative de viol... enlèvement.
Il faut que je sorte d’ici.
— Ne me dis pas que...
— Elle va bien, coupa Uchida. Ce n’est pas elle que Kinugasa a violée, mais une escort russe qui l’accompagnait.
Une escort russe... Dans quelles emmerdes Lola s’était-elle encore fourrée ?
— Lola essayait d’obtenir de Kinugasa des preuves orales de l’implication de Kiriyama dans le meurtre des époux Onitzuka, ajouta l’inspecteur. Elle venait de m’envoyer un enregistrement lorsque le central des urgences a contacté mon bureau, pour déclarer qu’une femme répondant au nom d’Ôkami Lola venait de demander des secours. On a tracé son téléphone et on l’a trouvée barricadée dans un bungalow privé, cerné par les hommes de main de Kinugasa. Elle l’avait assommé et prit en otage avec un tesson de bouteille... un sacré cran, cette fille !
Le cœur de Hide se gonfla de fierté. Il savait depuis le début que Lola avait ça en elle, lorsqu’il l’avait vue se battre de toutes ses forces contre ce camé à Kabuki-chô, là où bien d’autres femmes auraient abdiqué. Non, en fait, il le savait depuis qu’elle avait perdu son soutien-gorge devant lui, avait caché sa poitrine avec son bras, souri et continué à danser comme si de rien n’était, tout en parvenant à le bidouiller pour le remettre en place. Elle n’était jamais prise au dépourvu. Toujours, elle trouvait une solution.
Mais là, elle avait failli y rester. Et avec cette menace sur sa tête...
— Je vous suis fortement redevable, parvint à articuler Hide de sa voix la plus policée. Mais Kinugasa n’est pas le seul danger. Hier, avant mon transfert, on a tenté de me tuer. Un professionnel déguisé en maton... il m’a dit qu’on l’avait chargé de se débarrasser de ma femme et de ma fille aussi.
— Tu as une idée de qui a pu l’envoyer ? demanda Uchida.
Il y avait un soupçon concerné dans sa voix qui irrita Hide. Bien sûr, il lui était redevable, et il aurait dû être rassuré de constater que ce flic prenne autant à cœur la protection de Lola. Mais d’un autre côté, il ne pouvait tempérer la jalousie qu’il sentait naître en lui. Uchida voyait Lola plus que lui. Et c’était lui qui la protégeait désormais, pas lui, enfermé et donc inutile. Pour cela, il hésita un instant à faire part à Uchida de ses conclusions. Après tout, ce flic ne devait pas se mêler des affaires des yakuzas.
Mais au dernier moment, il se ravisa. Lola — sa sécurité — passait d’abord.
— Le Kozakura-ikka, avoua-t-il alors. Ce type portait un daimon en forme de fleur de cerisier tatoué sur le sternum... c’est le signe des Kozakura de Kagoshima.
Hide entendit Uchida retenir son souffle. C’était, en général, la réaction des gens lorsqu’on évoquait ce clan mystérieux et ultra-violent.
— Kagoshima ? Quel est le rapport avec toi ?
— Je suis né là-bas. Mon père était l’héritier du clan dont dépendait le Kozakura.
Il n’entra pas dans les détails. Uchida devrait se contenter de ça, et c’était déjà beaucoup.
Hide entendit Uchida noter ces informations sur son carnet. Il allait sûrement enquêter... et remuer encore plus la merde. Mais il n’avait plus le choix. De toute façon, il fallait mettre Lola sous protection.
— Et toi ? demanda Uchida, changeant de sujet. Ça va ? Tu n’es pas blessé ?
— Je n’ai rien. D’ailleurs, je vous remercie pour avoir fait aboutir la procédure : c’est grâce à vous si je ne suis plus dans le couloir de la mort. Mais ils m’ont transféré à Hokkaidô, le plus loin possible de Tokyo. Je ne peux plus voir ma famille... et je pense qu’ils devraient quitter le pays.
— Ta fille est sous protection permanente : elle ne risque rien. C’est Lola qui est plus dure à protéger : elle voit ça comme une contrainte et continue à agir de son propre chef, de manière inconsidérée. Essaie de lui dire de prendre moins de risques.
Empêcher Lola de n’en faire qu’à tête ? Autant demander à oiseau d’arrêter de voler. Mais Hide acquiesça, remercia l’inspecteur, puis raccrocha. En regardant l’horloge affichée au mur, il constata qu’il lui restait dix minutes de conversation téléphonique autorisée.
— Je peux passer un autre coup de fil ? demanda-t-il au gardien qui attendait non loin.
— Oui, mais rapidement !
Hide composa le numéro de Masa. Comme prévu, ce dernier prit très mal la nouvelle. Il était en déplacement dans le Kansai lorsque c’était arrivé, et Lola ne l’avait pas prévenu. Les choses s’annonçaient tellement compliquées pour le clan, avec toutes ces défections... Lorsqu’il lui annonça que ce n’était évidemment pas une excuse et qu’il « prendrait ses responsabilités », Hide l’arrêta tout de suite.
— Ce n’est pas le moment de faire des ronds de jambe, dit-il durement. Si tu m’envoies un autre doigt, je te bannis de la famille, Masa. J’ai besoin de toutes les forces disponibles, et je ne peux pas me permettre d’avoir un lieutenant mutilé en ce moment. Tout ce que je te demande, c’est de tenir le clan. Les flics se chargent de protéger ma femme.
— Les flics... ! répéta Masa d’une voix qui trahissait son émotion.
— Oui, je suis obligé de compter sur cet inspecteur Uchida. Ça me fait chier autant que toi, plus encore, je crois. Mais je n’ai pas le choix. Tant que je serai dans cette taule...
La voix du maton interrompit sa phrase.
— 1249, c’est fini !
— Je dois raccrocher. Ne fais pas de conneries, conclut Hide.
*
Hide s’attendait à ce que le maton le reconduise dans sa cellule. Mais au lieu de ça, il fut conduit dans une salle de parloir sans vitre, où se trouvait une femme en tailleur, assise devant une table. Une nouvelle avocate ? Puis il la reconnut. C’était la fliquette qui l’avait « pris en charge » la veille, l’envoyée du procureur. Que faisait-elle là ?
— Je ne me suis pas présentée dans les règles, fit-elle en sortant sa plaque. Arisawa Satono, inspectrice spéciale.
Hide jeta un regard appuyé sur la carte. Mais elle l’escamota si vite qu’il n’eut pas le temps de tout voir.
— Vous enquêtez sur le meurtre des époux Onitzuka ? lui demanda-t-il.
— Non, rien à foutre des Onitzuka, répondit-elle abruptement. Comme je te l’ai dit, je suis mandatée par le procureur lui-même. Je dois veiller à ton bien-être jusqu’au nouveau procès : c’est pour cela que je suis là. Considère-moi comme un genre de visiteuse de prison !
Elle lui sourit, dévoilant des petites canines désaxées, qui, dans un autre contexte, auraient pu être mignonnes. Mais là, dans cette taule, alors qu’il était menotté, elles ressemblaient surtout à des doubles dents de prédateur marin.
— Mon bien-être... c’est l’acceptation de la procédure d’appel qui me doit ce revirement ?
— J’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est qu’on m’a chargée de te surveiller. Paraît-il que tu es en danger de mort... Je dois avouer que cela me semble être le cas, vu les circonstances dans lesquelles on s’est rencontrés, toi et moi.
Hide lui jeta un regard dubitatif. Le surveiller... pourquoi le procureur se souciait-il soudain de son sort, lui qui, peu de temps avant, avait voulu sa mort ?
Il veut peut-être se servir de moi pour faire tomber Kinugasa, comprit alors Hide. Il a dû se rendre à l’évidence que je serais plus utile vivant que mort, dans sa lutte contre le crime organisé... du moins, c’est comme ça qu’Uchida a dû lui présenter les choses.
Mais aujourd’hui, avec l’accusation de viol... la donne avait changé, même si en général, ce genre de plaintes ne pesait pas lourd.
Hide nota d’en parler à Uchida. Il ne devait pas être au courant des manœuvres du proc’.
— Je dois passer un coup de fil, dit-il alors.
— Quand j’en aurai fini avec toi.
— Je vous ai tout dit.
— Il nous reste cinq minutes, et je veux continuer à faire connaissance avec toi.
Hide bougea dans son fauteuil.
— Détachez-moi, au moins.
— Trop risqué. Tu as une très mauvaise réputation, Ôkami Hidekazu.
— Je n’ai jamais frappé une femme de ma vie, lui dit-il en plantant les yeux dans les siens. Je ne vais pas commencer avec vous, même si vous êtes une inspectrice de police.
Arisawa sembla s’agiter. Elle se leva soudainement et appela :
— Gardien !
Un maton déboula sur le champ. Hide nota son caractère obséquieux, presque craintif, face à Arisawa Satono. Cette femme devait être une grosse huile.
— Je dois amener ce détenu à la douche. Il sent le chameau en rut !
Hide leva un sourcil. Drôle de comparaison...
— Je me serais bien présenté au parloir rasé de frais, aspergé d’eau de Cologne et en costume Armani, ironisa-t-il. Mais vous connaissez comme moi le règlement pour les condamnés à mort...
— Pas la peine de faire de l’esprit, grinça Arisawa en se levant précipitamment, faisant désagréablement crisser la chaise au passage. Va te laver d’abord !
— Ce sera un plaisir, répliqua Hide avec un demi-sourire.
Une douche, enfin. Depuis combien de temps n’en avait-il pas eu ?
À sa grande surprise, l’inspectrice le suivit dans les couloirs. Hide avait déjà vu des visiteuses de prison, mais jamais aucune femme dans les quartiers de détention. Mais elle l’accompagna jusqu’à la douche.
— Tu t’étonnes de ma présence, Ôkami ? lui lança l’inspectrice. Le procureur a de bonnes raisons de t’avoir à l’œil. Et comme j’ai toute sa confiance, il veut que ce soit moi.
— Et il vous a donné une autorisation spéciale pour entrer dans le quartier des hommes ? Je ne sais pas si c’est une très bonne idée.
— C’est pas mon affaire. Mon boulot, c’est d’obéir, répondit sèchement Arisawa.
— Certains de ces types n’ont pas vu une femme depuis des dizaines d’années...
— Eh bien, ils se mettront leur bite sous le bras.
Hide balaya ses objections d’un haussement d’épaules. Dit comme ça... c’était son affaire à elle, après tout. Même si elle allait servir de support de masturbation à des dizaines de mecs pendant des semaines, peut-être des années.
Le gardien lui ouvrit la porte des douches et lui montra son casier, avec sa serviette, le savon, et le nouvel uniforme bien plié. Mais au moment où Hide y entra, Arisawa le renvoya d’un signe discret. Il attendit donc, son panier sous le bras, qu’un nouveau maton arrive et que l’inspectrice s’en aille.
Cette dernière le regarda, les bras croisés. Avec son tailleur et ses petits escarpins pointus, elle faisait vraiment incongrue dans le décor.
— Allez. Déshabille-toi, on a pas que ça à faire. Je lancerai le minuteur lorsque tu auras retiré ton caleçon.
Hide jeta un regard surpris à l’inspectrice. Est-ce qu’il avait bien entendu ?
— Excusez-moi, mais est-ce que je ne dois pas attendre l’arrivée d’un officier masculin ?
Arisawa plissa ses yeux ambrés.
— Qu’est-ce que tu insinues, que je ne suis pas capable de mater un yakuza sans l’aide d’un homme ? C’est fini cette époque, on est en 2014 ! Ou alors c’est le fait de montrer ton petit kiki à une femme, qui t’affole autant ? Ne t’en fais pas, tu ne seras pas le premier gangster que je vois nu !
Hide leva un sourcil, retenant de justesse un sourire ironique. Heureusement, la gardienne ne l’avait pas vu. Elle était trop occupée à l’asticoter :
— Allez, vire-moi ces fringues ! Où je lance le décompte maintenant !
Lui tournant le dos, Hide s’exécuta. Il pouvait sentir le regard de l’inspectrice sur lui, et, pour la première fois de sa vie, ce regard féminin sur son corps l’indisposa.
— Quel tatouage hideux, grinça-t-elle. Il n’y a rien de plus laid que ces marques de sous-hommes dont vous vous affublez, vous, les yakuzas ! Mais je dois reconnaître que le reste n’est pas mal... un vrai gâchis, si tu veux mon avis ! Avec ton physique, tu aurais dû devenir Chippendale, au lieu de faire le malfrat !
Hide s’abstint de répondre. Mais la femme insista :
— Réponds !
— Euh, eh bien...
Il s’interrompit en sentant une pointe dure dans le creux de ses reins. Il se figea instantanément, sachant parfaitement les dégâts que ces matraques télescopiques pouvaient faire.
— Reconnais que tu aurais mieux fait de devenir Chippendale !
— C’est vrai, admit-il en se mordant la lèvre. J’aurais mieux fait de...
La matraque descendit sur ses muscles fessiers.
— Dis-le !
— ... devenir Chippendale.
— Voilà, c’était pas si difficile ! Médite là-dessus pendant ta douche.
L’eau sortit enfin du plafonnier. La sensation de la matraque disparut, et il sut instantanément que l’inspectrice avait reculé, qu’elle s’était désintéressée de lui. Il se permit un soupir discret. Elle ne s’était pas rendu compte de l’effet que sa « caresse » involontaire avait provoqué en lui. Quatre mois sans sexe, sans même le réconfort de la masturbation... lorsque cette matraque s’était posée sur sa chute de reins, sa queue avait jailli comme un taureau lâché dans une arène. D’ailleurs, il bandait encore. Si fort que c’en était douloureux.
Putain de merde, pesta-t-il intérieurement.
Il fallait qu’il sorte d’ici, et vite.
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